Road 96 est un rogue-lite narratif. Enfin, à peu près. On joue un.e adolescent.e essayant de s'enfuir d'un pays fasciste """fictif""" (pas les USA, non non) pour traverser la frontière au nord (pas le Canada non plus, raté !). À chaque réussite ou échec, la partie est terminée et on incarnera un.e autre protagoniste pour tenter une nouvelle échappée. Cette grande traversée est motivée par une raison somme toute valable : il se dit que le gouvernement traque les adolescents pour les envoyer dans des camps de concentration (oui oui).
À chaque partie, la génération procédurale va piocher dans une banque tout à fait finie de situations fait-main. Dans ces situations, on y retrouve des personnages récurrents dont les chemins sont amenés à se croiser à multiples reprises.
Le gameplay étant très limité (on se déplace, on ramasse des objets, on dialogue, et on doit gérer sa faim et sa fatigue de manière très superficielle), le jeu n'a pas d'autre choix que de tout donner sur son histoire, son ambiance et ses dialogues, à la manière de n'importe quel walking simulator. Et il échoue malheureusement sur tous ces points.
Déjà, comment faire un jeu sur le road trip, l'aventure et la fuite en avant en nous cloisonnant autant dans des environnements si restreints ? Comment évoquer l'immense superficie de ce territoire et les populations entières affectées par le fascisme quand on rencontre toujours les 10 mêmes personnages à n'importe quel endroit du pays ?
Et encore, si les personnages et les dialogues avaient été bien écrits, ça aurait pu fonctionner. Mais on est souvent face à des stéréotypes qui montrent la plus grande faiblesse du jeu : celui de n'avoir rien à dire de pertinent sur la montée du fascisme aux États-Unis alors qu'il a été développé au beau milieu de l'aire Trump.
Il parle de régime totalitaire, un tout petit peu de post-vérité, mais se met à bredouiller dès qu'il s'agit de résistance active, illustré par ces choix ridicules dans un paquet de dialogues qui se résument littéralement par ("Il faut se battre en déchirant des affiches !", "Il faut simplement voter pour le parti démocrate !", "Je m'en fous, je suis apolitique, j'essaie juste de quitter le pays"). Pas non plus un mot sur le racisme, la misogynie, l'oppression systémique des populations minoritaires, pourtant inhérent aux régimes fascistes. Le jeu présente une galerie de personnages aux motivations et idéaux divergents, mais refuse de prendre parti quant à ceux qui participent activement au maintien du fascisme (peut-être que la présentatrice vedette de l'équivalent de FOX News est juste un peu bêbête, peut-être que cette policière a bon fond et ne croit pas dans les camps de concentrations juvéniles...). Résultat : on lève les yeux au ciel dès que le jeu tente d'avoir un propos.
Il y a quelques bons passages, ce sont ceux où le jeu se tait un peu pour se concentrer sur des ambiances, ici dans un camping, sous un ciel étoilé à jouer du trombone de manière complètement éclatée, là dans une chambre de motel miteuse à prier pour que le serial killer nous épargne avec des fulgurances de tension dans la mise en scène. J'aurais préféré que le jeu ne soit qu'une suite de ces moments, car sa plus grande errance, c'est d'avoir voulu faire le premier jeu antifasciste apolitique.