Note : Steins;Gate 0 s’inscrit dans la même histoire que Steins;Gate premier du nom et n’a aucun intérêt en stand-alone. C’est pourquoi je vous déconseille la lecture de ce qui suit si vous n’y avez pas joué et vous recommande plutôt son prédécesseur, fort sympathique et de meilleur qualité.
Scénario : narration et personnages
L’histoire commence au niveau de la True End du premier jeu, après le premier échec de Rintaro dans sa tentative de sauver Kurisu et la tuant lui-même par accident. Le jeu diverge ici de son prédécesseur, Okabe ne recevant pas le mail du futur qui lui permet de trouver le moyen d’arriver à sa fin. Ici, Okabe finit brisé et décide d’abandonner ses tentatives de sauver Kurisu, condamnant le monde à finir broyé dans une troisième guerre mondiale d’ici quelques décennies. Fini la tenue de laboratoire, et bonjour la tenue de deuil en noir. C’est un Okabe bien dépressif et sérieux auquel nous avons droit ici. Cela veut également dire adieu aux illusions de grandeur et Hououin Kyouma. Le prologue se déroule dans une conférence sur l’intelligence artificielle. Suite à une rencontre avec Maho, une scientifique responsable de l’un des projets présentés, Rintaro se retrouve finalement testeur pour une nouvelle IA dénomée Amadeus qui se base sur des souvenirs digitalisés pour reproduire une personne. Le monde est petit, et il s’avère que l’IA Amadeus dispose des souvenirs de Makise Kurisu, 8 mois avant sa mort.
Niveau potentiel scénaristique, il y avait de quoi faire : avoir Rintaro au bout du rouleau qui se retrouve avec une IA simulant Kurisu entre les mains permettait des tonnes d’approches : Rintaro va-t-il se servir de cette IA comme mécanisme de substitution pour la mort de sa chérie ? Ou au contraire la dénier complètement, ne souhaitant pas se voiler de la vérité ? Le jeu aurait pu nous permettre d’avoir nos propres choix à ce sujet, puisqu’à la base nous sommes capables de refuser certaines des conversations avec Amadeus qui interagit avec Okabe via son téléphone. Le problème est que cela n’aura réellement que peu d’effets sur l’évolution du scénario, car seuls quelques moments clés permettent de bifurquer sur une route ou une autre et un seul aura pour enjeu une sorte de dépendance entre Rintaro et cette IA. La relation entre Rintaro et Amadeus prend de moins en moins d’importance au fur et à mesure que le jeu progresse : certaines des routes du jeu retirent même toute conversation avec Amadeus durant de très longues sections de jeu.
En tant que personnage, Amadeus n’est finalement que Kurisu bis et n’est pas très développé comme personnage, agissant plus comme extension de Kurisu du jeu de base. Dommage, il aurait pu être intéressant de voir comment ces 8 mois d’écart auraient pu avoir un impact sur le personnage ou encore comment le fait d’être une IA aurait pu influencer la personnalité d’Amadeus. Autre possibilité manquée, que se passerait-il si l’on cherchait à altérer le programme de l’IA ? Quid de la conscience de soi (abordé mais survolé) ? Les différences de perception et d’échelle de vitesse concernant la capacité de réflexion entraîneraient-elles des perturbations pour établir des rapports sociaux ? etc.
Mais Amadeus n’est pas le seul élément scénaristique : le personnage de Maho sera au centre de la plupart des routes du jeu, et est probablement responsable à elle seule de la moitié de la note que j’ai pu attribuer au titre. Scientifique de génie et amie de Kurisu, elle souffre néanmoins d’un complexe d’infériorité sur le plan physique (son apparence la fait passer pour une enfant malgré ses 21 ans, à son grand regret) mais surtout vis-à-vis de Kurisu. Le jeu accentue fortement cette jalousie de Maho envers le génie de Kurisu à travers de multiples scènes ou autres détails : parfois subtiles, comme le pseudonyme qu’elle utilise à son travail qui joue sur la relation entre les musiciens Amadeus Mozart et Salieri. Elle est aussi mise en avant dans des scènes intenses entre Maho et Amadeus lors de certaines fins. Son statut de scientifique travaillant sur l’intelligence la met au centre de la plupart des questions plus philosophiques autour de l’intelligence artificielle, et le jeu met bien en avant sa passion sur le domaine. Best girl, sans aucun doute.
L’histoire du jeu commence de façon similaire à Steins;Gate : un nouvel élément est introduit aux personnages (D-Mail/Amadeus), rapprochant les différents personnages. Pendant ce temps, des forces bien plus importantes commencent à se mettre en place et vont chambouler l’existence du groupe du héros. Ici, la troisième guerre mondiale est en pleine préparation et une lutte pour l’information a lieu en plein Akihabara : en effet, Kurisu a laissé derrière elle les seules traces permettant la réalisation d’une machine à voyager dans le temps et toutes les puissances mondiales cherchent à se l’approprier en premier. Maho se retrouve vite impliquée dans ce conflit, possédant l’ordinateur portable de Kurisu. Okabe finit dans une situation similaire à l’opus précédent, sauf qu’il n’est ici plus capable de maîtriser la causalité via les D-Mails ou de revenir en arrière dans le temps. Cependant, les changements de ligne temporelle auront toujours lieux, causés ici par des agents extérieurs. Cela apporte son lot de problèmes mais néanmoins quelques bonnes idées en termes de narration :
- Les changements de ligne temporelle peuvent entraîner des changements dans le background de certains personnages. Certains personnages, alliés dans une ligne temporelle précédente, peuvent devenir nos ennemis dans une autre route. Cela entraîne un côté paranoïaque du joueur, qui colle très bien à l’état d’Okabe, pessimiste et dépressif.
- Certains des changements de lignes peuvent aboutir sur un Japon dévasté en pleine troisième guerre mondiale. Ces passages changent malheureusement complètement le ton de l’histoire et chamboulent le contexte. Ils semblent du coup totalement détachés du reste de l’intrigue et apparaissent par conséquent très superficiels.
- On a strictement aucune idée de ce qui peut déclencher un changement de ligne temporelle. Dans Steins;Gate, 2 éléments du scénario avaient une influence sur le temps, les D-Mails et le phone-wave. Les phone-waves permettaient de projeter sa conscience dans le passé mais n’entraînait pas de changement dans la ligne temporelle. Les D-mail, à l’inverse, envoyait un message dans le passé mais laissait les personnages qui l’envoyaient dans le présent. Ce D-Mail entraînait, le plus souvent, un changement de ligne temporelle. Dans Steins;Gate 0, les changements de ligne temporelles n’ont presque aucun fondement : seule une ligne de dialogue cherche à les justifier, mais le raisonnement est totalement détaché de ce qui a été mis en place dans le premier jeu (dans lequel des changements de ligne temporelle avaient lieu quand des éléments du présent étaient envoyés dans le passé). On a plus l’impression que le jeu change la ligne temporelle quand ça l’arrange, et on perd ainsi beaucoup en cohérence.
Concernant les fins du jeu :
Parmi les fins du jeu, sur les 6 présentes, 3 ont un intérêt non négligeable. Quant à la True Ending, s’il y a une idée intéressante dans la façon d’y accéder, elle n’apporte strictement rien à l’histoire et sert juste à mettre en place le D-Mail qui donne à Rintaro la motivation de revenir dans le passé dans la true ending de Steins;Gate. Elle dure à peine 5 minutes dans une scène post crédits d’une autre fin du jeu.
Un autre personnage plus anecdotique est Kagari, fille adoptive de Mayuri dans le futur revenue dans le passé en même temps que Suzuha. Son personnage change en intérêt selon la route narrative, mais reste plutôt limité vis-à-vis des autres éléments scénaristiques. Elle permet néanmoins quelques développements intéressants pour d'autres personnages et elle-même.
Et puis il y a le reste du cast secondaire : Yuki (la mère de Suzuha dans le futur), Kaede et Fubuki, toutes trois amis de Mayuri. Les deux derniers n’ont strictement aucun intérêt dans l’intrigue. Yuki, malgré un nombre important de scènes la mettant en avant, n’apporte finalement rien aux éléments clés de l’histoire. Pire encore, l’une des routes la rend plus qu’incohérente. Elle met en place des développements pour Daru et Suzuha mais qui ne vont finalement pas très loin, rendant son importance dans l’histoire superficielle.
L’intrigue elle-même est bien moins ficelée que dans Steins;Gate : la faute à des efforts moindres sur la cohérence des voyages dans le temps. Le scénario tend à lancer des éléments d’intrigue puis les virer d’un revers de la main via un changement de ligne temporelle. Il en ressort des impressions de facilités scénaristiques qui n’aident pas à l’immersion. Sur les 5 routes, 3 ont une conclusion hâtive dans des scènes sans build-up. Steins;Gate avait un rythme assez bâtard qui se ressent plus encore dans son adaptation en série animée, mais son contexte n’en reste pas moins bien établi. La première partie de l’histoire sert plus de build-up sur les relations pendant que les protagonistes jouent à Dieu, tandis que la seconde met Okabe face à la réalité, chaque chapitre le forçant à défaire l’une de ses manipulations précédentes. Chaque chapitre dispose donc d’un contexte clair et défini, et ils ont chacun pour but de développer un des membres du cast secondaire (avec plus ou moins de succès). Ici, l’intrigue varie souvent d’un point à l’autre abruptement, nuisant fortement à l’intensité de certaines scènes qui coupent court pour des scènes totalement dissociés des thèmes abordés précédemment. Cela se ressent également dans les changements de perspective : Steins;Gate se déroulait tout le long à la première personne, dans la peau du protagoniste. Ici, certaines scènes sont narrées à la troisième personne et suivent des personnages différents. Si ces scènes peuvent apporter un peu de fraîcheur nécessaire pour changer d’un Rintaro dépressif, elles ont tendance à arriver comme un cheveu sur la soupe et à perturber le rythme de la narration. Ces scènes deviennent frustrantes à jouer, car nous savons pertinemment que ces scènes n’entraîneront pas de divergences dans les routes du jeu, le seul outil les permettant n’étant pas accessible.
Les dits changements de routes s’effectuent de façon similaire à l’opus précédent, via le téléphone de Rintaro. Ce dernier peut recevoir des coups de fil d’Amadeus qu’il peut parfois choisir d’accepter ou refuser (modulo instant du scénario). À certains moments, cela pourra faire bifurquer le jeu sur une route ou une autre. Le téléphone de Rintaro sert aussi pour des conversations textuelles par téléphone à 2 ou plus. Ils n’ont aucune influence sur le scénario mais peuvent apporter quelques passages humoristiques sympathiques. Bonne distraction mais dont les apparitions sont bien trop sporadiques.
Design et audio
Concernant la direction artistique, si le chara-designer (Huke) reste le même, on a le droit à un changement de style qui me laisse mitigé. Tout d’abord, le contraste est tel que j’ai cru que l’artiste avait changé entre les deux (je soupçonne l’équipe artistique d’être différente, chara designer à part). Là où ça devient gênant, c’est que l’on sent un écart de qualité palpable entre les deux jeux. C’est encore acceptable, considérant que Steins;Gate était tout simplement sublime avec des shading superbes sur les personnages et des effets de lumière éthérée qui donnait un cachet unique au titre. Ici le style semble bien plus standardisé, avec des traits certes plus précis mais des personnages avec moins de charme. Le jeu réussit néanmoins à conserver des styles vestimentaires très différents pour chaque personnage, et renouvelle ceux du jeu précédent pour la saison hivernale. On conserve ce jeu des couleurs rendant les personnages très distincts les uns des autres au moindre coup d’œil. Cependant, le jeu reprend à certains moments des portraits du jeu précédent ce qui saute immédiatement aux yeux tant ils sont différents. Cela est utilisé quelque fois pour jouer sur des différences d’époque entre deux scènes, mais on sent que leur usage est parfois employé pour éviter d’avoir à redessiner certains personnages ou costumes.
Les CG sont de qualité bien plus variable et globalement moins mémorable que ceux du jeu d’origine. Quelques-uns deviennent presque risibles avec de terribles effets de profondeur ou des personnages qui ne semblent pas regarder là où il faudrait. Quelques rares très bons succès sont présents mais se comptent sur les doigts d’une main. Les backgrounds sont néanmoins excellents, grouillant de détails et disposant de bons jeux sur les profondeurs.
La musique est complètement oubliable, du moins les nouvelles créations pour cet opus. Pour un visual novel, c’est loin d’être pardonnable. Heureusement, les meilleurs morceaux de la bande-son précédente sont réutilisés ici. Difficile cependant d’en féliciter Steins;Gate 0. Le doublage reste très bon, même si l’aspect dépressif de Rintaro tend à taper sur les nerfs sur le long terme. De plus, perdre ses excès d’orgueil est regrettable étant donné comment le doublage rendait ces scènes amusantes. Quelques passages permettent néanmoins de profiter d’un niveau de doublage similaire. Une note sur le doublage d’Alexis Leskinen, personnage de nationalité non japonaise et à fort accent. Le doublage de ce personnage est vraiment réussi, avec un accent à couper au couteau dès qu’il aligne trois phrases de japonais. Si l’on sent que le doubleur n’est pas anglais (la faute à des constructions de phrases doublées en anglais tout simplement bancales), j’aurais aisément pu croire que studio avait demandé exclusivement à un doubleur d’Europe de l’Est pour faire ce personnage (dans les faits il s’avère que non, pas du tout). Un mot sur les passages en anglais pur dans le script original (et donc doublés en anglais dans le jeu) : ça coûtait quoi de vérifier que les quelques phrases en anglais du soft étaient correctement construites ? Des erreurs tout juste grossières ont lieu et sortent complètement de l’expérience lors des dialogues en anglais. On avait déjà le droit à des articles scientifiques dans le jeu de base mal traduits, mais cela se limitait à un CG seulement tout au plus, non des conversations. YOU HAD ONE JOB FOR FUCK SAKE.
Je vais finir sur quelques problèmes techniques. Tout d’abord, une mise à jour absolument essentielle est nécessaire avant de jouer au jeu, certains CG étant complètement coupés le cas échéant et la maj elle-même rendant invalide les sauvegardes effectuées précédemment. Autant le patch est léger, autant sortir des jeux en compotes est tout simplement insultant envers son public qui ne devrait pas avoir à réparer les pots cassés d’un lancement trop précoce. De plus, malgré la mise à jour, la galerie des CGs ne fonctionne pas normalement, certains des CGs obtenus ne s’affichant pas. C’est fou d’avoir autant de problèmes techniques pour un visual novel, j’avoue pour moi c’est une première.
Conclusion
Steins;Gate 0 n’est pas une catastrophe. il n’est même pas mauvais, mais il est absolument inutile. Il n’apporte rien à l’univers de Steins;Gate, ses réflexions sur le domaine de l’IA sont trop limitées avec au plus une très bonne scène sur le sujet, et en stand-alone sa narration est bien trop décousue pour en valoir la peine. Certains éléments de l’histoire n’ont pas de conclusion pourtant nécessaires et les relations entre nouveaux personnages sont laissées en suspens quelque-soit la fin atteinte. Le jeu est moins intéressant visuellement, la bande-son oubliable et la conclusion tout simplement décevante. Le plus décevant est la quantité de potentiel inexploité en termes de réflexion ou de narration, ce qui donne l’impression que le jeu n’est qu’une tentative facile de faire de l’argent pour le studio sur le dos d’une licence avec le vent en poupe. Seule Maho et certaines de ses scènes sortent le jeu de la médiocrité, mais cet argument à lui seul ne me pousse pas à vous recommander le titre.