Je m'y revois : 1998 environ, j'ai 6 ans. Mes petites mains, encore (presque) vierges de toute corruption vidéoludique saisissent le boîtier de Rayman, commandé par mes parents. J'ouvre le jeu, insère le disque dans la Playstation du salon familial, et contemple avec admiration le désormais cultissime jingle de SONY (vous savez, ce carré orange qui a provoqué des émois chez tout individu né après 1994). Le jeu démarre ; c'est coloré, amusant, vraiment attrayant. Musicalement excellent, à la jouabilité agréable, le titre m'emmène directement avec lui, jeune garçon naïf que j'étais.
Puis arrivèrent les envoyés du Diable, ceux qui aspirent l'âme des enfants pour en faire des biscuits apéro pour le cornu. Ces démons, à la forme bien trompeuse, se nommaient "Le Ciel Chromatique", "Les Montagnes Bleues", ou encore "La Crique aux Crayons". C'était plein de couleurs, d'ennemis rigolos, de de musiques toujours aussi marquantes. Mais quelle torture. Trop jeune pour affronter l'Enfer, je décidai de laisser tomber ce passe-temps du week-end, pour retourner jouer au ballon avec ma sœur.
Et puis, jeune homme, je me suis dit qu'il était l'heure de la revanche. Tel un Bruce Wayne en exil, je m'étais forgé un corps de gamer. Réflexes, logique, expérience, maturité, telles étaient mes armes, pour remettre le titre d'Ubisoft entre mes mains. Après l'évident orgasme du jingle de SONY, le jeu m'a renvoyé en 1998. Les menus, les sons, les images... Comme un blessé de guerre, j'ai décidé d'affronter ce passé douloureux.
Et bordel, quelle douleur.
J'avoue avoir été obligé d'utiliser un cheatcode de 99 vies pour finir le jeu. Les mondes que j'ai cités plus tôt sont revenus à la charge, et m'ont touché pile à l'endroit où il fallait attaquer. En jouant, j'oscillais entre la confiance du joueur confirmé, et la fragilité du petit garçon qui ne sait pas encore ce qu'est un jeu affreusement difficile. Arrivé un certain point, Rayman est à la limite de l'infaisable, tant la fourberie des développeurs devient omniprésente. Cependant, objectivement, le jeu est excellent d'un point de vue artistique. En plus de l'effet madeleine de Proust (enfin, madeleine périmée et coupée à la Javel), j'ai redécouvert de très bons thèmes, aussi bien sonores que visuels.
J'ai finalement vaincu le jeu. Le boss final, décevant en définitive, aura enfin plié le genou face à ma combativité. Mais reste en moi un goût amer, sous forme de question : si le moi de 1998 a souffert, combien sommes-nous au total ? J'ai mis 5 à Rayman, ce qui correspond à l'équilibre parfait entre l'horreur du gameplay et l'excellence artistique.
Rayman, tu resteras à jamais ma première Némésis