Steelrising
6.2
Steelrising

Jeu de Spiders Games et Nacon (2022PC)

On a beaucoup dit de Steelrising qu’il plairait aux fans de Dark Souls et Elden Ring. Sur le papier, ça devrait être vrai : le nouveau jeu du studio français Spiders clone littéralement la formule From Software, au chromosome près. Fioles à améliorer, âmes à ramasser, stats à gonfler progressivement, armes qui « scalent » selon certaines stats et peuvent elles-mêmes être boostées… et bien sûr, environnements labyrinthiques peuplés de vilains à taper selon différents styles de combats. Même le schéma de contrôle est exactement le même, avec les très typiques boutons d’action attribués aux gâchettes basse et haute. Tout est vraiment pareil, et les premières heures concourent en effet à indiquer qu’on joue à un pur Souls-like avec une fausse moustache de Louis XVI, et ça m’allait très bien comme ça. Tant que ça durait, donc.


Parce que c’est le problème numéro un de Steelrising : ça ne dure pas. Dans tous les sens du terme. Au sens premier d’abord, puisque le jeu demande moins de 20 heures pour être bouclé à 100%, ce qui fait tout de même cher le voyage pour un jeu vendu au prix d’un AAA. Les autres Souls-like indé ne dépassent jamais cette durée, mais ils ont le bon goût d’être vendus deux fois moins cher. Mais le plus grave, c’est pourtant que Steelrising ne dure pas dans sa proposition initiale. Je ne suis pas d’accord pour dire que le jeu plaira aux fans de Dark Souls et d’Elden Ring, dans la mesure où il est d’une facilité déconcertante. C’est selon moi LE point sur lequel les développeurs n’avaient pas le droit de se planter en clignant à ce point ouvertement de l’œil au public de From Soft : la gestion de la difficulté. Dans Steelrising, c’est à ce point mal fichu que ce seul problème suffit à mes yeux à le rendre dramatiquement raté, alors qu’il a de nombreuses autres qualités à faire valoir par ailleurs. Et c’est ce sur quoi je me dois d’insister pour éviter la déconvenue aux autres fans de Souls qui, par l’odeur et les articles de presse alléchés, auraient l’envie de fourrer leur groin dans ce jeu : Steelrising est FACILE.


Mais pas facile comme dans « allez, si on est un pro-gamer, on galère moins que dans un Souls, mais c’est quand même intéressant ». Non, facile comme dans « Ce jeu est tellement facile que j’y joue uniquement avec les orteils du pied gauche en lisant le journal dans mon bain ». Difficile pour moi de dire quelle drogue ont pris les personnes en charge de l’équilibrage ou celles ayant pris la décision finale de rendre toute la difficulté du jeu au niveau d’un Adibou pour enfants aveugles, mais à l’arrivée, c’est quasiment scandaleux tellement Steelrising est ennuyeux comme la pluie malgré son excellence théorique et pratique. On a un jeu complet, bien conçu, créé par des gens qui ont à l’évidence beaucoup de talent, que ce soit dans le game design, dans la direction artistique, dans le level design, même dans l’écriture d’un scénario audacieux qui convoque un cadre et des personnages historiques pour les lier dans une intrigue vraiment novatrice et intéressante. Et à côté de ça, on ne profite réellement d’aucune de ces qualités en tant que joueur, car l’ensemble du niveau de difficulté, passée les 2 ou 3 premières d’accoutumance, est si ridiculement bas qu’on s’emmerde comme un rat qui se demande s’il ne devrait pas plutôt aller manger un autre fromage.


Autant le dire, toute cette critique est écrite sous le prisme de cette difficulté, ce qui, je peux le concevoir, pourra sembler injuste à certains. Steelrising est un jeu bien branlé, qui met théoriquement une raclée à l’intégralité des jeux précédents de Spiders et y compris de l’excellent Greedfall, qui en comparaison fait figure de petit jeu indépendant coincé et pataud. Depuis quelques années, on sent vraiment Spiders en pleine possession de ses moyens, et le saut en qualité depuis ses petits RPG AA est tel que j’ai souvent eu peine à croire que c’était le même petit studio français à l’origine de ce superbe clone de Dark Souls aux mimiques si perfectionnées. Ils ont pensé à tout, ils ont tout réussi, le dynamisme du système de combat, l’évolutivité du gameplay, les niveaux tortueux bourrés de passages secrets et chemins de traverse, les façons capillotractées d’atteindre des objectifs, la progression dans ces invraisemblables dédales que constituent le vieux Paris, ses jardins et quais de Seine. Il y a même des zones entièrement optionnelles planquées derrière des petites portes facilement ratables, des égouts cachés, et une tonne de backtracking liée à l’obtention de nouveaux pouvoirs et de nouvelles clés.


Mais non, simplement, ce n’est pas possible de faire un Souls-like à l’adresse des fans du genre pour se foirer à ce point sur l’un des principaux intérêts du jeu, son système de combat et de progression. On se trimballe en permanence un avatar surpuissant qui roule sur tout, les petits ennemis, les gros ennemis, jusqu’aux boss qui, pourtant très beaux, deviennent d’une infinie tristesse dès qu’on comprend que chaque affrontement sera plié en moins d’une minute montre en main sans avoir besoin de faire attention, juste en matraquant le bouton d’attaque. C’est tellement pathétique que certains boss ont une deuxième phase qu’ils n’ont même pas le temps d’entamer, car leur animation de déclenchement est tout simplement interrompue par leur mort, à l’occasion d’un simple coup chargé avec l’arme de départ qui leur met littéralement un putain de tiers de leur barre de vie. Bien sûr, au début, ce n’est pas le cas, le temps qu’on prenne quelques niveaux. Mais alors, dès le tuto terminé (ironie !), tout le reste du jeu n’est qu’une lamentable promenade de santé où rien, absolument rien n’est une menace. Rien, si ce n’est l’appréciation de certains sauts et des zones mortelles (eau, vide…) dans lequels on plonge par erreur après avoir foiré un dash ou heurté un mur. Mes trois morts dans Steelrising ont toutes été accidentelles. La dernière mort du jeu n’a même pas eu lieu pendant le boss final : elle s’est produite juste avant, dans une zone sans ennemi, tandis que je trottinais dans un joli jardinet en regardant les statues, en me noyant dans une mare au milieu du chemin. J'ai même dû aller vérifier à plusieurs reprises que les fameuses options novatrices d'accessibilité mises en place par le jeu, qui ont été saluées un peu partout, n'étaient pas activées : en effet, elles ne l'étaient pas, et cela me fait d'ailleurs me demander à quoi bon les proposer, ça a autant de pertinence que de proposer un mode Facile pour un jeu Dora l'Exploratrice. Quelle tristesse.


J’ai fini le jeu avec les équivalents de 5 fioles d’Estus pleines, deux armes améliorées au maximum scalant S dans ma discipline, plus de 100 grenades de chaque type, d’objets de soin, de fioles de résistance, de matériaux d’amélioration et tutti quanti. Je n’ai jamais eu besoin d’utiliser la moindre merdouille en vingt heures de jeu. J’ai fait l’un des derniers boss du jeu avec la main droite dans un sac de bonbons Haribo. Je continuais de trouver des trucs dans des coffres, des équipements, des armes, de belles armures… tout, intégralement inutile. Ce n’est pas possible, c’est un sabotage. Comment peut-on rendre un jeu aussi bien conçu et produit, aussi inintéressant à jouer ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer chez Spiders pour, d’un côté, réussir à réaliser un jeu aussi abouti artistiquement et mécaniquement, et de l’autre, rendre un gameplay d’action pourtant jouissif et fun aussi soporifique ? Y a-t-il quelqu’un chez Nacon qui leur a expliqué que pour se vendre, le jeu devait être fastoche ? Le responsable de l’équilibrage est-il parti rejoindre l’équipe de campagne de Bruno Bonnell en plein milieu du développement ? Les grèves du métro parisien ont-elles empêché uniquement cette personne de venir au boulot chaque jour du développement du jeu pendant que tout le reste de l’équipe était au turbin pour pondre ce qui est autrement un petit chef-d’œuvre ?


Sauf que quand on enlève à Dark Souls son exigence, ce n’est plus la même chose, c’est ainsi. C’est la même chose pour Steelrising : débarrassez-le de son niveau de difficulté faisant pourtant partie intégrante de l’expérience, et il ne reste qu’un squelette de game design dont seuls les connaisseurs pourront certifier qu’il est construit sur un socle cohérent, mais qui ne pourront pour autant pas lui pardonner une telle faiblesse. C’est fastoche, du coup, on s’ennuie ; on s’ennuie, et on remarque les petits défauts du jeu ; ces petits défauts se voient de plus en plus : ces quêtes Fedex pas très intéressantes, ces dialogues un peu trop longs et démonstratifs qui tranchent avec la philosophie du Souls-like et qui étaient sans doute une entorse au genre à éviter, ces ennemis copiés-collés dont le design, certes très réussi, finit par gonfler au centième péon démoli d’une pichenette alors que la musique de combat venait à peine de terminer son fondu d’entrée. Steelrising m’en a mis gros sur la patate, car, un peu à la manière de l’un des complots politiques présentés dans le jeu, il a vraiment l’air lui-même d’avoir été victime d’un sabotage. Ca me rend dingue, car ailleurs, Spiders a tellement relevé le niveau que même dépourvue d’enjeux, la très touchante séquence de fin dans laquelle un Louis XVI défait adresse quelques mots aux Français venus réclamer sa tête a réussi à m’émouvoir. Avant celle-ci, les nombreuses dérobades d’un scénario malin, qui mêle Histoire, science-fiction et fantastique avec pas mal d’adresse et m’a donné envie de me replonger dans la période de la Révolution française. A défaut, donc, de m’avoir donné envie de replonger dans le jeu.

boulingrin87
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le 20 nov. 2022

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Seb C.

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