Toujours vivant
Still There est un jeu de puzzle narratif nous faisant jouer Karl, une sorte de gardien de phare spatial dépressif, coincé dans une minuscule station avec une IA et un sphénodon pour seule compagnie...
Par
le 20 janv. 2025
Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏
Still There est un jeu de puzzle narratif nous faisant jouer Karl, une sorte de gardien de phare spatial dépressif, coincé dans une minuscule station avec une IA et un sphénodon pour seule compagnie. Il fait ses tâches quotidiennes répétitives d'astronaute quand un appel de détresse va le lancer dans une courte quête depuis son habitacle.
La forme que prend Still There m'a vite séduit. Le début laissait craindre un jeu où l'on va surtout faire défiler les dialogues et choisir des répliques sans grande conséquence (ce dernier point reste vrai), mais déjà le jeu détourne ce format pour mieux nous faire ressentir le déni de son protagoniste qui se persuade qu'il va bien. Et quand vient le moment de jouer, là où un autre studio aurait pris soit la forme d'un walking sim soit celle d'un visual novel, Still There opte pour une sorte de point & click dans un artwork déroulant à l'horizontale qui se boucle. Cela traduit une promiscuité claire qui ne se prêtait pas à un gameplay centré sur des déplacements en 3D, il n'y aurait pas eu l'espace pour ça. Cela permet aussi une navigation à la fois simple (on ne change jamais de pièce, mais notre manière de faire défiler l'écran et le fourmillement de détails évitent la lassitude visuelle) et juste assez laborieuse pour refléter l'étroitesse de cette coquille de noix où tout se superpose. Je n'aurai pas été contre un peu d'ergonomie supplémentaire, il manque la possibilité de faire du drag & drop pour combiner des outils au lieu de devoir d'abord faire un clic pour sélectionner l'objet et un autre pour sélectionner l'action, mais ces interactions restent suffisamment espacées pour qu'on le vive bien.
La partie qui est vraiment excitante c'est quand on cherche à comprendre comment marche cet environnement. Notre première tâche sera de se nourrir, et rien que ça demandera de faire un peu de recherche. Le jeu nous laisse tâtonner par nous même tout en lâchant juste ce qu'il faut d'informations pour qu'on sache où aller, avec un double système d'indices satisfaisant (demander à l'IA de l'aide pour comprendre ce qui est attendu, ce qui est recommandé car ça a l'air d'être pris en compte dans l'équilibrage, ou même activer un système pour réduire provisoirement la difficulté, que je n'ai pas eu besoin de tester). Parce qu'obtenir de l'eau recyclée c'est une chose (pas très crédible d'ailleurs, à un moment il faut renouveler l'eau fraîche quand même), mais comprendre comment fonctionne ce panneau de contrôle des enfers c'en est une autre. On se sent comme un gosse qui essaie de faire démarrer la voiture de Papa avec pour seule aide un manuel aux explications succinctes, on ne comprend rien. Et puis on va voir qu'en fait on a juste besoin de toucher à ces boutons précis, que ça fait référence à cette page précise du manuel, et qu'en bidouillant ça marche de telle manière. C'est très satisfaisant de passer de la peur devant les 1000 boutons qui nous toisent du regard, à une compréhension générale de l'utilité de chaque portion du tableau et de son fonctionnement. Au-delà de la difficulté à comprendre ces mécanismes, le jeu s'en sert pour nous servir quelques casse-têtes parfois assez ardus, mais en insistant on finit par percer la logique. En outre le jeu sait renouveler les épreuves qui nous attendent et les divers imprévus d'une vie d'astronaute, ce qui est motivant. Avec sa durée de vie idéale de 6h il nous tient en haleine avant de risquer de nous lasser de son concept, tout en nous donnant à sentir la vie aliénante que ça doit être de répéter ces tâches quotidiennes en étant ainsi isolé.
J'ai bien qualifié Still There de jeu narratif, cet aspect prend même le pas tant la dimension ludique me paraît nécessiter ce socle scénaristique pour garder de l'intérêt. On a un personnage bouffé par la culpabilité qui accepte un job ingrat et solitaire (à une IA blagueuse près) qui le coupe du monde sans même qu'il fasse le lien avec son état post trauma. Cela pourrait être très lourd, mais le jeu a une bonne écriture qui ne va pas forcer sur l'auto-apitoiement et qui sait offrir quelques répliques piquantes ou observations amusantes sur ce lieu de vie particulier. Le déroulement global de l'intrigue laisse quelques développements prévisibles mais progresse bien, et il y a une vraie tendresse exprimée envers ces personnages. Still There a beau rejoindre la longue liste des jeux indés qui parlent de dépression, il le fait avec son ton à lui et sans trop de complaisance... sauf peut-être à la fin.
Je vais détailler davantage dans la partie sous spoiler, mais disons qu'il y a deux manières d'interpréter cette conclusion. La première manière est imagée et me paraît être celle que devait chercher à faire le studio, du moins j'espère. Elle est un peu consensuelle, mais ok. La deuxième manière est littérale, c'est donc très probablement celle qui sera retenue par la majorité des joueurs d'autant plus qu'elle ne demande pas de tordre les événements pour coller, mais elle est vraiment très critiquable.
Quand Karl est au plus mal, il se dit qu'il a toujours cru que son problème était de ne pas réussir à s'éloigner du gouffre, alors qu'en fait c'était qu'il n'arrivait pas à s'en approcher. Il se penche alors vers un gouffre fictif en illustration, et la tension est palpable parce qu'on devine ce que ça peut signifier... mais en fait il ne s'agit pas de sauter dans le vide pour mourir. Tandis que l'illustration zoome plus avant dans ce précipice, notre personnage parle de sa fille décédée et ce zoom finit par s'arrêter à ses chaussures rouges. Elle est en effet morte d'une chute, et l'on comprend alors que ce que dit Karl est qu'il n'a pas su regarder ce drame en face, qu'il n'a fait que le fuir au lieu de l'affronter et que c'est pour ça qu'il n'a plus réussi à vivre depuis. La solution n'était pas dans l'oubli mais dans le pardon de soi. C'est un bon twist et un développement correct du trauma, cela reste léger pour traiter d'un problème pareil mais à l'échelle du jeu et de sa durée cela se montre assez bien fait.
Seulement le jeu ne s'arrête pas là. Il a un climax émotionnel à nous mettre dans la face dans lequel sa station se délite de toute part en même temps que son mental, alors que la personne qu'il essayait de sauver va finalement mourir et que lui-même paraît condamné, sans rien pouvoir y faire. Cette lente fin est très efficace émotionnellement : c'est amorcé avec juste le temps qu'il faut pour faire son deuil, il y a une vraie relation qui se noue avec la femme contactée (mais qui vire au cringe quand elle se met à l'appeler "Papa"), la description des objets change pour souligner que Karl n'a plus rien à faire de ce qui l'entoure et de ses tâches, avant qu'il ne finisse par accepter de quitter sa station dont il était prisonnier tout ce temps et de se laisser flotter dans l'espace. C'est bien amené, c'est fort, et c'est assez beau si on prend ça comme une libération de ses contraintes mentales et de sa paix intérieure retrouvée.
Sauf que ce qu'on voit, ça ressemble quand même plutôt au suicide d'une personne dépressive à qui on a dit qu'il n'y avait aucune issue, et qui serait magnifiée par la mise en scène. Je me doute que les développeurs n'essaient pas de présenter ce dernier recours comme une libération valable pour les personnes malheureuses, il n'empêche que c'est bien ce qu'on voit littéralement : quelqu'un qui met fin à tout ce qui constituait sa vie depuis quelques années en se jetant dans le vide spatial où la mort l'attend, malgré l'anomalie temporelle qui a l'air d'agir comme un phare pour lui (et qui représente aussi intelligemment la manière dont la dépression altère la perception du temps qui passe). C'est comme ça qu'on l'interprète en premier puisque c'est le degré de lecture le plus littéral, et c'est ce que beaucoup de monde en retiendra alors que ce n'est vraiment pas le message le plus intelligent à envoyer. Les dépressifs n'ont pas besoin qu'on leur dise que c'est ça qui les attend et qu'ils devraient s'y faire. Il y avait de meilleurs moyens de rester sur l'idée d'affronter ses problèmes et de ne pas se laisser enfermer dans une monotonie solitaire à mariner dans ses idées noires.
Still There est une expérience intéressante qui fait pile la bonne durée pour son concept. Il se montre très efficace, aussi bien pour stimuler notre matière grise que pour nous présenter l'état mental de son personnage. Il n'abuse pas de ses effets, évite de se montrer se montrer lourd, et offre une bonne montée en puissance en renouvelant constamment ses énigmes et ses enjeux. Son cadre restreint est très bien géré et exploité, c'est une franche réussite sur tous les points en dehors de son ergonomie par moment et de ce que j'ai dit sur sa fin.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs jeux indépendants
Créée
le 20 janv. 2025
Critique lue 4 fois
D'autres avis sur Still There
Still There est un jeu de puzzle narratif nous faisant jouer Karl, une sorte de gardien de phare spatial dépressif, coincé dans une minuscule station avec une IA et un sphénodon pour seule compagnie...
Par
le 20 janv. 2025
Du même critique
Des mini-divulgâcheurs se sont glissés dans cette critique en se faisant passer pour des lignes normales. Mais ils sont petits, les plus tolérants pourront les supporter. Seven Sisters est l'exemple...
Par
le 2 sept. 2017
95 j'aime
9
Cette critique s'adresse à ceux qui ont vu le film, elle est tellement remplie de spoilers que même Neo ne pourrait pas les esquiver.On nous prévenait : le prochain Matrix ne devrait pas être pris...
Par
le 27 déc. 2021
75 j'aime
3
Vous qui avez suivi peut-être malgré vous le feuilleton du Snyder Cut, vous n'avez sans doute pas besoin que l'on vous rappelle le contexte mais impossible de ne pas en toucher deux mots. Une telle...
Par
le 19 mars 2021
63 j'aime
4