Vous vous réveillez dans une salle blanche aux parois nues. Sur un petit meuble non loin, une radio joue une musique joyeuse. Puis une voix synthétique vous explique à travers des haut-parleurs que vous vous trouvez dans les locaux d'Aperture Science et que avez été choisi pour mener une batterie de tests tous articulés autour du même principe : parvenir à trouver la sortie d'une zone du laboratoire où vous vous trouvez à l'aide d'un appareil générateur de portails de téléportation.
Les premiers puzzles se montrent simples mais alors que vous progressez toujours plus loin dans le complexe, vous voyez les épreuves devenir aussi difficiles que... dangereuses. Et si la voix qui vous a accueilli à votre réveil vous a promis une récompense, certaines découvertes vous poussent vite à penser qu'il n'y a en fait aucune rétribution prévue pour vos efforts.
Mais au fait, à quoi peuvent bien servir ces tests ? Quelle est la logique derrière ces épreuves aussi tordues que dépourvues de sens ?
Pour autant qu'il y ait bien une logique derrière tout ça...
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce que je pense des jeux qui combinent action et réflexion, mais sans préciser que – selon moi – mélanger deux extrêmes aussi radicalement opposés peut difficilement donner un résultat satisfaisant : les joueurs orientés action y trouveront les puzzles rébarbatifs et sujets à casser le rythme de la partie, et ceux qui aiment la réflexion se verront dépassés par les passages exigeant précision et agressivité. En fait, ces titres souffrent d'une certaine timidité à s'engager résolument dans une de ces deux directions – ils sont en quelque sorte bâtards, faute d'un meilleur terme.
Et puis il y a des productions comme Portal. À partir de ce qui définit les FPS, soit la vue subjective, cette production pour le moins atypique s'articule en fait toute entière autour de puzzles, d'épreuves de réflexion et autres casse-tête. Sous ses dehors de jeux de tirs à la première personne, Portal n'utilise pourtant que des mécaniques de jeu cérébrales où le rôle des réflexes et de la précision reste en fin de compte mineur. En d'autres termes, Portal choisit son camp et n'y déroge pas. Voilà pourquoi j'ai pris plaisir à y jouer : à aucun moment je n'ai eu à me demander s'il fallait réfléchir ou bien foncer dans le tas – cette seconde option n'étant de toutes manières pas disponible ici...
Dans Portal, il n'y a que trois choses : le générateur de portails, la chambre de test où vous vous trouvez, et la sortie ; vous devez utiliser le premier pour parcourir la seconde de manière à accéder à la dernière. Pour ce faire, cet appareil – difficile de l'appeler une arme, même si vous aurez l'occasion d'en user dans ce sens – permet de disposer à distance et sur les murs, sols et plafonds des espèces d'ouverture à travers l'espace, comme des trous de ver en quelque sorte. Bref, des portails. Pour atteindre un endroit hors de portée, placez un portail près de cette zone, un second à coté de vous et passez à travers ce dernier pour déboucher via le premier là où vous devez vous rendre. Simple, non ?
En fait, ça dépend des situations. Si les premières chambres de test se montrent très accessibles, les suivantes proposent bien sûr une difficulté croissante, et notamment par l'intermédiaire d'accessoires supplémentaires. Parmi ceux-là, on peut citer le cube – un prisme dont toutes les faces sont carrées, comme son nom l'indique – dont le poids vous permettra d'actionner des sortes d'interrupteurs disposés sur le sol ; mais on peut aussi évoquer des dispositifs tirant des boules d'énergie létales pour votre personnage et qui servent à mettre en route divers mécanismes indispensables pour résoudre certaines situations. Je vous laisse la surprise des derniers accessoires, surtout ceux qui vous tirent dessus...
D'autres facteurs se montrent utiles aussi, pour ne pas dire décisifs. Le plus important d'entre eux reste cette capacité qu'ont les portails de conserver votre vitesse quand vous passez au travers d'eux. Ceci vous permettra de rejoindre des zones des salles de test qui se trouvent hors de portée du générateur de portails : en plongeant dans un portail depuis une hauteur, soit en acquérant de la vitesse, vous ressortirez du second à la même allure, ce qui vous donnera la possibilité de franchir des obstacles – une mécanique de jeu qui s'avère d'ailleurs vite assez grisante, pour ne pas dire vertigineuse, au sens le plus strict du terme, et même si elle se montre parfois un peu répétitive en fin de partie.
Et à ce sujet, justement, une fois le jeu terminé, ce qui peut arriver assez vite, et les développeurs de Valve Software ayant bien compris que leur titre n'avait qu'une rejouabilité limitée, vous obtiendrez l'accès à des challenges – c'est-à-dire la possibilité de rejouer les différents tests déjà réussis à un niveau de difficulté supérieur. Pour parachever le tableau, vous pourrez aussi tenter de remporter ces challenges en battant votre record de temps ou de nombre de portails utilisés – entre autres paramètres. Et puis bien sûr, compte tenu de l'immense popularité de Portal, vous trouverez une quantité pas croyable de mods pour prolonger votre expérience de jeu une fois la partie officielle bien terminée...
Mais Portal reste aussi un des (très) rares jeux vidéo à présenter une réelle portée symbolique. Car ce récit où un personnage qui semble tout ignorer de son passé, y compris son propre nom, et qui se voit obligé de résoudre des problèmes aussi tordus qu'insensés dans un milieu tout à fait inhumain et sous les injonctions d'un interlocuteur dont la courtoisie dissimule à peine la froideur, un tel conte évoque bien sûr une métaphore de l'individu perdu dans un corps social devenu incompréhensible et qui se trouve chargé de remplir des tâches dont la véritable portée lui échappe – bref, une personne réduite à l'état de simple rouage. Sous bien des aspects, d'ailleurs, Portal rappelle beaucoup le film Cube (Vincenzo Natali ; 1997).
Voilà pourquoi Portal s'affirme au final comme une réussite indiscutable du jeu vidéo. Parce qu'à des mécaniques de jeu résolument novatrices, il ajoute un sens véritable à travers une représentation de certains des excès de son temps, au lieu de se contenter de proposer une « simple » expérience de jeu somme toute aussi volatile qu'une autre.
Pour cette raison, ne manquez surtout pas Portal : il continuera à vous habiter encore longtemps après que vous ayez triomphé de la dernière chambre de test...
Récompenses :
- Game Developers Choice Awards : Jeu de l'Année, Récompense de l'Innovation et Meilleur Design de Jeu.
- IGN Entertainment : Meilleur Puzzle game, Design le Plus Innovateur et Meilleure Chanson de Générique de Fin ; mais aussi les honneurs du jury dans les catégories « Meilleur Puzzle game » et « Design le Plus Innovateur.
- GameSpot : Meilleur Puzzle game, Meilleur Nouveau Personnage, Jeu le Plus Drôle, et Meilleure Mécanique de Jeu Originale.
- 1UP.com : Jeu de l'Année, Meilleur Narratif et Meilleure Innovation.
- GamePro : Antagoniste le Plus Mémorable.
- Joystiq, Good Game et Shacknews : Jeu de l'année.
- X-Play : Jeu le Plus Original.
- Magazine Officiel Xbox : Meilleur Nouveau Personnage, Meilleure Chanson et Innovation de l'Année.
- GameSpy : Meilleur Puzzle game, Meilleur Personnage et Meilleur Acolyte.
- A.V. Club : Meilleur Jeu de 2007.
Notes :
Si Portal fut porté sur Xbox 360, une version intitulée Portal: Still Alive et sortie sur Xbox Live Arcade en octobre 2008 propose des niveaux inédits inspirés de Portal: The Flash Version, un jeu par navigateur développé par l'équipe de We Create Stuff.
L'unique séquelle à ce jour de ce titre, Portal 2, sortit fin avril 2011.