Après avoir rencontré un fort succès sur Playstation 1 avec l’excellente trilogie des Spyro, parmi les meilleurs jeux de plates-formes 3D de leur époque, Insomniac Games poursuit son travail chez Sony sur la Playstation 2 avec une toute nouvelle franchise qui deviendra la franchise phare du studio et l’une des plus importantes de son éditeur sur le long terme : Ratchet & Clank. Voyons si je trouve que tous les éléments du succès étaient déjà présents dès ce premier épisode dont le concept aura pris le temps de germer dans l’esprit de ses développeurs, qui enchaînait alors les prototypes peu concluants, avant de voir en cette aventure spatiale leur nouvelle grande idée après le petit dragon violet. Je vous propose de lire cette critique en écoutant le bien sympathique thème de Métropolis extrait de l’OST du jeu.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆
Le passage d’un petit dragon rapide et agile dans les airs à une créature plus humanoïde avec des armes change assez la donne pour les développeurs d’une saga à l’autre, ajoutant une dimension TPS et action-aventure au genre de la plate-forme, mais c’est très réussi. La prise en main est immédiate et les mouvements de base très bien pensés. Seule la caméra est peut-être un peu lourde, notamment pour les phases de visée, mais j’ai fini par m’y faire, de la même manière qu’il ne faut que 2 secondes pour se rendre compte que la direction inversée de la caméra est en fait la direction dite normale dans le menu, une petite erreur peu dérangeante.
Il y a bien quelques légères fautes d’ergonomie que je reprocherai tout de même à bien y regarder, comme le fait qu’il y ait beaucoup plus d’armes et de gadgets que d’emplacements sur la roue des actions rapides, forçant quelques allers-retours redondants dans le menu. Un peu de bon sens ici et là aurait permis de fluidifier tout ça, en rendant par exemple la sélection du crocheteur automatique quand on est sur un emplacement où on ne peut rien faire d’autre que crocheter, mais ces phases dans le menu ne sont pas horribles non plus, n’exagérons rien.
Tant qu’on parle de ces gadgets, leur répartition ainsi que celle des compétences et des armes à débloquer est très progressive sur l’ensemble de l’aventure, à la curieuse exception de l’amélioration de la barre de vie inexplicablement brutale. La seule fausse note qu’il y aurait, ça serait l’absence d’intérêt ludique des récompenses les plus difficiles à collecter tels que les boulons d’or ou les points de compétence, à moins de s’attaquer au poussif New Game +, mais c’est un choix cohérent avec la volonté de toucher le grand public et ça offre tout de même le challenge supplémentaire à qui le recherche. Cette progression si souvent marquée par les nouvelles possibilités de jeu à découvrir densifie et diversifie le gameplay très efficacement, tout en se reposant sur un concept pouvant facilement évoluer pour de futurs épisodes.
Parmi ces mécaniques de jeu, je me permettrais d’allouer quelques mentions spéciales :
- le swingueur, 15 ans avant de travailler sur la licence Spider-Man, Insomniac Games introduit une mécanique de grappin pour des phases de plates-formes très jouissives dans leur fluidité et gamin je ne pouvais m’empêcher de rester un peu swinguer juste pour le plaisir,
- le canon visiobombe, permettant de virtuellement explorer de grandes parties des niveaux à distance et de frapper fort n’importe quel ennemi pour préparer au mieux sa progression, les munitions sont si précieuses qu’il y a intérêt à bien réfléchir à l’usage tactique qu’on veut en faire,
- l’aspiro-canon, permettant de convertir des petits ennemis en puissantes munitions, l’arme permet de retourner les ennemis les uns contre les autres et de faire des dégâts très conséquents en peu de temps mais la stratégie peut vite se retourner contre nous si mal utilisée en nous laissant vulnérable et inoffensif.
Des phases de jeu originales parsèment ainsi l’aventure avec un bon équilibre entre de simples mais sympathiques réadaptations de séquences déjà vues dans les aventures de Spyro, comme la course à skateboard, mais aussi des passages inédits en vaisseau particulièrement appréciables dans un tel environnement spatial. Avoir bien distingué les capacités des deux personnages, l’un orienté sur le combat, l’autre sur la plate-forme, permet également de proposer des variations de gameplay assez intéressantes en séparant et en regroupant les protagonistes selon les missions. Quelques boss nécessiteront quelques essais pour bien choisir ses armes et comprendre la méthode pour en finir, avec un léger abus pour le boss final très long à vaincre, mais au moins son affrontement en est marquant. Il est difficile de s’ennuyer avec autant de changements ludiques.
Le level-design est très bien élaboré avec de nombreux raccourcis à débloquer pour parcourir bien plus rapidement un niveau une fois fini pour revenir aux endroits voulus, d’autant plus important que certains allers-retours seront obligatoires de par le déblocage de nouveaux gadgets offrant de nouvelles possibilités d’exploration. Le système de sauvegarde est assez intelligent pour compléter ce travail car il permet de sanctionner le joueur en le faisant revenir à un point parfois assez éloigné mais en ayant conservé l’accomplissement de défis facultatifs, la résolution d’énigmes… Le seul petit défaut qui en résulterait serait la nécessité de farmer des munitions pour les restaurer entre plusieurs essais, mais je trouve que ce système a ses avantages pour augmenter la tension et inciter à utiliser son arsenal intelligemment en tout temps. Ces grandes qualités sur le plan ludique se retrouvent aussi pour la réalisation et l’esthétisme du jeu.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Profitant du soutien de Naughty Dogs qui avait déjà l’expérience de la console avec Jak & Daxter, Insomniac Games est parvenu à aboutir à une réalisation très solide dès ce premier épisode. Les décors sont assez denses et vivants, les animations plutôt bien décomposées, la fluidité quasiment quasiment sans accroc, les niveaux sans aucun temps de chargement en leur sein… Seuls deux petits soucis techniques sont à regretter : certaines cinématiques assez aliasées et quelques retards d’affichage pour certaines textures, c’est tout. Il est à noter aussi que le jeu a été tellement pensé pour le hardware de son support original que ses différents portages et remasterisations ne sont pas toujours à niveau, mais je parle ici du jeu original donc je ne le relève pas comme un défaut.
Et si on veut pinailler à tout prix, la version française occasionne quelques petits bugs avec des textes trop longs mal intégrés dans quelques décors, pensés pour les phrases en anglais, mais c’est très rare et très anecdotique. Dans l’ensemble, la réalisation est donc très satisfaisante pour un titre de 2002, à une époque où la Playstation 2 enchaînait ses premiers grands titres démontrant sa puissance, Ratchet & Clank s’est imposé parmi les grands, dans l’estime comme dans les ventes, tout particulièrement dans son genre de jeu au coude à coude avec Jak & Daxter.
Cette belle ambition se retrouve aussi avec un petit sens de la mise en scène en temps réel pour du grand spectacle avec un avion bombardant un pont avant qu’on le traverse pour y faire apparaître les trous à éviter, le changement de gravité en temps réel alors qu’on se retrouve sur la coque extérieur d’un croiseur avec les vaisseaux tournoyant dans les airs autour de nous, la présence d’une multitude d’aéronefs vacants à leurs occupations alors qu’on parcourt l’environnement tranquillement… C’était vraiment poussé pour l’époque et ça contribuait à de sacrées sensations de jeu tout de même, surtout pour un jeu de ce genre.
Le contexte spatial permet la justification toute trouvée à l’enchaînement de décors naturels et artificiels tous plus variés et exotiques les uns que les autres, une des plus grandes forces du titre. Des cavernes aux champignons phosphorescents éclairant le chemin, des grandes villes au design futuriste avec toutes ces nouvelles technologie façonnant le paysage, des stations spatiales mettant en scène des vaisseaux de différentes tailles… on a un peu de tout et découvrir chacun de ces environnements est assez plaisant, oscillant très bien entre des environnements plutôt chaleureux ou plutôt anxiogènes.
Le design félin assez original de Ratchet combiné au design revisitant de façon mignonne celui du géant de fer du film d’animation éponyme est très efficace, même si ce chara-design sera un peu plus inégal pour les autres créatures extra-terrestres ou robotiques plus secondaires. Certaines d’entre elles peuvent en effet vite être dans le cliché cartoon très commun et peu intéressant, c’est dommage mais pas très grave non plus, d’autant qu’un effort peut être fait sur la diversité des designs Aliens pour des personnages secondaires. Par contre, l’aspect grotesque de la plupart des antagonistes, si ça se prête bien au ton léger du jeu, ce n’est peut-être pas ce que je préfère.
L’OST, composée par le français David Bergeaud qui se fera connaître pour son travail récurrent sur cette saga, accompagne gentiment notre aventure mais sans jamais réellement briller dans quelques domaines que ce soit. En revanche, elle a clairement son identité sonore avec ses emprunts electro mêlés aux instruments et elle sait rester en tête avec plein de courtes boucles sonores se répétant au sein des morceaux. Par ailleurs, si les armes à feu et les explosions sont légions, le sound-design reste adapté à un univers assez cartoon avec beaucoup de bruitages plutôt humoristiques ou légers, encore un bon point. Voyons maintenant un aspect peut-être un peu moins ambitieux mais pas négligeable ni négligé.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆
Le duo de personnages donnant son nom au jeu fonctionne assez bien avec un personnage investi dans le scénario qui rappelle constamment l’objectif principal et un personnage plutôt décontracté qui semble surtout vouloir profiter de ce prétexte pour s’amuser. L’intrigue l’exploitera assez bien en faisant diverger leurs opinions, en les amenant à se lancer des petites piques, en les faisant se retrouver autour de valeurs communes… Ce n’est pas non plus un duo de personnages légendaire à mon sens, mais c’est assez abouti et ça contribue bien à l’identité du titre.
Les doubleurs français font d’ailleurs un assez bon travail à cet effet avec un ton souvent caricaturé mais en accord avec leur perso, le ton condescendant de l’antagoniste, le ton enthousiaste de Ratchet… les principaux doubleurs français ayant déjà eu une petite expérience dans le milieu du jeu vidéo. Par contre, il est à noter que pour les doubleurs anglais, celui de Ratchet sera remplacé dès l’épisode suivant, ne convenant pas vraiment au personnage, et sa carrière se limitera à beaucoup de rôles tertiaires et voix additionnelles. C’est donc une petite erreur de casting sur le personnage principal dans la version originale.
Le ton de l’histoire est très léger avec beaucoup de gags burlesques, à l’image des inforobots présentant toujours avec humour la prochaine planète à explorer, même quand les enjeux pourraient être dramatiques et sérieux. Entre remarques d’un ton sarcastique et petits gags visuels de cartoon, les blagues ne sont pas toujours du meilleur goût mais la plupart du temps ça passe bien et c’est jamais lourdement appuyé pour forcer le sourire. C’est ce que l’on peut attendre d’un jeu de plates-formes et jamais le titre n’essaiera vraiment de surprendre ou de briller sur la question, simplement de faire correctement le travail.
Un message écologique et anti-capitaliste très simpliste se dégage de la trame principale avec cet homme d’affaires tyrannique désireux d’exploiter les ressources naturelles des planètes jusqu’à l’épuisement, qu’importe les coûts environnementaux et humains… C’est vraiment caricaturé à l’extrême, beaucoup de méchanceté gratuite et aucune nuance dans les intentions de l’antagoniste qui dicte le sujet du récit, mais j’apprécie tout de même le fond du message qui est très explicite et réel, se moquant des publicités mensongères devenues banales, des célébrités défendant des causes en toute hypocrisie…
Qui plus est, l’effort est assez louable pour rendre l’univers cohérent de nous faire récolter des boulons après avoir détruit des ennemis robotiques, mais c’est dommage qu’ils ne soient pas rester fidèles à ça tout du long en nous en faisant récolter quelques-uns sur des ennemis parfaitement organiques. Je pense qu’il y avait moyen d’intégrer des parties robotiques aux animaux pour contourner le problème et ça aurait été un petit plus sympa que vraiment tous les ennemis fracassés dans le jeu soient des machines et des véhicules. Ça aide aussi à ce que la violence exacerbée passe très bien à l’écran pour le jeune public.
Il y a par contre un dernier point scénaristique sur lequel je voudrais revenir avant de conclure :
L’introduction sous-entendait que Clank avait été un robot de guerre défectueux devenu instantanément rebelle par hasard, un petit twist en fin de jeu sous-entend plutôt que l’IA en charge des robots l’a créé ainsi intentionnellement. C’est à la fois un choix surprenant, porteur d’un petite intensité dramatique bien appréciable, mais aussi porteur de beaucoup de questions quand on analyse un peu l’intrigue. Pourquoi s’être rebellée contre Drex et ses plans ? Pourquoi créer un robot rebelle à ce moment du récit et pas avant ? Pourquoi le faire de petite taille et sans moyens de défense ? Comment ne pas s’être faite découverte entre temps ? Le scénario était trop minimaliste pour introduire un tel twist, mais il est tellement peu appuyé que ce n’est pas bien grave non plus, n’exagérons rien.
CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆
Insomniac Games réussit très bien son entrée dans la 6ème génération de consoles avec cette nouvelle franchise, qui avait pourtant encore tant à offrir par ses suites, grâce à un système de jeu ambitieux, à des variations de gameplay très nombreuses, à un level-design bien élaboré, à une réalisation très solide, à un univers spatial bien dépaysant, à une intrigue amusante et bienveillante… On sent bien que la formule a le potentiel d’être encore plus aboutie et développée sur la plupart de ces aspects, mais on tient déjà un grand jeu dès ce premier épisode de la saga.