Resident Evil, ou peut-être faut-il préférer l’explicite du titre japonais, Biohazard, a toujours été une histoire de corps. Le moment fondateur de la saga, au début du premier épisode, est l’apparition d’un corps difforme : une silhouette, se relève lentement et nous découvre un masque d’épouvante. Depuis, se sont multipliés les corps torturés des zombies, ceux boursoufflés, grotesques, des Bandersnatchs (CODE : Veronica) ou des Gigantes (Resident Evil 4). Et puis il y a les corps hyperbolisés des héros capcomiens : la musculature imposante de Chris Redfield, la détermination tout en nerfs de Jill Valentine, la violence élégamment contenue de Leon Kennedy… Malgré leur apparente assurance, ces personnages sont embarrassés par les angles de caméra, contraints par la rigidité des commandes : ils se confrontent ainsi corps à corps à l’horreur, qui les empoigne, les agrippe, les saisit. En adoptant une vue à la première personne, Resident Evil 7 n’a pas pour autant fait abstraction de la chair. Il la place au contraire au centre du cauchemar qu’il nous fait vivre. [...]
Ne nous laissons pas prendre aux archaïsmes dont le jeu est parsemé : les références aux classiques de l’horreur des années 70-80 – on pense énormément à Tobe Hooper — les cassettes vidéo, le magnétophone pour sauvegarder sont autant de fausses pistes, qui ne doivent pas nous faire oublier à quel point Biohazard 7 est un jeu contemporain. S’il adopte la vue subjective, c’est qu’il s’agit d’embrasser la VR ; mais même sur un écran traditionnel, le jeu exploite les progrès considérables de l’animation, toutes les techniques permettant de donner au joueur l’illusion du corps de son avatar, de susciter ce que les anglo-saxons appellent « body awareness ». Donner la sensation que l’avatar est en contact avec le monde qui l’entoure, suggérer le toucher, l’équilibre : autant de directions de recherche qui mobilisent les grands studios, et où les avancées se font à grands pas, qui se nomment par exemple Mirror’s Edge (DICE, 2008) ou Tomb Raider (Crystal Dynamics, 2013). Dans sa manière de nous donner un corps, de le traîner, de nous cogner, Resident Evil 7 est peut-être un des jeux à la première personne qui va le plus loin dans l’imitation de la proprioception, cette capacité innée à sentir son corps, ses membres, leur position dans l’espace. Ethan, le personnage que nous contrôlons durant la plus grande partie du jeu manque peut-être de caractère, mais sa présence physique est indéniable : ce sont des mains entaillées, des jambes tremblantes, un regard ensanglanté que nous incarnons.
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