Transformer des catastrophes naturelles en mécanismes de jeu vidéo, voilà une bonne idée ! Elle est ici à attribuer à une équipe de développeurs japonais, Irem Software Engineering. Ces derniers trouvèrent notamment leur inspiration dans l'ouvrage "La Submersion du Japon" de Sakyo Komatsu, sorti dans les années soixante-dix, mettant en scène leur pays en proie à de saisissantes catastrophes.
On attribue traditionnellement au peuple japonais une tendance acquise à la résilience et à la reconstruction, la particularité géologique de leur pays entraînant une forte proportion aux catastrophes telluriques. Ces derniers temps est notamment régulièrement évoqué comme symbole de résilience l'art du Kintsugi, cette réparation des objets cassés à l'aide de laque et d'or. Cette pratique mettrait en valeur la nécessité de prendre en compte l'objet dans son histoire, avec les fêlures et les accidents qui la constituent nécessairement.
Également connu sous le nom de "Disaster Report" en dehors de l'Europe, "SOS The Final Escape" ne se concentrera pas tant sur la reconstruction que la nécessité de fuir. Le jeu nous propose d'incarner Keith, un journaliste arrivant sur l'île artificielle de Stiver Island pour un reportage. A peine débarqué, l'endroit est en proie à de violents tremblements de terre, entraînant sa dislocation. L'intégralité du gameplay sera consacrée à sortir vivant de cet enchaînement de catastrophes.
D'un concept simple mais novateur pour l'époque, "SOS the Final Escape" va pousser le travail un peu plus loin, en exploitant intelligemment son idée, d'une façon éloignée de ce que nous pourrions être habitués en tant que spectateurs occidentaux. Ce qui nous saisit en premier lorsqu'on débute l'expérience, c'est d'abord son atmosphère. Un pesant silence nous accompagne tout au long du jeu, la musique se faisant rare. D'immenses buildings et des débris s'accumulent à perte de vue. Leurs aspects anguleux, leurs couleurs froides et impersonnelles renforcent un sentiment de solitude, d'être face à quelque chose nous dépassant complètement.
Cet enfer d'acier et de béton, que nous connaissons normalement comme étant immuable, peut ici à tout moment basculer, s'écroulant devant vous. La tension est palpable : à quel moment le décor va-t-il brutalement se modifier, bouleversant vos plans ?
Ce qui participe au plaisir de jeu, c'est ce détournement d'éléments du quotidien. Une simple ornementation d'un bâtiment peut par exemple devenir soudainement un objet dangereux menaçant notre trajectoire ou alors au contraire un pont improvisé nous permettant d'avancer dans notre quête. Dans son essai "Mythologies", Roland Barthes soulignait comment les inondations pouvaient bouleverser notre "optique quotidienne" et nous fascinaient par leur pouvoir à nous faire perdre nos références pour mesurer notre environnement.
La mise en scène est dans la continuité de l'atmosphère : peu d'explosions hollywoodiennes, peu de pathétique ou de grands sentiments humains. Des personnages peuvent brutalement mourir écrasés sans qu'il n'y ait de grande cérémonie visuelle nous enjoignant d'être émus. Le scénario illustre quant à lui ce rapport ambivalent au progrès technologique : l'ile a été construite de la main de l'homme, et...
...la fin révèle la catastrophe comme n'étant finalement pas tant l’œuvre de la nature que l'imperfection au cœur de la nature humaine. Dès lors les fêlures ne sont pas tant matérielles et laissent en suspens la question suivante : à défaut d'or et de laque, avec quels matériaux pourront nous réparer l'espèce humaine ?
Pour un jeu sorti dans les débuts de la PS2 et prenant le parti de proposer quelque chose de nouveau, il n'est évidemment pas exemple de défauts : caméra maladroite, mécanismes de jeu parfois peu exploités (comme le crafting), puzzles simplistes voir inexistants, sexisme/misogynie/humour déplacé typique des jeux de cette époque... Il faudra mettre ces éléments en arrière-plan pour pleinement apprécier une jolie expérience vidéoludique, riche en petits détails sympathiques, comme les vêtements du protagoniste s'abimant au fur de l'aventure ou la possibilité d'influer sur le cours de l'histoire à des moments précis, le jeu possédant plusieurs fins. Plusieurs suites verront le jour, la dernière étant sortie en 2014.