Il était une fois un jeu vidéo
Il y a des mauvais jeux, des bons jeux et il y a des Grands jeux, Red Dead Redemption fait définitivement partie de la troisième catégorie. Plus qu'un défouloir bac à sable le titre de Rockstar San Diego est une aventure qui vous attrape aux tripes pour vous les retourner. Le jeu est d'une maitrise absolue que ce soit au niveau technique, au niveau du gameplay mais surtout au niveau de son écriture, simplement renversante.
Techniquement tout d'abord le jeu affiche un terrain de jeu immense et distillant tout un tas d'ambiances aussi subtiles que travaillées. Du désert de sel de Punta Orgullo jusqu'aux forêt de Tall Trees en passant par les rocailles de Rio Bravo on en prend plein les yeux.
Non content d'offrir des paysages magnifiques avec une profondeur de champ monstrueuse ils y a en plus toujours un truc à voir prêt de soi. Que ce soit l'herbe qui vibre avec le vent, la faune qui s'agite à nos côtés, les étrangers qui galopent ou qui se battent ou simplement les nuages qui passent. Le monde de Red Dead Redemption est tout simplement débordant de vie, qu'elle soit sauvage, civilisée ou à la frontière des deux.
En plus d'être beau le jeu soigne ses personnages avec des animations très travaillées et variées (il faut voir les corps réagir lors des impacts de balles) et des visages bourrés de tics, de rictus et d'expressions diverses.
Une fois de plus chez Rockstar le soin apporté aux détails est vraiment hallucinant et contribue grandement à la qualité du titre tant la crédibilité qui en découle est impressionnante.
Le gameplay, ensuite, qui reprends les bases de GTA4 tout en améliorant quelques points tel un système de couverture plus réactif et une plus grande souplesse générale. Certes on pourra trouver le jeu un peu trop facile avec sa visée assistée par défaut et sa jauge de santé qui remonte mais ce n'est pas spécialement gênant dés lors qu'on est pris dans une fusillade; de plus foncer dans le tas façon Terminator ne marche plus une fois les premières heures de jeu dépassées, quand les ennemis deviennent plus nombreux, violents et mieux armés.
En dehors du dézingage, toujours plaisant, on peut faire une multitude de chose si le coeur nous en dit. On peut ainsi attraper des mustangs au lasso avant de les dresser, jouer au poker (jeu particulièrement réussi), chevaucher dans la plaine à la recherche de trésors ou chasser tout sortes d'animaux qui passent à proximité.
Une partie chasse d'ailleurs très présente en fait via des défis plus ou moins tordus et qui permet de diversifier les sensations de jeux, traquer un ours dans la neige en espérant qu'il ne vous charge pas dans le dos est une sensation aussi rare que grisante.
Certains argueront qu'on ne peut pas nager, ficelle certes un peu grossière pour cloisonner les régions qui ne se débloquent qu'après certains points de passage dans l'histoire. Mais voir un cowboy sans éducation ne pas savoir nager n'est pas vraiment choquant en soit (je ne pense pas que la pratique de la natation était très répandue au début du 20ème siècle hormis chez les populations littorales) et surtout on s'en fout totalement, en fait. Passé le désarroi initial (c'est vrai que c'est con de mourir noyé lors d'une poursuite) on ne revient même plus dessus.
L'écriture enfin, véritable pierre angulaire du titre qui le fait passer d'excellent jeu a véritable chef-d'oeuvre. Tout d'abord les personnages, nombreux sans l'être trop et qui possèdent tous leur personnalité, leurs qualités et leurs défauts. Qu'ils soient détestables, sympathiques ou plus ambigüe ils dégagent tous une vraie présence à l'écran.
Le jeu prend le temps d'asseoir ses situations, ses personnages et de les faire progresser sans précipitation et l'attachement ou le dégoût que l'on pourra ressentir s'installe donc naturellement.
Tout ceci est complété par un doublage de qualité au service de dialogues soignés.
Le héros, John Marston, est d'ailleurs d'un charisme simplement écrasant avec sa démarche plus cool tu meurs, sa voix rauque, son visage marqué par les épreuves et sa répartie cinglante.
L'histoire n'est évidemment pas en reste. Dans l'Ouest plus si sauvage que ça John Marston, ancien Hors-la-loi patenté reconverti en fermier, cherche ses anciens complices afin de leur faire connaître le goût de la justice. Il ne fait cependant pas ça par grandeur d'âme. Non, il est contraint par des agents fédéraux qui retiennent sa famille en otage pour l'obliger à faire leur basse besogne. Pris dans l'étau Marston se met en chasse, une quête qui va l'emmener plus loin qu'il ne saurait le concevoir...
Évidemment comme tous les jeux bac à sable on peut effectuer une tonne de missions annexes et participer à des tas de services aléatoires, ainsi l'appréciation de la narration peut changer et se diluer si on a tendance à se balader. Néanmoins, et c'est là où on constate la grande force de Rockstar dans le domaine, la trame principale reste accrocheuse tout du long et elle ne s'éparpille pas. Que ce soit d'un point de vue géographique ou sur le nombre d'intervenants on n'est jamais perdu. C'est condensé, ramassé si bien que celui qui veut aller droit au but peut le faire sans contraintes, il n'a pas toute la carte à traverser inutilement et sais toujours qui lui a confié la mission et pourquoi. Parallèlement celui qui veut profiter du grand Ouest et explorer cette vaste étendue pourra le faire sans jamais s'ennuyer et revenir aux missions narratives sans perdre le fil.
Le déroulement n'échappe pas à certains écueils, comme la partie au Mexique qui aurait méritée d'être raccourcie d'une poignée de missions qui ont tendance à se répéter.
Le titre n'est pas parfait évidemment. On pourra aussi parler des bugs entrainant des personnages volants ou des femmes transformées en ânes, ces bugs existent et Youtube est là pour nous le rappeler. Cependant ils ne sont pas si fréquent que ça (pour tout dire j'en ai eu seulement deux de vraiment perturbant au cours de la quarantaine d'heures passées sur le jeu).
Il y aura aussi le challenge tout relatif du titre qui pourra gêner ceux qui évaluent la qualité d'un jeu au nombre de quickload effectués avant de le finir.
Mais la puissance narrative du dernier tiers du jeu annihile tous ces défauts, la dernière ligne droite de Red Dead Redemption pulvérise (oui le mot est fort mais il est juste) bon nombre de production vidéo-ludique.
ATTENTION SPOILERS DANS CETTE PARTIE, NE PAS LIRE AVANT D'AVOIR FINI LE JEU.
Entre un duel contre Dutch qui ne tourne pas comme on l'attendait et qui se finit de manière étrangement éthérée et mélancolique, et toute une section de retrouvailles avec la famille faisant la part belle aux plaisirs simple de la vie de fermier on peut dire que le jeu prend des risques et dose ses effets.
En effet comment ne pas ressentir le sacrifice qu'à consentit Marston en tuant ses anciens frères ? Comment ne pas être simplement dégoûté de son sort lorsqu'on a vécu son bonheur enfin retrouver ?
L'injustice et la colère n'a que rarement était aussi palpable et bien rendue.
Le face à face de Marston lorsqu'il sort de la grange est un pur moment de génie. Le découpage qui précède cette sortie est simplement exemplaire avec ces plans millimétrés et ce long silence pesant et lorsqu'il ouvre les portes, l'air résigné, on assiste à un duel au ralenti, interactif mais que l'on sait d'avance complètement perdu. En désespoir de cause on aligne autant de cibles que possible, pour l'honneur, pour tout ce qu'on a accompli jusque là... mais le sort de Marston ne nous appartient plus et quand il tombe on tombe avec lui.
Séquence tout simplement grandiose, d'autant plus qu'elle passe aussi par le gameplay avec l'utilisation du "Dead Eye", jusque là mode de visée nous rendant quasiment invincible, qui ne peut plus rien pour nous... à part rester digne. A ce moment là on sent tout le poids du sacrifice de Marston.
FIN DU SPOILER, VOUS POUVEZ CONTINUER À LIRE SI VOUS N'ETES PAS ENCORE DÉCOURAGÉ
En plus de ce dernier tiers proprement hallucinant de maîtrise et de puissance le titre profite d'une richesse et d'une intelligence remarquable.
Que ce soit à travers ses personnages où certaines missions Red Dead Redemption passe au crible la naissance de la nation Américaine moderne, met en lumière les espoirs et contradictions d'un peuple dominé par la violence et qui se réfugie dans les simulacres et autres faux-semblants alors même que toutes ses valeurs s'effondrent. La "simple" séquence d'ouverture dans le train, dont le trajet fait le lien entre la civilisation moderne émergente et le crépusculaire Ouest sauvage, suffit à mesurer l'importance de ces thématiques dans Red Dead Redemption.
Thème déjà récurent dans les GTA modernes et qui trouve ici son exploitation et son exploration la plus habille et la plus pertinente qui soit.
Certains nous ont parlé de maturité du média à grand renfort de phrase toute prêtes et de matraquage... ici le jeu s'exprime et impose sa maîtrise et sa maturité tout seul, calmement mais de façon indéniable.
Rockstar San Diego offre ainsi plus qu'un simple shoot en chapeau sur fond de banjo, le jeu est une véritable réflexion sur les fondations de l'Amérique moderne, le genre humain et la façon dont les mythes sont façonnés puis démantelés. On explorera autant la légende que ce qu'il y a derrière, Abraham Reyes ou Landon Ricketts en sont les exemples les plus évidents.
Après tout ce n'est pas un hasard si le jeu se déroule et se finit à la veille de la première guerre mondiale, point de rupture historique de nos civilisations modernes.
En fait Red Dead Redemption a tout du grand Western, peu importe qu'il soit un jeu vidéo il mérite sa place aux côtés des meilleurs John Ford, Sergio Leone, Peckinpah et autres Clint Eastwood.
Puisqu'on en est là (hé non, ce n'est pas encore fini !) revenons un peu sur les influences de Red Dead Redemption, rapidement c'est promis. Si le titre fait des clins d'oeil réguliers à différents films, il a la délicate intelligence de ne pas se reposer dessus. Évidemment de part sa place tardive dans l'histoire de l'Ouest et sa tonalité désabusée le film se rapproche d'avantage de "La Horde Sauvage" ou "Impitoyable" que de "La prisonnière du désert" ou de "Réglement de compte à Ok Corral", mais il arrive à conserver une vraie personnalité et une vraie originalité.
Une vraie Gageure dans un genre qui fût essoré et galvaudé par un nombre astronomique de films.
Red Dead Redemtion est tout simplement un très grand jeu, inutile d'en dire plus que ce que j'ai déjà écrit, je crois que tout est là. Un jeu qui vous implique et vous retourne de la sorte c'est rare. S'il n'est pas exempt de quelques défauts Red Dead Redemption les transcende par des qualités soufflantes et offre une expérience totale. Violent, contemplatif, triste, drôle, étouffant, beau... Red Dead Redemption est tout cela, capable de passionner avec des gunfights endiablés aussi bien que de réjouir avec le simple spectacle du soleil se couchant sur le désert.
S'il y a bien un adjectif qui résume Red Dead Redemption, et qui aurait pu vous épargner la lecture de cette longue critique, c'est:
Mémorable