J'ai tout essayé pour arrêter Pokémon Go.
4 ans que je capture tous les putains de Rattatas que je croise dans l'espoir qu'ils soient "petits", tout ça pour une médaille que je n'aurais jamais de mon vivant. 4 ans que j'ai la même excitation quand il ne reste que quelques centaines de mètres à mon oeuf, puis le même dégout quand je vois le Magmar qui en sort. 4 ans que ma famille et mes proches me voient régulièrement quitter un repas en courant, et revenir 5 minutes plus tard, transpirant, mais apaisé.
Ma plus longue pause aura duré un an et demi. Un an et demi d'insouciance retrouvée, une vraie bulle de bonheur. Et puis le mal est revenu s'immiscer en moi en 2019, sous la forme d'un ami que je pensais honnête et fidèle. "Tiens Jules, tu ne joues pas à Pokémon Go ? T'es sérieux ?! Tu veux pas télécharger l'appli ? Je te file un Suicune Shiny."
Puis la redescente. Longue et insidieuse.
Contrôlée dans les premiers temps : on allume le jeu sur quelques petits trajets à pied, "oh tiens ils ont ajouté la gen 5", on fait tournoyer quelques petits pokéstops, comme au bon vieux temps, on s'émerveille des nouveautés, comme si on retrouvait un ami depuis longtemps perdu de vue. C'est agréable, presque enfantin.
Puis très vite, on se surprend à ouvrir le jeu à la maison, on se met à capturer même les Aspicots et les Mimitoss, on rentre du travail à pied plutôt qu'en tram, l'émerveillement des nouveautés se transforme en mépris du puriste, "ah de mon temps, l'XP il fallait la mériter"... Des petits gestes insignifiants, mais qui ne trompent pas.
Quand on en est à ce stade, il est déjà trop tard. Ce n'est plus qu'une question de jours avant de consulter des forums pour trouver et ajouter des dizaines de codes ami, d'organiser des séances d'évolutions millimétrées, maxées par un oeuf chance bien entendu, d'aller "chercher du pain" pour revenir 20 minutes plus tard, en sueur, avec un pokémon placé sur chaque arène du quartier, "mais chéri, c'est déjà la troisième baguette aujourd'hui...". Il est trop tard quand on laisse son téléphone allumé sur le canapé pour compter sur les bugs du GPS et gratter quelques kilomètres. Tard quand on pense à retourner en Australie pour capturer Kangourex, moins d'un an après y être allé. Beaucoup trop tard quand le fait d'apprendre que les pas sont maintenant comptabilisés même avec l'application fermée, nous a fait monter les larmes au yeux de bonheur. Terriblement tard quand on vérifie le cours des mew shiny sur ebay...
A l'heure où j'écris ces lignes, je n'ai plus touché à Pokémon Go depuis plus de 2 mois. L'élément déclencheur a été ce jour où, en vacances chez mes parents, dans un village très peu Pokémon Go-friendly, et après ma ronde quotidienne d'une heure, en voiture, vers tous les pokéstops du coin, je remarque qu'un raid 5 étoiles se prépare, non loin de ma position. C'est tout naturellement que je m'y rends, et que je découvre un magnifique Lugia Shiny. Problème : personne d'autre que moi n'est présent pour le raid. J'attends quelques dizaines de minutes, mais toujours personne. Que font les gens de leur vie ici ?! C'est alors que j'ai l'idée de contacter ce fameux ami, à cause duquel j'ai replongé, qui vit à deux pas d'ici. Il me doit bien ça. Je l'appelle pour lui exposer ma situation, peut-il venir m'aider à capturer cette rareté, que dis-je, cette merveille de la nature?
Puis je l'entends me répondre, d'un ton presque méprisant :
"Ah mais tu joues encore à Pokémon Go toi ?".