Aux prises avec ce jeu depuis plus de deux mois, j'en viens à bout exactement vingt ans après sa sortie le 30 octobre 1992. Au jour près. Expérience un peu mystique - à défaut d'être ludique - dont je vais mettre un certain temps à me remettre, MegaTen est l'un des plus douloureux chemins de croix auxquels un jeu vidéo m'ait jamais confronté. La difficulté brute, numérique (s'agissant d'un RPG), n'est pas en cause puisque le soft se modère assez bien là-dessus. Les fautifs sont la structure et le rythme. J'en viens à croire que le dessein des concepteurs était de saper le joueur avec le plus grand zèle, de le briser en deux à chaque tournant, de dévorer en fait son appétit même d'aventure. Autant dire que face à cet écran de fin, martyre et béat, le soulagement est délectable.
Chaos. Mon alignement dans le jeu, mais plus encore mon état psychologique pendant et après chaque session. La bataille menée avec mon propre rapport au jeu, le grand écart mental entre admiration souterraine et rejet violent du supplice organisé auquel j'étais constamment soumis, se sont avérés infiniment plus éprouvants que n'importe quelle difficulté intrinsèque à l'aventure. Échoué dans un invraisemblable dédale couloirisé, excédé par d'innombrables rencontres aléatoires, j'ai stoppé net ma progression environ une quinzaine de fois, juste en surface, par découragement pur. Je me suis indigné souvent, j'ai haï les gens à qui je devais autant de remous internes mais je tenais plus encore à tirer jusqu'au dénouement de l'histoire. Orgueil, ou désir d'accorder une chance à la saga dans son ensemble sans évacuer par facilité son principal point de départ.
Shin Megami Tensei n'est pas un bon jeu en tant que tel. Du tout. Ce que l'excellente moyenne qu'il récolte un peu partout (toujours grâce aux bons soins d'une poignée de fanatiques dont j'admire le sacerdoce) occulte un peu vite. Bien-sûr il est unique, opposant aux enjeux courants du jeu vidéo une tension cosmologique idéale et classique entre ordre et chaos qui rejaillit assez finement sur les caractères narratifs et symboliques du titre ainsi qu'au niveau des choix les plus conséquents qu'aura à effectuer le joueur. Sauf que l'ensemble est frappé d'indigence presque en tout point, qu'il s'agisse de son visuel déprimant tout juste contrebalancé par un chara-design fouillé, ou de la conception des niveaux qui cède au labyrinthisme le plus détestable et aux vices du piège et de la privation de repères.
Impossible pourtant de m'extraire à son étrange pouvoir, pris sous le coup d'une malédiction implacable. Et puis, enfin libre et apaisé, je m'en vais en quête de vitalité afin de recharger mes batteries psychiques... jusqu'au redouté mais inexorable deuxième épisode.