La saga des Shin Megami Tensei est la chasse gardée des hardcore gamers les plus inconditionnels. Et pourtant, elle est avant tout connue du grand public par un spin-off : La série des Persona, qui depuis le troisième épisode est clairement une série de premier plan dans le monde du JRPG.
Je ne saurais dire si Persona 4 est dans la droite lignée de ses prédécesseurs ou encore des SMT en général puisque je ne suis familier ni des uns ni des autres. Cependant, c'est un jeu d'une grande fraîcheur à défaut d'être innovant. En effet, la "double structure" du jeu qui alterne entre phases de purs donjons RPG et simulation sociale au sein du lycée d'une petite bourgade japonaise change clairement de l'exploration linéaire des JRPG classiques et des univers heroïc-fantasy éculés.
Le système de combat est d'une grande richesse stratégique et technique, et la difficulté n'est jamais injuste, malgré l'habituel grinding, cependant bien loin des canons du D-RPG. En parlant de cet aspect du jeu, il faut souligner la qualité des donjons, inventifs et thématiques. Dommage que le level-design soit généré aléatoirement. Je peux comprendre l'intérêt de cette mécanique en terme d'exploration et de codes du genre à respecter. Néanmoins, il est bizarre que les D-RPG japonais aient toujours recours à un procédé aussi paresseux quand ils portent dans leur titre le label "donjon"... il aurait été plus appréciable, selon moi, de proposer ce genre de conception labyrinthique pour des donjons annexes (qui font défaut au titre d'ailleurs) Qu'importe, l'exploration est grisante et agréable grâce au cadre seul des donjons, à chaque découverte du nouveau le plaisir est renouvelé.
L'histoire brasse thèmes et symboles et les fond dans un seul moule. A partir d'une enquête policière qui repose entièrement sur la logique, la trame déborde sur le drame, l'occulte, mais aussi très souvent la comédie. Les auteurs ont eu l'intelligence de donner une explication totalement plausible au mystère avant tout ; mais pour le joueur assoiffé de vérité, il faudra creuser le mystère un peu plus loin pour obtenir la vraie fin, porteuse d'explications métaphysiques qui font plus office de "bonus" que de réels éclaircissements. Et c'est très bien comme ça. L'intrigue vous baladera de faux coupables évidents en retournements de situations inattendus, et traitera de thèmes divers en raison de la grande versatilité du casting, dont les personnages devront affronter les démons intérieurs. Le tout est extrêmement décompressé et tire cependant un peu en longueur, dans la mesure où c'est le joueur qui mène l'histoire et qui peut la débloquer via des moments paliers/échéance qu'il peut franchir quand bon lui semble, selon une date limite.
Dans Persona 4, c'est donc le calendrier qui dicte son rythme, pas l'histoire. Bien sur, cela relève d'un choix cosmétique favorisant avant tout l'immersion plutôt qu'influençant la conception, et l'histoire progresse en réalité d'une façon tout aussi linéaire que dans un autre jeu du genre, mais plus lentement et en empruntant de nombreux détours. Il s'agit avant tout d'immerger le joueur au cours d'une année scolaire complète, rythmée par des événements festifs, tragiques ou tout simplement ordinaires. Persona 4 n'emploie quasiment pas l'éllipse et se veut exhaustif dans la manière qu'il a d'écouler le temps. Au joueur, du reste, de gérer son planning et de se poser ses propres objectifs qu'ils soient sociaux ou plus aventuriers. Encore une autre façon de mettre le joueur au cœur de la conception du jeu.
Cela permet d'entretenir une certaine illusion qui renforce la cohésion conceptuelle du titre.
Au final, terminer Persona 4 laisse ce sentiment d'amertume au joueur, propre aux grandes oeuvres. Les adieux sont difficiles, tant le casting mémorable constitue un sans faute. Et contrairement aux autres jeux, il est possible d'établir une réelle connexion avec les autres protagonistes, et à cet égard il faudra faire des choix, impossible de tous les connaître pendant sa première partie. Persona 4, à travers son héros principal muet, ne cherche en réalité pas du tout à "faire du joueur le héros" selon la formule galvaudée, mais au contraire à mettre les autres personnages en avant. Le héros n'est pas le joueur mais la simple manifestation de sa volonté : qui désire t-il connaître, que veut-il entreprendre, dans quel ordre ? Des choix importants dans la mesure où dans Persona 4, le temps joue contre le joueur. Le champ des possibles est à la fois exaltant mais aussi frustrant car des portes se ferment sans arrêt.
Que ce soit dans son cadre, ses thèmes, ses symboles ou son game design, Persona 4 est donc d'une grande cohérence. Il segmente et regroupe la fois les nombreux éléments parfois incompatibles qui le composent dans un tout homogène et vivifiant. La bande son, superbement éclectique, illustre bien ce paradoxe. Une expérience aux multiples facettes - certaines refoulées, certaines exacerbées - non dénuée de défauts (souvent des excès de conservatisme typiquement japonais), mais dont les prises de risques couplées à des archaïsmes pertinents s'avèrent au final payantes.
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