Plaidoyer pour un chef-d'oeuvre...
Fan devant l'éternel de la série et ce, depuis la sortie du premier, il faut dire que mon amour pour la saga Silent Hill a été mise à rude épreuve ces dernières années.
En particulier après un "Homecoming" certes pas catastrophique, mais qui tentait maladroitement de reproduire un premier amour que l'on ne peut pas vivre deux fois.
Il y a eu aussi dernièrement la sympathique tentative de Climax, Shattered Memories, qui ressemble plus a un laboratoire à (très) bonnes idées qu'à un nouvel opus qui prend aux tripes (hormis le twist final, vraiment... Renversant).
Et voilà t'y pas qu'un studio polonais dont tout le monde se foutait jusqu'à présent, nous balance un des meilleurs épisodes depuis les mythiques trois premiers. Avec le quatrième en coup de cœur en ce qui me concerne.
Où comment je me suis fait cueillir comme une fleur lorsque j'ai découvert Downpour.
Et pourtant au départ, je faisais preuve de beaucoup de scepticisme.
Mais je me dois à chaque nouvel épisode d'en faire l'acquisition afin de perpétuer une tradition qu'un ami et moi-même avons mis en place depuis le premier Silent Hill.
En effet, nous faisons toujours le premier run de chaque Silent Hill ensemble dans les caves sinistres de son manoir familial. Comme le veut la coutume, on y installe un confortable canapé, un grand écran et une installation audio qui tabasse. Je vous laisse imaginer les moments de terreur que l'on a vécu sur les premiers épisodes lorsque raisonnaient les pistes sataniques de notre cher Akira Yamaoka. On terminait la plupart du temps à l'aube, lessivés et heureux d'avoir partagé ces aventures terrifiantes dans les rues embrumées de la sinistre bourgade.
Puis avec les derniers épisodes, la peur et les malaises typiquement "silentesques" qui pimentaient ces soirées uniques ont fait place à des frissons polis, tout au plus.
Nous étions sur le point de mette un terme à cette longue tradition, quelque peu amères de ne plus retrouver ces moments de grâce horrifique.
Mais dans un sursaut d'espoir fou, nous décidions d'accorder une dernière chance à la bourgade aux frissons exquis.
Et Downpour nous a hautement récompensés.
Premièrement, ils nous a fallu pas une, mais deux soirées spéciales pour terminer ce premier run puisqu'il s'agit de l'épisode le plus long et le plus dense de la saga.
Et quelle joie de retrouver cette patte que l'on pensait perdue à jamais, cette atmosphère si particulière qui nous a rendu aussi désespérément passionné de cette petite ville balnéaire.
Non, Downpour peut arborer notre label qualité "Silent Hill" sans rougir de ses ainés.
Malgré une technique cahoteuse, Vatra nous plonge une fois de plus dans les rues fantomatiques de la ville avec un enthousiasme communicatif. On sent le soin apporté à chaque lieu, à chaque bâtiment dans leurs moindres recoins afin de parer la ville de ses plus beaux atours. Les ordures qui jonchent le bitume détrempé, l'humidité ambiante qui ronge les murs comme un cancer ou des objets du quotidien traînant ça et là, derniers témoins silencieux des habitants à jamais disparu.
L’atmosphère, point essentiel pour la réussite d’un Silent Hill, fait preuve ici de beaucoup de maîtrise.
Car c'est en cela que le titre de Vatra fait fort, suggérer qu'il y a eu de la vie dans Silent Hill. Mais que cette dernière est aujourd'hui souillée et corrompue par un mal ancestral. Et les différentes quêtes passionnantes qui ponctuent l'intrigue principale sans la parasiter vont exacerber ce sentiment de vide et d'abandon.
De par sa nature maléfique, la ville se nourrit de mauvais souvenirs et d’histoires violentes en perpétuant leurs échos à travers ses murs.
Et c'est ce que va constater le pauvre Murphy à ses dépends. Silent Hill a faim, très faim, et va absorber la propre histoire du héros pour lui faire vivre un « ride » qu'un certain James n'oublierait pas de sitôt.
Une topographie complexe et sinueuse, méandres d'un cerveau malade que symbolise les rues, les souterrains et les habitations de Silent Hill (pour une fois presque tout est sujet à l'exploration) sont ici utilisés à leur paroxysme.
Jamais la ville ne nous a semblé si organique, si présente. À telle point que l'immersion en devient totale. Immersion renforcée par un Murphy Pendleton à la gestuelle remarquablement animée, le regard à l'affût et terrifié lorsqu'il débarque dans un nouvel endroit.
L'histoire - sans atteindre toutefois la densité émotionnelle du second épisode - est merveilleusement malsaine, mélancolique et poétique. À la fois un cri d'amour et de désespoir de notre héros que Silent Hill prend un malin plaisir à mettre en scène de la pire façon qui soi.
Notons que malgré des animations faciales un peu figées, le « voice acting » est excellent, et les dialogues ainsi que les nombreux textes à lire tout le long de l’aventure sont très réussis. La mise en scène des diverses cinématiques est très souvent brillante, amenant son lot de moments forts et percutant.
Sans spoiler, j’ajouterai que Vatra peut se vanter d’avoir réalisé l’une des introductions de jeu les plus tétanisante et impressionnante de l’histoire du jeu vidéo. Rien que ça ! A couper le souffle, vraiment.
On retrouve également avec joie des indices autour de l'intrigue distillés de bien belle façon dans les environnements, allant de symboles plus ou moins appuyés, à d'autres intégrés dans des énigmes intelligentes et très réussies.
Nous avons enfin retrouvé notre lot de frissons et d'émotions qui avaient fait défaut dans les derniers épisodes. Pour nous, Silent Hill est belle et bien revenue, plus forte et plus vénéneuse que jamais, avec un Murphy charismatique en diable en guise de maître de cérémonie.
Les moments cultes s'enchaînent à notre plus grande stupéfaction, persuadés que tout cela était de l'histoire ancienne.
Il nous est arrivé plusieurs fois à mon ami et moi-même de mettre la partie sur pause et de s'échanger un long regard de plaisir ébahi devant les nombreuses idées intelligentes du studio polonais. Entre les nouvelles manières de distiller la peur en utilisant les possibilités techniques actuelles et d'en recycler certaines, Vatra a fait montre de beaucoup d'audace et d'intelligence pour réinventer les nouvelles bases de la saga.
Les univers altérés font preuve d'un onirisme et d'un gigantisme sidérants, de véritables hymnes à l'horreur baroque européenne et surréaliste. On sent clairement la culture visuelle de notre vieux continent transpirer dans chaque lieu traversé.
Ce vertige généré par des perspectives impossibles provoque en nous de l'insécurité et donc de la peur. Véritables chausse-trappes, chaque pas que l'on fait est incertain et les transitions fluides et spectaculaires entre les nombreux environnements ne manquent pas de brouiller pistes.
Pas de consensualité artistique! Ici, il y a un vrai parti pris et une atmosphère propre à cet épisode.
Alors que la série perdait son plus éminent représentant, le maestro Akira Yamaoka, il était à craindre que ce dernier épisode pâtisse de cette absence remarquée. Là encore, c’est une très agréable surprise puisque le travail de son successeur, le compositeur Daniel Licht, est remarquable, traversant la soundtrack du jeu de mélodies aussi puissantes - mais dans un style différent - que celles de Akira Yamaoka.
Pour finir, nous avons d'autant plus été stupéfait devant l'accueil extrêmement tiède des critiques, qui pointaient du doigt des choses aberrantes, et ce en dehors de la technique.
Tout d'abord ses reproches invraisemblables autour des combats qui n'ont jamais été le centre d'intérêt de la série, et qui ont toujours servi à créer de l'inconfort et de la vulnérabilité chez le joueur. Vatra respecte avec audace cet aspect là du jeu, nous poussant à fuir les créatures (au chara design peu inspiré, mais heureusement contrebalancé par des exceptions de taille) et de trouver un abri le temps que la pluie torrentielle s'arrête.
Des combats qui sont d'ailleurs aisément évitables la plupart du temps. Pour l'anecdote, un des succès/ trophées à déverrouiller est de finir le jeu sans tuer une seule créature, ce qui démontre à quel point Vatra était conscient de son choix de Game design.
D’ailleurs, depuis quand dans un Silent Hill les combats sont le pivot central du game design? Depuis quand des chûtes de framerate sont rédhibitoires pour prendre du plaisir dans un jeu ou l'ambiance prime avant tout sur les reflexes (Hormis le fait qu'il est normal de signaler cette tare technique).
Là ou les scandaleuses saccades de Dark Souls n'ont pas pénalisé sa note et son appréciation générale alors que le timing est fondamental dans le jeu de From Software (jeu dont je suis également fan), Silent Hill Downpour s'est fait injustement massacré pour des aspects dans lesquels la série n'a jamais excellé et ne doit surtout pas exceller.
Bref, nous regrettons pareille sentence injustifiée devant un jeu aussi riche et prenant qui joue à fond la carte du Survival en nous laissant sans repères à errer dans les rues de la ville la plus célèbre du jeu vidéo. Un jeu déjà assurément culte et - en témoigne les nombreux commentaires sur différents forums – qui a déjà conquis le cœur de la plupart des fans de la première heure.
Mais pas celui des charts.
Malheureusement, devant les maigres ventes, il semble aujourd'hui quasiment certain que l'avenir de la série est désormais scellé... Ainsi que celle de ce jeune studio ambitieux et prometteur. Un vrai gâchis et le témoignage d’une presse spécialisée actuelle totalement déboussolée, ne sachant plus reconnaître un jeu prônant un vrai parti pris de gameplay à toutes ces usines à gaz triple A au game design ultra permissif. (Nous remercions tout de même les quelques journalistes qui ont soutenu avec beaucoup d’emphase cette perle noire.)
Pour conclure, Silent Hill Downpour fait partie pour nous du cercle très fermé des légendes du Survival Horror… Et peut-être le dernier digne représentant d’un genre à l’agonie.
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