Starcraft II, et je ne parle que de sa partie online qui est celle que tout le monde retiendra, n'est pas un jeu vidéo tel que vous l'entendez. C'est un sport. Le premier sport intellectuel. Ceux qui s'affrontent à Starcraft sont des athlètes et y consacrent un effort intellectuel absolument titanesque à chaque partie.

Il existe un débat sur l'effort requis pour jouer à Starcraft et celui d'un classique comme les échecs. Soyons clair. Starcraft est, de facto, infiniment plus complexe que les échecs. Et ce, pour des multitudes de raisons que je vais vous expliquer, et qui vont vous permettre d'appréhender la richesse de ce jeu :

• Aux échecs, votre échiquier est toujours identique. Dans Starcraft, chaque partie se déroule aléatoirement sur une de la dizaine de maps disponibles, aux reliefs, distances, et stratégies très différentes.

• Aux échecs, les deux joueurs ont des armées identiques. Dans Starcraft, il existe trois races aux caractéristiques totalement différentes. Elles sont tellement opposées que les joueurs n'en maîtrisent généralement qu'une seule malgré des années d'entraînement.

• Aux échecs, vous devez seulement gérer le positionnement de vos unités. C'est votre seule tâche. Dans Starcraft, vous devez récolter du minerai, créer plus d'ouvriers pour solidifier votre économie, tout en produisant vos unités de combat. Ce qu'on appelle la macro. La micro, elle, consiste à déplacer vos unités sur le terrain et exploiter au mieux leurs spécificités.

• Aux échecs, c'est du tour par tour. Dans Starcraft, c'est du temps réel. C'est autrement plus stressant. Chaque seconde passée demande énormément d'attention aux centaines d'éléments du jeu. Si vous passez cinq secondes sans regarder au bon endroit, vous risquez de perdre votre armée entière sur des tanks bien placés ou de vous faire parachuter des unités dans votre base (ce qu'on appelle drop). Starcraft demande tellement d'efforts qu'on comptabilise les Actions Par Minute. Chaque clic, chaque touche du clavier, chaque déplacement de caméra est comptabilisé. Les joueurs de bon niveau atteignent les 300 APM dans les moments chauds, ce qui représente plus de 5 actions par seconde !

• Aux échecs, vous avez la vue de l'échiquier et vos yeux ont accès en permanence à la position des pièces ennemies. Dans Starcraft, vous ne voyez que ce que vos unités voient. Il y a donc tout un jeu d'estimation. Est-ce qu'il a une base ou deux bases ? S'il n'en a qu'une, il sera agressif d'une façon ou d'une autre, je dois me préparer à défendre. S'il en a deux, je devrais peut-être lui mettre la pression et le "punir" d'être aussi avide. Est-ce qu'il a beaucoup de petites unités ou quelques grosses ? S'il a beaucoup de petites unités, je devrais peut-être favoriser les dégâts de zone comme les tanks qui touchent plusieurs unités à chaque tir. Est-ce qu'il a vu que j'avais pris une troisième base ? Si oui, il risque de l'attaquer et je ne l'aurais pas encore rentabilisé, auquel cas il faut que je l'occupe chez lui un maximum de temps. Sinon, je suis tranquille et je peux peut-être attendre deux minutes de plus pour me faire des avions plus puissants ? Est-ce que son armée est devant chez moi ? Si oui, je dois être extrêmement prudent. Il peut m'attaquer à tout moment, mais ce peut aussi n'être qu'une diversion pendant qu'il s'installe une base supplémentaire… Bref, le jeu sollicite énormément d'interrogations à chaque instant, et les meilleurs joueurs, en plus d'être des monstres vis à vis de leur vitesse de jeu, sont tous simplement ceux qui calculent et devinent le mieux tous ces éléments.

J'y joue depuis deux ans, j'ai un niveau assez bon. Je suis dans les 7% meilleurs mondiaux, la ligue diamant (parmi bronze < argent < or < platine < diamand < master), avec plus de 3000 parties jouées, et j'ai l'impression pourtant d'apprendre de nouvelles choses à chaque partie. Un nouveau timing où j'étais fragile, un nouvel usage d'unité auquel je n'avais pas pensé, une façon de se protéger particulière, une bonne exploitation de la map par rapport à son relief, une façon géniale d'induire l'adversaire en erreur, une nouvelle manière de tendre un piège etc… Le jeu est tellement riche et complexe qu'il est impossible à appréhender en une heure ou deux, ni même avec 100 heures. En fait, seuls les joueurs professionnels sur Starcraft inventent des choses, trouvent de nouvelles façons de se mouvoir, exploitent au mieux les possibilités. Ce sont eux, en tant que pionniers, qui ouvrent la voie aux joueurs médiocres en dessous. Leurs parties sont tellement remplies d'exploits humains (en terme de rapidité d'exécution, de sauvetage in extremis, de planification et de déploiement de leur stratégie en fonction des aléas) qu'ils sont célèbres et regardés par des millions de joueurs. Les compétitions sont diffusées en streaming devant des centaines de milliers de joueurs, et se retrouvent ensuite sur Youtube pour engranger encore plus de vues. Les sponsors se régalent, ils financent des équipes entières, les joueurs assurent le spectacle, les casters commentent ces parties en live avec une énergie digne des plus grands évènements sportifs, et tout ça, c'est pour nous, pauvres joueurs anonymes, qui nous nous délectons de leurs prouesses et tentons maladroitement de reproduire leur génie dans nos parties.

Starcraft II est un jeu incroyable. Je n'avais jamais ressenti ça dans aucun jeu jusqu'à présent, et je le recommande à tout hardcore gamer souhaitant vraiment découvrir ce que signifie jouer online. Contrairement à un FPS où la mort et où la perte d'une partie n'a aucun enjeu particulier, quand vous mourrez dans Starcraft, vous perdez une partie, et perdre une partie signifie perdre des points, et potentiellement, retomber dans une ligue plus basse. Cette pression constante lorsqu'on lance une nouvelle partie est si intense que la plupart des joueurs n'osent pas jouer en 1 contre 1, le mode phare de Starcraft et assurément le plus stressant et le plus demandeur en talent, et préfèrent se reporter sur en 2 contre 2 et jouer "pour le fun" , beaucoup moins compétitif car il n'est pas conçu de façon équilibré et le niveau est généralement très bas. Une énorme partie des joueurs ont aussi jeté l'éponge et préfèrent apprécier les parties des pros via les streams et les vidéos, même s'ils n'y jouent plus depuis un an ou deux. C'est vous dire à quel point Starcraft est fascinant : il est impossible de décrocher.

Je pourrais enrichir cette critique par des détails beaucoup plus techniques comme l'équilibrage des races, l'innovation perpétuelle du meta game par rapport aux changements apportés sur les maps, le fait que les scientifiques l'utilisent comme benchmark de l'activité cérébrale (comparable à un pilote d'avion de chasse en plein combat selon eux), mais ça ne me paraît pas être le bon endroit pour développer autant et ça n'intéresserait que les initiés. Si vous ne connaissez pas Starcraft et que vous voulez vous sentir vivre en jouant à un jeu vidéo, il est temps de vous y mettre. Vraiment.
timsoret
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le 8 sept. 2012

Modifiée

le 8 sept. 2012

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