Le premier titre du studio parisien Dontnod est un jeu malade, coincé entre des ambitions AAA et des velléités d'auteur, entre des promesses de monde ouvert et des choix linéaires assumés.
Ce qui frappe immédiatement dans Remember Me, c'est sa direction artistique, sûrement une des plus inspirées de 2013. Pour qui connaît Paris, diriger Nilin, son héroïne, dans les rues du St Michel de ce Neo-Paris (une version de la Capitale d'après bombardement entre vestiges haussmanniens et immenses gratte-ciels) est une première expériences en soi. Une traversée fascinante mais si courte que la frustration s'invite irrémédiablement chez le joueur qui se prenait à rêver à jouer les touristes dans d'autres lieux parisiens. Le reste (les 3/4 du jeu) revêt une ambiance (réussie) à la Blade Runner avec bas fonds sordides, tours impersonnelles et intérieurs futuristes. Du bon et du beau travail créatif, mais déjà vu ailleurs, un peu trop dans les chaussons de la SF classique.
Le background du jeu, très fourni, subit un peu le même régime drastique, pad en mains. Pour en apprendre d'avantage sur ce Neo-Paris de 2084 (référence à Orwell bien sentie), le commerce des souvenirs, la corporation Memorize ou les Errorists... il faudra passer par la plate lecture de fiches descriptives, intéressantes et documentées mais dont on aurait aimé voir les éléments mis en scène dans le jeu afin donner vie et matière à un environnement beaucoup trop statique et vide. On sent le travail créatif colossal derrière Remember Me (Briclot, Damasio quand même...) mais, à la différence d'un Bioshock, on ne le voit pas toujours quand on y joue. Il reste une ambiance, une toile de fond au service d'un jeu linéaire et de l'histoire directe d'une jeune femme sans souvenirs.
A la manière des jeux Capcom, qui a repris le projet passé d'abord chez Sony à l'époque où il se nommait Adrift, Remember Me est un jeu linéaire en environnements fermés. Le gameplay se divise en 3 sections : la plateforme, le combat et les phases de Memory Remix.
Si les phases de grimpette permettent d'admirer le formidable travail créatif sur l'architecture de Neo-Paris, elles se révèlent aussi peu intéressantes à jouer que celles d'un Uncharted ou d'un Lord of Shadow. Tout est balisé et automatisé pour favoriser le spectaculaire et le sans risque. Pas désagréables mais tellement jouées ailleurs sur cette gen. Quelques énigmes à base de puzzles et de mécanismes cassent un peu cette monotonie de voltige avec filet.
Le système de combat se montre plus inventif, quoiqu'un peu sec et limité dans le dernier tiers de l'aventure. Basé sur le combo, ce système demande observation, timing et mémoire (ça tombe bien). A l'intérieur du Combo Lab, le joueur est invité à créer ses propres combos à base de carrés et de triangles. Il dispose pour cela de plusieurs espaces et de touches à débloquer au fur et à mesure de sa progression. Chaque ligne de combo permet de créer des enchaînements qui causeront des dégâts, permettront de regagner de la vie ou bien de l'énergie nécessaire pour déclencher des furies. On pourra se créer des combos full dégâts par exemple (en utilisant notamment les touches "chaines" qui, placées le plus loin possible dans la ligne de combos, permettent de multiplier l'effet désiré) ou bien des combos mixtes qui infligeront moins de dégâts mais permettront à Nilin de regagner de la vie. Une excellente idée qui oblige le joueur à être créatif et surtout à parfaitement mémoriser ses quelques combos et à les utiliser à bon escient selon la situation et les ennemis. Dommage que les possibilités soient réduites (4 lignes pour deux boutons et quatre effets) car une fois ses 3 principaux combos créés, on n'y touchera plus vraiment.
En action, ce système fonctionne très bien, malgré une caméra pas toujours au point (pourquoi ne pas avoir implémenté un système de lock ?) et une esquive un peu trop efficace mais qui a l'avantage de ne pas casser la chaîne de combos (on peut reprendre son enchaînement après une esquive).
Les Memory Remix sont des séquences qui mettent en scène la capacité de Nilin à changer le souvenir d'une personne pour altérer la réalité immédiate. Peu nombreuses, ces scènes sont des parenthèses bienvenues entre le flot plateformes et combats. Après avoir regardé le souvenir d'un personnage, le joueur est invité à rembobiner et/ou à accélérer la séquence afin de trouver des failles et à modifier le contenu du souvenir. L'interaction est assez limitée et on agit parfois un peu au hasard mais une fois la mécanique comprise, on tente de modifier le cours du souvenir en fonction de l'objectif demandé, de la manière, disons, la plus logique.
Remember Me est un jeu coincé entre plusieurs genres, entre plusieurs intentions et même plusieurs directions. On aimerait qu'il soit ça quand il file irrémédiablement vers autre chose. Mais il demeure une œuvre singulière, fragile comme les souvenirs perdus de son héroïne, attachant autant par sa direction artistique (la musique d'Olivier Deriviere y est pour beaucoup) que par ses idées originales de gameplay (le Combo Lab, les Memory Remix) qui exploitent habilement le thème du souvenir et de la mémoire. Il est un trait d'union entre deux clichés, entre le AAA classique et balisé et le jeu d'auteur libre et expérimental. On ne sait jamais très bien si Remember Me a la grâce d'une ballerine ou la lourdeur forcée d'un éléphant. Un peu des deux sans doute, si bien que quand on pensait l'enterrer, on ressent l'envie de le sauver et de le défendre pour les bulles qu'il offre dans son cadre si figé. Il s'en dégage une réelle émotion, certes un peu froide, mais souvent plus humaine que celle, forcée, d'un Beyond (le jeu de Dontnod partage quelques thèmes communs avec le jeu de Cage). Oui on se souviendra de Remember Me, comme d'un joli paradoxe mémoriel.