Le Sengoku Jidai touche à sa fin, et les derniers daimyos s’effondrent dans l’implacable unification d’un État hégémonique. Les armées du shogun se massent aux portes du clan Ashina, dont le légendaire fondateur, le Kensei Isshin, est à l’agonie. La province dévastée est désespérément défendue par une poignée de samouraïs à l’abnégation héroïque, condamnés par orgueil à une ultime résistance. Face à l’oblitération totale de leur clan, les Ashina placent leur dernier espoir dans le sacrifice rituel de l’Héritier Divin : un enfant dont le sang permet de ressusciter les morts, mais aussi le maître que vous avez juré de défendre sur le code de fer.


Sekiro n’est pas une histoire de vengeance, et vos ennemis sont encore plus désespérés que vous. Car, si vous accomplissez votre objectif, vous anéantiriez assurément toute trace de leur clan. Pourtant, coûte que coûte, résurrection après résurrection, il vous faudra secourir l’Héritier Divin. Mais souvenez-vous que vous n’êtes qu'un vulgaire shinobi dans un monde de samouraïs. Vous n’êtes pas le plus fort, pas le plus résistant, ni même le plus endurant. Votre seul avantage, c’est que vous n’avez pas d’honneur à défendre : seul face à l’armée des Ashina, c’est la ruse et la fourberie qui vous permettront d’arriver à vos fins.


Car si Dark Souls était difficile, Sekiro est brutalement dur. Adieu les builds gros bill et la coopération en ligne : c’en est fini des modes faciles. Si les Souls requéraient préparation, analyse et patience, Sekiro exige une parfaite connaissance des ennemis au service de réflexes surhumains. C’est un apprentissage par renforcement négatif, une boîte de Skinner à grands coups de katanas dans les dents. On échoue, encore et encore, égaré à tâtons dans un traumatisme permanent, à la recherche d'un ultime triomphe expiatoire.


Vous vous amuserez peu dans Sekiro. La première partie est une longue série de frustrations jalonnée de victoires éphémères. L’exploration de ses vastes niveaux ouverts s’achève en portes fermées et en boss invincibles. Certains vous bloqueront pendant des heures, frustré, à tourner en rond, chaque mort contribuant à propager l’épidémie qui infectera tous les PNJ. On se retrouve là, désœuvré, au milieu de personnages à l’agonie culpabilisante, écho moqueur de développeurs témoins de notre propre médiocrité.


C’est le symbole d’un changement de philosophie, vers un authentique masochisme. Les Souls ne sont pas aimés en dépit de leur difficulté : ils sont appréciés car leurs récompenses sont à la hauteur de leurs exigences. On a mérité de tuer ce boss. On a mérité de sauver le monde. Ce sont des jeux qui parlent d’espoir en se confrontant à la pire adversité, aux plus grands périls, entouré par la dépression de personnages trop conscients d’avoir eux-mêmes échoué. Le joueur est condamné à ressusciter, encore et encore, jusqu’à terminer Dark Souls, ou l’abandonner comme son héros renonce à la conscience.


Personne ne vous prendra par la main dans Sekiro : il n’y a pas d’espoir au bout du tunnel. C’est un jeu avare en moments de bravoure, dont le mérite indéniable se dispute constamment à leur coût exubérant. Certes, vous finirez par traverser des rangées d’ennemis dans des massacres chorégraphiés. Vous achèverez sans une égratignure des boss qui vous terrifiaient à votre première rencontre. Mais cela en valait-il vraiment la peine ? Ces heures de sacrifice méritaient-elles ce résultat ? Je n'ai malheureusement pas de bonne réponse à apporter. Chacun forgera sa propre opinion, de laquelle découlera son appréciation générale.


Sekiro est fondamentalement un compromis différent de celui des Souls. Une expérience plus ciselée mais moins riche, des niveaux plus grands mais moins nombreux, une histoire plus claire mais moins originale. C’est un étrange seppuku commercial, en équilibre entre une difficulté redoublée et une casualisation de sa progression. La profondeur et la complexité de ses combats se monnayent au prix d’un manque flagrant de diversité. Et malgré tous ses dialogues et toutes ses cinématiques, il est incapable de formuler un message aussi cohérent que ses illustres aînés.


Sekiro est peut-être le Dark Souls des Dark Souls, mais c’est avant tout un jeu immense. Une proposition radicale, complètement folle, d’un challenge au-delà de toute attente. Une maîtrise des combats burinée au corps, dans la douleur, jusqu’à ce que chaque réaction devienne un réflexe. L’apprentissage sans guide ni réconfort d’une furieuse symphonie, une partition à la fois, par-delà la frustration et le désespoir. Mais quand on recommence finalement Sekiro, c’est pour contempler l’œuvre du chef d’orchestre Miyazaki. Les coups s’enchaînent, tous parfaits, dans l’épiphanie générale du génial système de combat. Et si la première partie est celle de la frustration, la seconde devient celle de la vengeance. Personnellement, je pense que ça en valait la peine.

Antigoomba
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes 30 ans de GOTY, E3 2018 : Les jeux les plus marquants et Les meilleurs jeux vidéo de 2019

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le 25 mars 2019

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Antigoomba

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