Après avoir abouti de son ultime chef d’œuvre en 2004 (magnifié par une caméra enfin libre dans sa version Subsistence), le sieur Kojima n’a cessé de me décevoir : un MGS4 rythmé n’importe comment, un Peace Walker au gameplay ultra régressif, un Phantom Pain qui détruit la cohérence de son univers (dans le but de rendre "hommage" au joueur en plus!)…autant vous dire que j’attends avec une certaine impatience le futur Death Stranding, afin de savoir s’il a vraiment définitivement perdu le mojo ou s’il a tout simplement été dépassé par le poids écrasant de sa série fétiche…


En attendant l’avenir, je me suis dit que ce serait une bonne idée de me tourner vers le passé… Parmi les travaux du monsieur qu’il me restait à découvrir, seuls 3 jeux manquaient à mon tableau de chasse : Snatcher, Policenauts et Tokimeki Memorial. Ce dernier étant rapidement évincé de la compétition (un jeu de drague tout en jap’ :p), je finis par opter pour Snatcher, souvent qualifié de "Blade Runner vidéoludique", mais qui a surtout la réputation d’être très bien écrit. Et c’est vrai, malgré quelques petits trucs wtf, il l’est. Tout du moins jusqu’à la fin de l’acte 2. Mais commençons par le commencement…


Moscou, 6 juin 1996. Une immense explosion décime 80 % des populations eurasiennes, soit tout de même 3 milliards d’êtres humains (sans compter la faune et la flore, même si le jeu s’en balek). Ce désastre, désigné très justement comme "La Catastrophe", est dû à une arme biologique d’un genre nouveau, le "Lucifer α", qui était sensée mettre un terme à la Guerre Froide de manière radicale… Comment ? Oui, il y a un joli problème de date, Konami ayant eu la "lumineuse" idée de décaler toute l’intrigue de 5 ans pour cette version Mega-CD… Le problème était d’ailleurs déjà arrivé avec Metal Gear 2, mais lui étant sorti en 1990, il a des circonstances atténuantes, ne pouvant pas deviner que la Guerre Froide prendrait fin à noël 91. Bref…


Petite ellipse de 50 piges, à Neo-Kobe. Une menace d’un genre nouveau plane sur l’humanité. Le Parisien ? Le Figaro ? Les Echos ? Bien pire encore ! Une mystérieuse forme de vie bioroïde venue d’on ne sait où est apparue et assassine les gens, prenant leur apparence et leur place dans la société, d’où leur surnom de "snatchers" (qu’on pourrait traduire par "usurpateurs"). Ils sont doués d’intelligence, parlent, transpirent, saignent, tout comme des êtres humains, ce qui les rend difficilement détectables. Une unité d’élite a donc été spécifiquement mise en place pour les traquer, le JUNKER, dont nous, Gillian Seed, sommes la toute dernière recrue…


Comme évoqué un peu plus haut, beaucoup de joueurs trouvent en Snatcher au mieux une inspiration, au pire une copie, voire un plagiat de Blade Runner. J’ai surtout l’impression que dès qu’on parle d’une œuvre mettant en scène un enquêteur et des humanoïdes dans un futur cyberpunk, c’est la seule et unique référence qu’ils aient… Perso, le Neo-Kobe me rappelle fortement le Neo-Tokyo d’Akira, les snatchers, par leur apparence (notamment quand ils sont dépecés) et leur but, sont bien plus proches des terminators que des réplicants, notamment le T-1000, qui lui aussi emprunte l’apparence de ses victimes. Et bien sûr, l’ultime source d’inspiration est Invasion of the Body Snatchers, et je ne vous ferai pas l’affront d’expliquer pourquoi…


Définir ce qu’est précisément Snatcher n’est pas très évident. Il lorgne très largement du côté des antédiluviennes aventures textuelles, le jeu étant d’ailleurs quasi exclusivement composé d’écrans fixes (malgré de multiples petites animations ici et là), mais son interface est très orientée point & click (bien qu’on n’y "pointe" finalement que très ponctuellement). De par son scénario principalement axé enquête policière, on peut même le voir comme l’ancêtre lointain d’un L.A. Noire, les deux jeux partageant d’ailleurs le point commun d’avoir quelques phases orientées action un peu en décalage avec la globalité de leur concept.


Côté gameplay justement, on peut découper le jeu en trois phases, qui s’entrecroisent sans cesse : les investigations, pendant lesquelles on fouille de fond en comble des lieux à la recherche d’indices, les interrogatoires, durant lesquels on questionne les témoins ou les suspects afin de faire progresser l’enquête, et enfin les phases de shoot, intervenant plus ponctuellement, pendant lesquelles l’écran se divise en 9 cases de 3x3, où l’on doit dégommer tout ce qui bouge, que ce soit des snatchers (qu’on élimine en tirant dans la tête) ou des insectors, gros insectes cybernétiques et vindicatifs à leur solde. Par ailleurs, sachez que la difficulté de ces phases est proportionnelle à votre réussite à l’entraînement… Réfléchissez-y donc à deux fois avant d’y vouloir faire (comme moi!) un perfect…


Pour ce qui est du reste, l’écran est la plupart du temps divisé en deux, avec l’illustration du lieu visité en haut et le panel d’actions possibles disposé sommairement en bas, rangé en menus, sous-menus et sous-sous-menus. Un panel évoluant au gré de la progression et des indices, qui peut quelquefois compter près d’une dizaine d’actions possibles selon la situation, tels move, look & investigate (qui ont parfois un peu de mal à se différencier), ask, talk, listen, show (assez useless), possessions (utilisation d’un objet/indice) et…use metal gear !


Eh oui ! Bien avant MGS4, le petit Mk. II -ici doué de parole, mais surtout d’esprit- est déjà présent à nos côtés pour nous filer un coup de main, comme analyser un échantillon, détecter la présence d’une potentielle menace, ou encore nous laisser disposer d’un proto-codec, le Videophone, un téléphone du futur tellement futuriste qu’il ne dispose d’aucun système d’enregistrement de numéros ! Et des numéros, il va y en avoir toute une pelletée au fil du jeu, et je ne peux que vous conseiller -si vous souhaitez vous lancer dans l’aventure- de préparer un petit carnet ou une fiche excel pour tous les noter… D’ailleurs, n’oubliez pas non plus d’utiliser le JORDAN au QG dès que vous avez connaissance du nom d’un nouvel intervenant, ça vous évitera des allers-retours inutiles…


La qualité première de Snatcher reste toutefois son univers, son ambiance. On se sent très vite impliqué dans l’histoire, classique mais très bien contée, bien aidé en cela par des illustrations magnifiques et une mise en scène "dynamique" (comme les transitions quand on ouvre une porte), des situations et des dialogues qui visent -presque- toujours juste, des personnages solidement développés (la relation avec Jamie, ou même celle avec Mk. II), un casting vocal de très bonne facture pour l’époque (on est loooooin de la VF rambo de MGS) et une OST parfaite, tantôt hypnotique, tantôt empreinte de mystère, parfois discrète juste ce qu’il faut. Et dans un jeu de ce genre, c’est primordial…


En revanche, on pourra critiquer quelques menus défauts, relativement mineurs mais bien présents. On peut par exemple citer un jeu qui nous prend parfois un peu trop par la main, notamment lors des scènes d’investigation : si l’on n’a pas trouvé TOUS les éléments nécessaires à la progression du scénario, Mk. II nous empêchera de quitter la zone, en lançant une phrase du genre "un indice nous a peut-être échappé…". Il y a aussi quelques moments où la musique couvre certains dialogues, les rendant difficilement compréhensibles. On peut enfin citer quelques coquilles scénaristiques qui font un peu tâche, comme un personnage dissimulant grossièrement sa joue derrière sa main, prétextant une rage de dents…pas suspect du tout… Oh et puis, il y a l’acte 3.


Soyons clairs, je ne critique pas l’acte 3 en lui-même, qui répond à toutes les questions et conclut parfaitement l’histoire, mais plutôt sa forme. Il donne clairement l’impression d’avoir été fait à l’arrache (et n’existe d’ailleurs pas dans les premières versions du jeu) : il est très court (une heure, en comptant large), complètement dirigiste et linéaire, ne se composant que de deux phases d’action (horribles! Surtout la première…) et d’une "cinématique" d’explication/fin d’une bonne demie-heure ! (prologues MGS4-style!). Il aurait été tellement plus avisé de plutôt faire un Snatcher 2 et de bien développer le tout. Surtout que la fin de l’acte 2 est excellente : on a évité de justesse une nouvelle catastrophe et éliminé le snatcher infiltré, qui nous annonce dans son dernier souffle que la "phase 2" est déjà en route et que la fin de l’humanité est inéluctable ! Bref, un bon cliffangher bien putassier comme on les aime, propice à une suite de même qualité !


Si vous aimez les thrillers et les histoires bien narrées, Snatcher propose 8-9 h d’une aventure bien huilée répondant à ces critères. Malheureusement, elle exige un pré-requis essentiel pour pouvoir s’y émerger complètement : une assez bonne compréhension de la langue de Shakespeare. Car si 70 % du jeu se compose de dialogues écrits qu’on fait défiler manuellement à notre guise (nous laissant le temps de chercher dans un dico la signification de mots inconnus ; j’ai par exemple appris grâce au jeu que "cuisse" se disait "thigh" :p), les 30 % restants, et notamment à la fin du jeu, sont des dialogues oraux non sous-titrés. Bref, vous voilà prévenus.

Wyzargo
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le 2 févr. 2018

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