J'ai découvert sur le tard, avec un emploi du temps limité, et un matos vieillissant (mais un casque audio au top), ce jeu aux ambitions que l'on devine grandes. Trop grandes ?
On le soupçonne, à l'instar d'un cyclops ou d'un Aurora, dont on devine qu'ils ont servi d'écrin pour un projet bien plus ambitieux. L'éjection du personnage joueur, dans l'introduction jeu, nous permet dès les premières minutes de contempler cet Aurora comme un objectif évident, mettant en place une habile narration diégétique maîtrisée et efficace, à l'instar de son génial cousin Outer Wilds (avec lequel il est d'ailleurs souvent comparé), nous offrant un récit complet, un rythme maîtrisé, aux enjeux scénaristiques bien renouvelés. Pas mal pour un jeu sans personnage tiers visible, tout étant amené par un pas très innovant mais très bien travaillé système de journaux audio.
Mais cette immersion au sens figuré est sublimée par la première immersion au sens propre, quand l'émerveillement se dispute à la surprise, en témoignant du soin qu'a apporté l'équipe à la confection d'un univers sous-marin absolument époustouflant, coloré et irrésistiblement attirant. La première heure de jeu est d'une fraîcheur sans égal, où l'on va d'émerveillement en émerveillement, où l'éclaboussure d'une découverte chasse la précédente. Les ambiances sont soignées et réussies, dans leur variété comme dans leur intensité, tant au niveau visuel que sonore : c'est un régal absolu.
Mise en place et immersion.
Puis, on descend. Plus profondément. À la recherche de plus de matos, de plus de réponses, de plus d'exotisme. Les mètres se transforment en dizaines, puis en centaines, puis en milliers : à l'horizontale, mais surtout à la verticale.
Les déplacements longue distance, c'est l'occasion de sonder du regard de ténébreuses profondeurs, de contempler le noir devant soi et de se demander quelles trésors, et quelles horreurs, se tapissent au fond, tout en écoutant la mélopée lancinante, profonde et grave, des léviathans gigantesques qui paressent, indolents, résonnant sur des kilomètres.
Ces mêmes chants qui sont notre seule boussole auditive, les seuls restes de la réalité du monde du dessus, quand on est soi-même bloqué à 700 mètres, à flipper dans des abysses au charme vénéneux, à se demander par quelle nouvelle monstruosité on vas se faire agresser, et dont le péril se dispute à la grâce dans leur design visuel et sonore. Quand notre assistant vocal crépite : "warning, this ecological biome matches 7 of the 9 preconditions for stimulating terror in human creatures".
Ambiance.
L'ivresse de la chute, la perte des repères géographique mais l'envie d'en savoir plus. L'envie de remonter très très vite au moindre pet d'amibe, la terreur de perdre de vue notre cher petit sous-marin qui est la dernière ancre de civilisation dans un canyon bien trop profond. La fuite paniquée après avoir vu un ombre fugace, entendu un grognement suggestif, sans oser regarder derrière soi, qu'une langue ou qu'une griffe vienne nous chatouiller les doigts de pieds pour nous rattraper vers les profondeurs.
La certitude que quelque chose nous chasse, quelque part, non loin, hors du faisceau de la lampe, et qu'il viendra nous bouffer par en-dessous. L'illusion du refuge, dans un véhicule en titane, quelques minutes avant de le perdre définitivement dans un fracas de fuites et de flammes, dans un orchestre d'alarmes, de chocs et de laconiques messages émis par la voix synthétique d'un bâtiment bien trop grand pour vous. "warning, leave the submarine in the next five seconds before explosion".
Panique.
La variété des expériences proposées en côtoyant la faune marine, passant d'une gracieuse valse avec une raie phosphorescente, puis d'une poursuite effrénée avec un léviathan faucheur (<3), d'un jeu de cache-cache avec un multipode au cerveau bien trop gros et d'une petite séance de diable-dans-la-boîte avec des anguilles électriques jaillissant de gigantesques champignons luminescents, à un échange sportif d'amabilités avec des dragons cracheurs de feu.
Frisson, excitation, émerveillement.
Remontons.
Le parti-pris de l'absence de minimap et les distances trop grandes, explicables pour impliquer affectivement le joueur, mais cette concession à ce que l'on nomme RP valait-elle vraiment le coup ? Les joueurs, tantôt amateurs de longues traversées muettes et contemplatives, tenant plus de la promenade en croisière que du parcours en eau vive ; tantôt agacés de devoir dépenser des minutes de leur vie à garder le majeur bloqué sur la touche Z (W pour les anglophones), s'en feront le juge. Mais il eut été apprécié, pour ma part, la proposition de ces éléments en option, de même que des bons gros fast travel des familles, qui n’apparaissent que bien trop tard dans le jeu. Car ce qui est une exquise (et efficace) invitation à la sérendipité en early game se transforme, une fois le charme rompu, en fastidieuse routine.Comme le jeu s'articule autour du concept d'expédition, le moindre oubli se paye cher. Tu as oublié de prendre des vivres ? Tu tombes devant un obstacle qui nécessite un outil que tu n'as pas embarqué ? Tu as pris 7 tablettes vertes mais pas de tablette bleue ? Tu n'as pas pensé à (ou tu n'as pas pris le temps de) construire et entretenir un avant-poste dans la vicinité ? Tu es bon pour te retaper 2x10 minutes de touche Z. Et élimer, progressivement, ton envie d'aller plus profond et d'en savoir plus, jusqu'à ce que l'agacement prenne le pas et noie ce qu'il te reste d'immersion dans le jeu.
Ennui.
Déception de mesurer potentiel gâché devant l'arsenal si prometteur, entre pistolets paralysant et bombes collantes, armes à gravité et leurres, quand on peut finir le jeu sans trop d'encombre en suivant la même routine paresseuse et fastidieuse, le jeu ne cherchant pas à notre sortir de notre zone de confort une fois que tu as trouvé les exploits adéquats. La faute à trop d'ambitions, où l'équipe a du choisir entre peaufiner son gameplay et parfaire son univers ? Sans doute. Quel dommage que le premier éclabousse si maladroitement le deuxième ; et le mode créatif ne relève pas totalement ces contraintes...
Dans la continuité de ce sentiment de gâchis, cette mer immense de possibilités offertes par le système de bases sous-marines, qui est à mon sens un jeu amusant de gestion d'espace, de ressources et de fonctionnalités, un jeu d'architecte avec de satisfaisant résultats visuels, mais un jeu sans enjeu. Un jeu où le temps investi (conséquent) ne le sera que pour la satisfaction personnelle du joueur. Alors, bien sûr, c'est gratifiant de construire un aquarium remplit de vie et de luxuriance sur huit étage, ou de se fabriquer un penthouse avec vue 360° sur l'immensité aquatique, mais quel dommage de le jeu ne donne lui-même quasiment aucun incentive à le faire ! C'est, en somme, et pour relier avec le paragraphe du dessus, le liant général dont je déplore l'absence.
Tous les ingrédients étaient là. Il ne manquait qu'un socle plus complet, pour donner un sens commun à toutes ces possibilités, et les faire converger ensemble. Ce qui aurait, pour moi, changé un très bon jeu en un grand jeu.