Greedfall incarnait pour moi la consécration inespérée du studio Spiders après des décennies de galères et de projets cahoteux sur les terres martiennes; un RPG qui n'avait clairement pas la prétention de réinventer la roue mais qui digérait pour une fois habilement ses influences à l'heure où son principal modèle s'était détourné dans les méandres du jeu à service et des blagues Marvel douteuses. J'avais donc été assez déçu d'apprendre que Steelrising emprunterait la voie également très codifiée du SoulsLike alors que son excellent concept laissait présager d'un chouette RPG à l'ancienne où automates et humains, paysans et privilégiés se réuniraient autour de la figure fédératrice de notre personnage pour une relecture interactive de la Révolution Française. A dire vrai, ce sentiment ne s'est pas totalement estompé à l'heure où j'ai fini ce Steelrising mais j'ai fini par accepter la proposition distincte du titre en la matière : notre héroïne est le seul automate doué de raison et la seule figure féminine évoluant au milieu des meneurs de la révolution, étrange contraste évoquant une figure mythologique descendant sur terre pour combattre aux côtés des hommes, à l'image de son nom fort évocateur.
De ce fait, c'est bel et bien un périple solitaire qui va nous être conté mais si Steelrising emprunte jusqu'à la moelle tous les composants habituels des Souls, il n'essaie jamais de mettre en œuvre une narration cryptique où la réflexion du joueur serait sollicitée (parfois à outrance...) pour comprendre les motivations de nos adversaires; dans le cas présent, Spiders s'évertue à mettre en place une intrigue plus traditionnelle en distillant des cinématiques plus fréquemment dans la progression du joueur, d'une part en l'encourageant à collecter des souvenirs associés aux figures révolutionnaires afin de permettre leur libération future, d'autre part en intégrant des quêtes secondaires aux enjeux importants pour diluer un peu de narration plus tangible au fil de l'exploration; même son de cloche pour le sempiternel refuge des derniers rescapés face à la menace en cours : les traditionnels dialogues unilatéraux sont ici interrompus par d'autres protagonistes qui s'incrustent à la conversation pour donner (ou imposer) leur point de vue, conférant enfin une réalité tangible à des conversations au sein d'un espace fermé où le bonhomme en arrière fond va s'intégrer au débat en cours au lieu de rester passivement spectateur de notre discussion, une démarche plus que bienvenue après des décennies de dialogues en vase clos.
Comme souvent chez Spiders, l'écriture n'est pas d'une grande subtilité à l'image de l'émancipation pas du tout progressive de notre héroïne d'une servante docile à justicière vengeresse mais elle est, comme souvent chez Spiders, teintée d'une sincère générosité: Steelrising convoque ainsi des personnalités assez méconnues de la révolution française, au delà des figures plus attendues de la Fayette et Robespierre, et tous nos Quest Givers s'avèrent être des hommes ayant marqués l'Histoire pour diverses raisons, de quoi donner envie par la suite de combler ces lacunes sur cette période tumultueuse. Néanmoins, force est de constater que le jeu se contente d'effleurer prudemment avec un bâton son indéniable potentiel de questionner le joueur sur les contradictions idéologiques des meneurs de la révolution, au delà de la figure romancée qui a perduré longtemps à travers la fiction; il nous est certes demandé de nous rallier à la cause de Robespierre ou la Fayette (ou de rester en retrait de leurs querelles internes) mais le récit ne s'attardera pas à déstabiliser davantage le joueur sur le bien fondé de ses alliés, à l'image de la représentation inutilement manichéenne de Louis XVI (seulement désamorcée littéralement à la dernière minute de l'intrigue) ou l'absence d'un épilogue plus conséquent, illustrant les actions à venir de ceux que nous avons placés au pouvoir. Il faut dire que dans toute cette uchronie de notre pays, un absent de taille se fait sentir en la personne du peuple français lui même. SoulsLike oblige, Paris s'avère être une ville désertée où les paysans, simples marchands ou opprimés se contentent d'être des cadavres qui jonchent les rues ou des figures désincarnées qui nous interpellent depuis leurs maisons barricadées dans des dialogues assez artificiels; pas le moindre représentant en chair et en os des miséreux qui prendront les armes pour se rebeller contre leurs conditions de vie, l'immersion en prend un coup d'autant que cette absence généralisée du tiers état implique également que le jeu évoque à peine les considérations très terre à terre de l'époque; pas de famine, de maladie ou de mortalité infantile au pays de Steelrising où le jeu reste paradoxalement dans une vision très Fantasy des évènements, détachée ainsi des préoccupations plus ordinaires.
Qu'à cela ne tienne donc, car s'il joue ainsi la carte du dépaysement, Steelrising le fait avec un certain brio; le jeu a joué quelque peu de malchance en se voyant confronté à un Lies Of P bénéficiant d'un enrobage bien plus élégant mais il est étonnant de constater à quel point Steelrising tient pourtant bien la comparaison face à son illustre concurrent. Certes, le périple de Pinocchio est sans doute bien plus marquant dans ses fulgurances qu'il s'agisse de ses décors, personnages, boss ou thèmes musicaux mais Steelrising peut néanmoins se targuer de faire preuve de davantage de régularité dans son contenu qu'il s'agisse de sa direction artistique et surtout des possibilités accordées par le Level Design; les décors sont magnifiques et se renouvellent assez fréquemment et le jeu a un bon goût d'insuffler une légère composante MetroidVania dans son exploration, facilitant ainsi grandement la redécouverte des environnements avec le déblocage de nombreux raccourcis et une progression totalement fluidifiée à travers les niveaux. Le chara design n'est pas en reste avec une très belle caractérisation de l'héroine et une représentation iconique de nombreux boss évoquant les codes esthétiques de la royauté déchue et les prouesses artistiques qui parsèment la capitale ; il est d'ailleurs amusant de constater à quel point les antagonistes s’intègrent très bien en statues figées dans des environnements semblables à des galeries de musée interactif.
Enfin, le combat opère clairement une accessibilité qui rebutera les joueurs désireux de trouver dans le genre un challenge à la mesure de leur patience; néanmoins, dans la mesure où Steelrising applique une certaine emphase sur sa composante narrative, cette difficulté rabaissée a le mérite d'impliquer un rythme également moins déstructuré où le joueur ne perdra ainsi jamais le fil de l'intrigue face à un adversaire trop récalcitrant ou un dédale inexpugnable. Si vous faîtes parti des joueurs ayant davantage apprécié Elden Ring pour le sentiment de découverte et l'exploration que pour les branlées successives infligées par Malenia alors cette démarche saura peut être vous interpeller; dans le cas contraire, il serait possible de déceler dans cette facilité une certaine concession face à un système de combat pas assez précis pour soutenir l'exigence généralement associée au genre. Néanmoins, je dois bien admettre avoir été étonné de la qualité des affrontements alors que le combat était généralement la composante la moins reluisante des productions Spiders; la gestion de l'endurance est d'ailleurs particulièrement bien pensée et pour une fois parfaitement cohérente avec son sujet avec son système de refroidissement pour enrayer la surchauffe des mécanismes (les exclamations poussées par l'héroine durant les coups semblent par contre hors de propos mais j'imagine qu'il s'agissait là d'un Feedback sans doute nécessaire). Amis de la parade, sachez qu'elle est présente en ces lieux mais néanmoins attribuée de manière assez étrange à la capacité spéciale de certaines armes; ne vous attendez donc pas à de vrais duels d'épéiste mais elle aura néanmoins son importance durant certains affrontements.
Bref, vous l'aurez compris, je ne manque pas d'écueils à adresser à ce Steelrising et mon jugement aurait peut être été plus sévère encore auprès d'un autre studio; néanmoins, en ayant connaissance du passé créatif assez mouvementé des développeurs parisiens, je suis plutôt admiratif de la qualité grandissante de leurs dernières productions; une belle leçon de persévérance, à défaut d'atteindre encore une vraie fulgurance, et qui augure de belles promesses pour l'avenir de leurs œuvres interactives. Dans le cas présent, Steelrising demeure une belle uchronie fantasmée de cette période charnière de notre histoire et si l'effet carte postale historique s'avère en soit efficace, il demeure teinté d'un certain regret que le jeu n'ait pas osé décortiquer davantage les controverses encore sujettes à débat sur cette période troublée (malgré son évidente dimension romanesque, même Lady Oscar se risquait après tout à nous faire ressentir de l'empathie pour le sort de la famille royale conduite inexorablement à l’Échafaud). Certains politiques un peu prompts à la colère s'étaient après tout questionnés légitimement sur les facilités scénaristiques d'Assassin's Creed Unity et nul doute que Steelrising aurait fait lever plus d'un sourcil également s'il avait bénéficié d'une attention médiatique similaire.
Néanmoins, un jeu qui te donne envie de peaufiner ta connaissance historique après l'avoir achevé ce n'est pas si fréquent et c'est déjà, sans doute, une réussite en soit.