(Il n'y a AUCUN spoiler. De plus, je me permets d'analyser quelques intentions des développeurs, en profondeur, je crois. Bref, c'est un avis qui, j'espère, sera pertinent mais qui ne vaut que ce qu'il vaut, c'est-à-dire bien peu !)

Dans cette bourgade, une chose nous éblouit. Le silence criant est accompagné d'un brouillard opaque. Plus triste que la nuit.

Ceci n'est qu'une des nombreuses ruses des développeurs. La brume sert à masquer les limites de la PlayStation tout en assurant de vous faire croire qu'elle cache quelque chose de bien pire.
Le jeu tourne entièrement en 3D. C'est donc bien plus laid qu'un Resident Evil par exemple. Pourtant, pas de décors creux et banaux. Silent Hill propose une superbe dépravation de l'esprit humain. Un cocktail délicieux putréfiant composé de sang, de rouille et de crasse. La mort reste ici d'une élégante intelligence. C'est raffiné, cette pourriture, noble et en suspension.

L'avantage de l'absence des décors pré-calculés, c'est la possibilité de jouer avec la caméra. La Silent Team y ajoute une petite chose en plus : une radio.
La radio grésille quand vous vous approchez d'un monstre. Pratique me direz-vous ! Pas tout à fait. Imaginez-vous l'horreur d'entrer dans une pièce avec la caméra face à vous, avec la radio bruyante, sans y voir ce fichu monstre. De plus, une sensation très étrange se produit. Par moment, la radio cesse toute activité. Et là, vous êtes perdu. Le charnier devient bien trop silencieux pour un corps laissé pour sourd comme vous. On vous rend accro à quelque chose qui vous conditionne, et on vous le supprime. Un drogué sans sa drogue. La radio est comme une drogue. Elle vous fait du mal, mais vous en avez besoin. De par des liaisons irréversibles (ou pas), la radio est preuve d'une pharmacodépendance d'origine ondulaire. Si vous n'entendez pas ce son, ça va un moment. Si elle est muette plus de vingt minutes, alors là, vous comprenez. Elle ne marche plus… Pourquoi stressez à cette idée ? Lors de l'introduction du jeu, vous ne l'aviez pas, et pourtant, vous n'éprouviez aucune difficulté ? Non ? Le vide sonore et le creux mécanique sont donc sources d'angoisses ?
Le schéma est simple, hélas. Stimuli (grésillements) -> Récepteurs (oreilles) -> Influxs électriques dans votre organisme -> Sensation de peur, angoisse -> Réaction (sursaut, défense etc.). Silent Hill vous résume à ça.

Bref, cessons ce délire sur la psychoacoustique. Parlons bruitages. Akira Yamaoka fait une entrée fracassante dans le monde du jeu-vidéo. Il instaure au final un parallèle original : Silent Hill concrétise les horreurs enfouies dans certains personnages. Yamaoka créer des sons qui semblent prendre le dessus sur votre esprit, vous pénètrent et fabriquent une idée de terreur alors que rien n'est présent à l'écran. Cet homme a réussi à donner aux sons une direction de sens contraire à celui des images. Voilà, comment Silent Hill vous désoriente ! Ils brouillent vos sens.
Niveau mélodie, là, on frôle la perfection. Comment rendre incontournable des scènes avec des instruments ? Il faut demander à Akira. En tout cas, à l'époque, certains ont dû se dire que rééditer une telle performance n'était pas pour demain (Toi aussi, si tu as fait le jeu, tu as fait une liaison entre "pas demain" et "Not Tomorrow" ?).
Bon, je précise que Yamaoka fera aussi bien dans Silent Hill 2.

Finissons par le scénario. L'ésotérisme de la chose nous rend totalement fou d'impatience de savoir la suite.
C'est dans cette épisode que la ville atteint sa fonction de purgatoire, en alternant phases normales et phases alternées avec une teinte organique, sale et rouillée. L'expiation sera omniprésente par la suite. L'omnipotence n'est pas de rigueur ici. Les gens qui viennent n'ont rien d'héroïque. Ils ne sont pas omniscients non plus. Ils sont ni blancs ni noirs. Ils sont gris, comme ce brouillard.
Vous incarnez Harry Mason, qui suite à un accident de voiture dans laquelle se trouve Cheryl, sa fille, se retrouve séparé d'elle.
Il est question ici d'une secte, dirigée par une femme aux allures de plénipotentiaire, venue d'un autre monde dirait-on. Ils parlent de faire venir un dieu, un ange. Pourtant, vous verrez par la suite que ce dieu ressemble à un démon. Du moins, à nos démons à nous. Représentés partout dans nos livres, notre imagination. Mais au final, une question se pose : ils considèrent un démon comme un ange, un dieu. Vous vous dites qu'ils se trompent. Mais qu'en savez-vous ? Avez-vous vu Dieu ? Un ange ? Non. Vous ne savez pas à quoi ils ressemblent dans le fond. Peut-être ont-ils raison. Un monde fait de sang et de rouille est-il forcément un monde plus malsain que le notre ? Vous avez du sang en vous, non ? La rouille est produite à partir de dioxygène et d'eau, non ? Ils sont bien vitales pour nous, non ? La vie est donc possible alors dans ce monde ? Je dis n'importe quoi, pensez-vous ! Vous êtes persuadé(e) qu'un ange a de belles ailes, avec des plumes blanches. Mais, si je vous dis que le jeu Silent Hill coûte environ 70 euros d'occasion, vous allez vérifier l'information, car vous pensez que c'est faux. Pourquoi ? Quelle est l'idée la plus plausible ? Un jeu qui est vieux de 15 ans se trouvant à 70 euros ou qu'une entité que personne n'a vue possède des ailes avec des plumes blanches ?
Je suis une personne impie. Peut-être est-ce que seul un esprit méprisant la religion et tordu peut se poser ces questions ? Je ne sais pas.
Je m'arrête là pour le côté scénario. Je n'ai pas envie de vous gâcher les multiples scènes cultes. Mais sachez que le jeu offre encore bien plus de questions !

Silent Hill a plus de souvenirs que si elle avait mille ans. Le spleen ambiant vous sera expliqué dans le jeu. Plongez-vous dans cette abysse cadavérique. L'excavation de vos idées prédéfinies pourra commencer. Vos certitudes seront mortes à la fin du jeu. Ou peut-être avant. Je ne sais pas.

Silent Hill, ce reliquaire impie.
Meursault
10
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le 30 mars 2014

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Meursault

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