La faiblesse de la peinture et de illustration par rapport aux autres médiums c'est qu'une fois vues, elles sont condamnées à perdre en intérêt et à prendre la poussière sur une étagère, aussi marquantes peuveut-elles être. Ce qui fait que des oeuvres visuelles interagissent sur la durée avec ses admirateurs, c'est le prétexte. Cela peut être un film, une bande dessinée, un jeu de société, un jeu vidéo. Le mérite insoupçonné de ces autres médiums est de nous permettre de rencontrer à nouveau les univers esthétiques qui nous sont pourtant chers.
Scorn a très vite capté l'attention de beaucoup de monde tant l'ambition s'annonçait folle et radicale : créer un jeu capable de retranscrire les travaux de H.R. Giger et Zdzisław Beksiński, tout cela avec un haut niveau d'authenticité et de détails.
Des années d'attente, de scepticisme parfois, puis six heures de jeu plus tard, me voilà agréablement surpris, marqué et enchanté par cette aventure parfaitement dérangée.
Les auteurs n'ont décidément pas cédé aux sirènes de l'industrie et aux goûts du joueur moyen, et ce qui a compté comme défauts pour les joueurs égarés et désormais mécontents, sont pour la majorité de vraies qualités à mes yeux :
- Pas de dialogue, de texte, de narration explicative. C'est au joueur de s'approprier ce qu'il voit et d'interpréter l'histoire.
- Quasiment pas d'action. Le jeu n'est pas un énième Doom-like/Dead Space. 75% d'exploration et de puzzles, 25% de combats.
- Pas de jumpscare, pas de récit "train fantôme" comme les derniers Resident Evil ou jeux indés de Steam. L'ambiance est dérangeante parce que l'on voit ou ce que l'on fait, plutôt que par des effets de mises en scène usés.
- Relativement court. Cela peut être frustrant si on paie le jeu au prix fort hors Game Pass, mais j'apprécie la concision (peu fréquente) dans les jeux vidéo. Ce que certains peinent aussi à réaliser aussi c'est la somme de travail demandée par un projet tel que Scorn. Dans la plupart des jeux, les artistes peuvent éventuellement acheter des assets 3D à moindre coût, les modifier vite fait, pour économiser du temps de conception sur les décors. Pour un univers tel que Scorn, quasiment tout doit être fait à la main, il n'y a pas de raccourci, en plus de demander un effort de recherche renouvellé à chaque décor, et ce même si le projet est inspirée intiallement par d'autres artistes.
J'avais vraiment envie de donner 10/10 à ce jeu mais malheureusement différents bâtons viennent quand même se mettre dans les roues du joueur :
- Certains puzzles ne sont pas clairs et peuvent générer de la frustration.
- Une interface perfectible. Par exemple il est impossible de voir clairement combien de "pression" est disponible sur la première arme, notamment lorsqu'on se fait attaquer (l'écran devient flou).
- Quelques bugs et des checkpoints mystérieusement éloignés.
- Le jeu commet parfois l'erreur classique, bien que minime en terme d'impact, de créer des environnements qui sont conçus pour le joueur et non pour l'univers lui-même. Pour illustrer sans révéler : dans certains FPS de guerre en ligne il y a des maisons sur le champ de bataille, mais comme par hasard il n'y a aucune table, chaise, lit dans ces maisons pour que les joueurs puissent circuler facilement. On peut retrouver ce genre de dissonance dans la dernière partie de Scorn.
Pour conclure, je pense que la réussite de Scorn est d'avoir embrassé sans trahir le défi qu'ils se sont imposé, là où la grande majorité des développeurs fans de ces univers visuels auraient réduit ces sources d'inspiration à la toile de fond d'un jeu mainstream qui flatte l'égo du joueur.
À l'image du reste, les flingues et les combats sont complètement éclatés, au détriment du joueur mais au bénéfice de l'immersion. La fin ne cherchera pas non plus à vous brosser dans le sens du poil. Nous ne sommes pas les maîtres de cet univers, nous ne sommes pas là pour être rassurés, nous ne comprenons pas la moitié de ce qu'il se passe ici. Comme les personnages, nous voulons juste survivre et fuir cet enfer sans nom.
Il est très difficile de rendre hommage à des univers visuels si opaques sans en perdre la magie lors de l'adaptation. Si Scorn ne s'est pas complètement affranchi avec succès de ses obligations ludiques, il a le mérité d'avoir préservé, réanimé les questions et les sentiments que nous avions éprouvé la première fois que nous avions découvert ses oeuvres de référence.