Février dans les terres. Cela fait quelques jours que je ne sors que sporadiquement, la grisaille ayant envahie notre quotidien. Ah Février, dernier vestige d'un Hiver qui se fait de moins en moins froid...

Voilà qui constituait un moment parfait pour me lancer dans Silent Hill 2. Quelques années auparavant l'expérience du premier titre m'avait bouleversée, sa description de l'enfer et ses idées novatrices pour renforcer la peur telle cette brume opaque d'où l'on ne voit surgir le danger que trop tard. Ce son de grésillement de radio à l'approche d'un monstre, anxiogène au possible lorsqu'on ne voit pas directement le danger.

Son surréalisme lorsque les sirènes de l'apocalypse sonnent et que l'environnement se transforme en véritable peinture infernale.

Mais Silent Hill c'est aussi une profonde mélancolie que l'on ressent à travers ses personnages

(le tragique entourant Lisa, une infirmière, constitue l'un des moments les plus tristes que j'ai pu vivre dans un jeu vidéo).

Et des thèmes profonds en lien avec la psychologie humaine, qui le démarque d'une horreur plus physique/palpable que l'on retrouve par exemple dans Resident Evil.

La peur, la dépression, le rejet, la haine et le traumatisme sont autant de sujets abordés de manière profonde dans cette œuvre.

Alors voilà, au fin fond des bocages bretons détrempés, sous une chape grise et froide je me dis qu'il est temps de retourner à Silent Hill. Cet endroit qui ne quitte plus votre esprit dès lors que vous avez foulé son sol.

Il le fallait, des nouvelles réponses m'appelaient depuis les abysses.

Nous incarnons James Sunderland, qui espère retrouver Marie, sa femme décédée depuis trois ans d'une maladie incurable. Son espoir naît d'une lettre qu'il reçoit d'elle, lui indiquant qu'elle l'attendra à Silent Hill... C'est face à son propre reflet, dans des toilettes délabrés, que débute pour notre personnage un chemin imprégné par le deuil et la culpabilité.

L'aventure se divise entre des phases d'errance dans les rues vides (ou presque) de Silent Hill, et l'exploration de diverses structures où l'évolution est anxiogène au possible.

Explorer les bâtiments de Silent Hill, m'a fait adorer son level design. Parfois, des pièces quasiment identiques (je pense à l'immeuble notamment) mettent en doute notre perception des lieux, et englobe le tout d'une sensation inconfortable de répétition et d'enfermement. La narration par l'environnement, chose que j'apprécie beaucoup, est très présente. Les lieux étant véritablement hantés par les souvenirs et les horreurs de ses anciens habitants. Puis la carte permet de se retrouver facilement, et, idée cool, notre personnage y notera des inscriptions au fur et à mesure.

On est souvent amené à une deuxième exploration lorsque le monde sombre dans « l'Other World », manifestation totalisante de l'enfer personnel de James, qui change la disposition des lieux. Certaines pièces jadis fermées s'ouvrent et des pans entier du bâtiment changent de nature. Parfois des monstres errent là ou jadis il n'y en avait pas...

Rarement descendre un escalier ne m'a autant angoissé que dans la deuxième partie de l'hôpital, alors qu'on s'habitue à se déplacer entre trois étages, on se rend compte qu'il y a bien plus d'étages qu'auparavant et une longue descente anxiogène se met en place. Un exemple de la manière insidieuse et subtile de comment le jeu instille la terreur.

Les énigmes, composante importante de la série mais propre au survival horror en général, sont assez ardues et possèdent même un mode de difficulté, chose assez inédite. Pas simples donc, elles demandent un certain investissement de réflexion (surtout en difficile où les indices sont bien plus parcellaires) mais provoquent une réelle satisfactions lorsqu'on les résout.

Toute cette errance s'accompagne d'un travail sonore remarquable, rendant suspect voir carrément flippant le moindre bruit s'extirpant du silence. L'usage du son et de la musique revêt une grande importance dans l'expérience de peur totale et d'inconfort que le jeu impose constamment.

(j'ai des frissons lorsque je repense à ses longs couloirs dans la prison, cette voix sourde et ses bruits de pas le long des cellules. Ou l'arrivée soudaine d'un thème bruitiste et oppressant au possible dans certaines pièces).

Alors que la radio indique la présence du danger, en grésillant, les angles torturés de la caméra et la disposition des lieux nous empêche bien souvent d'avoir un visuel clair.

Quelque chose est avec nous dans cette pièce, mais où ? Paradoxalement, le silence, signe qu'aucun ennemi ne rôde à priori aux alentours, est si « lourd » par instant qu'il renforce un sentiment de solitude important.

Cette sensation d'inconfort généralisé à maints aspects du jeu est l'une des forces majeures de Silent Hill 2. Dès qu'une once de confiance s'installe en vous, le jeu vous la reprendra très rapidement.

(je pense au passage où l'on est accompagné par Maria, qui m'a plutôt détendu car l'idée d'affronter l'horreur à deux me semblait rassurant, mais on sait que cela ne durera pas et c'est le cas. Mais aussi au fatidique « ascenseur du personnel » de l'hôtel qui nous demande de nous alléger de tout notre inventaire)

en gros lorsque le jeu offre un peu d'espoir, c'est pour mieux l'ôter, brutalement. On redoute, à chaque pas dans les ténèbres, les horreurs à venir.

Cette horreur se caractérise par plusieurs monstres, dont les formes illogiques et étranges les rendent insaisissables par l'esprit et donc terrifiants. Chaque créature est empreinte d'une symbolique forte et, émanent des peurs profondes de James quant à la sexualité, la mort et la maladie. L'incarnation monstrueuse la plus fameuse étant Tête de Pyramide (Pyramid Head), implacable représentation de brutalité et de la punition, au masque de fer gigantesque. Le rencontrer c'est être surpris ... désagréablement et dès lors c'est avec anxiété que l'on redoute chaque confrontation. Je ne me déploierai pas davantage sur les autres monstres, dont la rencontre et le mal-être qu'ils renvoient est une expérience importante et personnelle dans le rapport au dégoût, et cela malgré la forte charge symbolique qu'ils incarnent pour James. Il serait donc dommage de se la gâcher.

Car c'est là encore une force de ce titre, réussir à évoquer des peurs et une expérience tout à fait personnelles au joueur. Traverser Silent Hill est une confrontation avec ses angoisses profondes autant pour ses personnages que pour soi-même. Si la symbolique revêt une grande importance et permet de se plonger dans une analyse passionnante de l’œuvre une fois terminée, l'ensemble est assez abstrait pour laisse libre cours à l'interprétation.

Un mot sur les autres âmes errantes de Silent Hill, les personnages secondaires. Si leur rencontre peut conforter dans la solitude, leur mal-être apparent et leur histoire est d'une tristesse insondable. Je pense notamment au personnage d'Angela Orrosco, dont l'histoire personnelle

lié à l'inceste et amenant à affronter « l'Abstract Daddy » incarnation de ce traumatisme,

m'a surprise dans l'évocation d'un thème aussi dur. L'ultime rencontre avec ce personnage (dont le titre de la critique fait référence) est d'une beauté tragique absolue et est à l'image de la sensation globale qui ressort du jeu : une poésie horrifique.

Enfin, L'OST sert et synthétise l'expérience globale : les composition de Akira Yamaoka alternant entre des morceaux dissonants aux sonorités agressives et noisy appuyant sur l'angoisse et l'oppression et des thèmes plus mélancoliques/ambient qui m'ont souvent fait poser la manette pour me perdre dans mes pensées.

Silent Hill 2 est une expérience qui ne m'a pas laissé intacte, qui ne cesse de me tourmenter depuis que je l'ai fini. Il y tellement de choses à en dire que j'en oublie forcément. Une œuvre dont la beauté et l'horreur, m'ont transcendé et qui tient une place importance dans mon rapport à l'art en général. Rarement la peur ne m'a parût si englobante, ses mécaniques fonctionnant à tant de niveaux ici, mêlant grotesque et onirisme pour aboutir à un final déchirant mais plein de sens aux vues des épreuves passées.

D'ailleurs il existe plusieurs fin (quatre) qui dépendent de nombreux choix inconscients effectués au long de l'aventure, renforçant le côté introspectif et personnel de l'ensemble.

C'est donc, emplie de mélancolie mais d'une certaine joie aussi, d'avoir pu vivre une telle intensité, que je m'apprête à ré-écouter le thème principal de ce jeu.

Et finalement je me dis que, peut-être, ce voyage à Silent Hill ne sera pas le dernier.

Argiope
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le 22 févr. 2024

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