(Avant de commencer, j'ai fait en sorte de ne divulguer aucun passage clé de la trame scénaristique. Il n'y a donc AUCUN spoiler. De plus, je me permets d'analyser quelques intentions des développeurs, en profondeur. C'est juste mon avis sur la chose. Il vaut ce qu'il vaut, c'est-à-dire pas grand chose !)
Un jeu répugnant et nauséabond, ce Silent Hill 2 ?
En y regardant de plus près, tout est d'une coquetterie rare. Graphiquement, la production de la Silent Team fut pensée pour être une vitrine technologique de la PlayStation 2. Entre malice et génie, les effets de brouillard et l'ajout d'un filtre granuleux ne nous empêchent pas d'avoir un avis limpide et concis sur la direction artistique : Silent Hill 2 arrive à nous faire apprécier une ambiance sale, perverse et malsaine.
Putréfaction, crasse et allusions sexuelles sont, d'une manière poétique, transfigurées en quelque chose de beau.
À cela, s'ajoute le travail impérial d'Akira Yamaoka, le compositeur des sons et des musiques. Les bruitages rendent l'atmosphère irrespirable. Heureusement pour nous, ce milieu anaérobie disparaît parfois pour un instant et pour un instant seulement.
Phagocyté par une mélodie souvent mélancolique mais parfaitement maîtrisée et juste, le spleen baudelairien dissipe cette charogne d'immense caveau.
Autre élément majeur de ce survival-horror, le gameplay. Le personnage est humain. Faible, stupide et mortel. Comme nous. En effet, il vous faudra composer avec une lenteur des déplacements frustrante mais aussi avec quelques bêtises de votre héros. Pourquoi ne plaque-t-il pas la crosse de son fusil contre son épaule ? Ainsi, le recul de l'arme est présent, ralentissant la cadence de tir et freinant le rechargement.
Le pire dans tout ça, c'est que c'est voulu. Les développeurs ont joué avec nos nerfs.
En parlant de nerfs, sachez que votre encéphale va bouillir de frissons : vous trouverez une radio, qui grésillera à proximité d'un monstre. Ainsi, une équation ridiculement idiote se dessine : grésillements = monstres dans les parages. Par extension : pas de grésillements = pas de monstres. Le problème, c'est que vous allez arpenter Silent Hill pendant quelques heures. L'habitude s'installe. Quand cela grésille, il faut être prêt. Tiens… Vous êtes conditionné. Un stimuli neutre engendre une réponse finalement innaturelle. Qui a peur quand il entend sa radio grésiller dans sa voiture car cela capte mal ?
Voilà ce que fait Silent Hill 2, il joue avec vous. Il n'a que l'embarras du choix pour sublimer votre angoisse. Alors oui, la surprise est un réflexe. Un réflexe n'a pas besoin de votre cerveau pour se déclencher. Le conditionnement n'a rien à voir.
Pour une peur d'un danger hypothétique, la peur générée est un comportement sophistiqué résultant d'un chemin tortueux dans votre système nerveux, l'équation grésillement = monstre, amène bien des variables. Chacun réagit différemment, en théorie, aux bruits de la radio. Pour étayer cela, un ami et moi avons fait le jeu presque en même temps. Nous avons eu peur tous les deux de la surprise (un cri soudain par exemple). Un réflexe. Pour le reste, nos peurs étaient bien différentes.
Lui a détesté les lieux finalement sans grand danger, très ouverts, avec peu de visibilité certes, mais avec un grande marge de manoeuvre pour fuir. Imaginait-il quelque chose de bien pire que des simples ennemis difformes ?
Pour ma part, j'ai trouvé ignoble les phases avec une visibilité nulle, dans des endroits très étroit mais une radio bien présente. Je m'imaginais quelque chose d'horrible, très proche de moi, alors que rien ne m'amener à penser à cela, hormis ma radio (Pourtant, les couloirs serrés de Dead Space m'ont laissé indifférent, pas de claustrophobie donc).
La pratique semble bien apporter des éléments qui concordent avec la théorie. Nous avons peur, à cause d'un bruit non effrayant, et ça nous pousse à fabriquer un danger imaginaire et immatériel. Peut-être qu'il y a un danger au final. Mais peut-être pas non plus. Et pourquoi avoir peur dans certains endroits quand la radio grésille mais pas dans d'autres, alors qu'elle hurle toujours autant ? Certains endroits sont plus effrayants que d'autres, suivant la personne.
Pour moi, il est clair que cette méthode de pseudo-conditionnement amène le joueur à une résignation. Celle de n'avoir au final, aucune certitude sur la façon de gérer son anxiété. Les développeurs ont bien compris cela. Oui, c'est pervers la sensation de soumission. De plus, un cercle vicieux se trace : le grésillement entraîne une peur automatiquement, comme par réflexe. Pourtant, les réflexes n'ont pas besoin du cerveau pour fonctionner... Vous comprenez l'ambivalence du processus ?
Côté scénario, c'est tout simplement pour moi le meilleur qu'il puisse exister. On incarne James Sunderland. Un homme banal, blond, pas très grand, pas très musclé. Un des ces hommes transparents. Pas un alpha, ni un oméga. Juste un lambda. On va donc s'identifier à lui. Ce petit humain.
Son histoire, sans en dire trop, m'a pris aux tripes, et ce grâce à une narration solide et belle. Sunderland vient essayer de retrouver sa femme, Mary, dans Silent Hill. Elle lui a écrit une lettre pour lui dire de se rendre dans cette ville. Pourtant, James nous informe que sa femme est morte, il y a quelques années…
Il existe tellement de mises en scène symboliques, de pensées implicites et de réflexions en filigrane. Sachez juste que tout a un sens. La forme des monstres, les tableaux, les événements, etc. Tout.
De plus, il me semble essentiel de noter qu'il y a quelques personnages secondaires, avec leur propre histoire.
Une ville qui accueille bien des esprits tourmentés. Une cohabitation très étrange. Ces âmes qui ont atterri dans le même lieu, mais qui sont embarquées dans des mondes différents, c'est élégant.
Matérialisation de la folie, il reste le jeu sur lequel j'ai le plus sué. De nature peu peureux, je me suis soudainement rendu compte que j'étais quelqu'un à l'imagination douteuse. En effet, il vous laisse le luxe d'imaginer l'horreur qui vous attend. Sensation horrible, qui cristallise le côté glauque de ce jeu.
Silent Hill 2, c'est bien le fond qui vainc la forme. Pourtant, la forme s'est bien battue...
Luxure, violence, impuissante, inconscience.
P.S. : Concernant la scénario bonus de la version director's cut PS2, il rajoute, je trouve, plus de questions qu'il n'en enlève. Cependant, cela reste très fin et cohérent, avec une narration toujours exemplaire. Ici, vous jouerez Maria par contre. Indispensable.