J'ai froid rien qu'à l'évocation du titre...
Syberia, ça faisait longtemps que je voulais le faire, en grand amateur du genre. Je me souvenais à l'époque du bruit qu'avait fait sa sortie, un jeu présenté comme un véritable événement. Je savais que visuellement j'allais en prendre plein les yeux, et à ce niveau je n'ai certainement pas été déçu.
Kate Walker, jeune avocate new-yorkaise, est chargée de finaliser la vente d'une usine d'automates pour le compte d'une grande société de jouets. Il ne lui reste plus qu'à se rendre sur place, dans le petit village alpin de Valadilène, afin de recueillir la signature de la directrice de l'usine, Anna Voralberg. Hélas, à peine arrivée elle apprend le décès de cette dernière. Harcelée par son patron, il ne lui reste plus qu'à se mettre en chasse de l'héritier disparu il y a des années, Hans Voralberg, parti chercher des mammouths en Sibérie...
Évacuons vite fait les défauts évidents du titre: tout d'abord, si les environnements sont beaux, ils restent très pénibles à traverser, on passe des plombes à aller d'un coin à l'autre, et l'animation rigide de Miss Walker empire encore la chose: une marche à descendre? Houlà, faut que je regarde mes pieds pour être sûre qu'ils soient bien alignés, réajuster ma position, et enfin poser le pied 5 centimètres plus bas. On trouve d'ailleurs quelques aberrations impressionnantes, comme lorsque notre chère avocate se retourne pour descendre en marche arrière d'un train... c'est difficile de se représenter l'absurdité de la chose comme ça, mais je vous garantis que visuellement, ça frise le ridicule.
Ensuite, l'action est terriblement linéaire, et ce pas toujours de façon fort logique: certains éléments pourtant visibles à l'écran ne peuvent être activés tant que certaines actions n'ont pas eu lieu... Parfois sans lien direct avec lesdits éléments. Pour donner un exemple (/!\ spoiler, pas très grave, mais spoiler quand même), il vous faudra à un moment dessiner un mammouth pour un petit garçon, mais le problème, c'est que Kate ne sait pas dessiner. Fort heureusement, un mammouth a été gravé dans le bois quelques mètres plus loin, mais vous ne pouvez pas y toucher tant que vous n'avez pas accompli tout autre chose à un tout autre endroit. Pire encore, vous ne pouviez pas rencontrer le garçon tant que vous n'aviez pas allumé l'ampoule qui permettait de révéler la présence de cette gravure. L'enchainement des événements est donc clairement biaisé.
Globalement, le début du jeu souffre de pas mal de problèmes de game design qui le rend désagréable à parcourir, malgré des qualités évidentes. Fort heureusement, la suite du jeu rattrape la sauce avec élégance, et il me reste maintenant à évoquer les raisons qui font de ce jeu un jeu inoubliable.
D'un point de vue très pragmatique, tout d'abord, l'ergonomie de ce jeu est très soignée. Il peut se jouer intégralement à la souris, y compris pour ouvrir et naviguer dans les menus facilement: le bouton gauche sert à interagir avec l'environnement, le bouton droit ouvre l'inventaire, et ce dernier permet d'accéder également à un sous-inventaire consacré exclusivement aux documents (nombreux et consultables à tout moment) et au menu du jeu. Ainsi, aucunement besoin d'utiliser son clavier pour sauvegarder. Ca parait bête, mais lorsqu'on joue sur sa télé avec trois personnes (j'ai toujours considéré les point & click comme un loisir hautement convivial), c'est quand même bien pratique.
Parlons maintenant des environnements de jeu, d'une qualité évidente: la vision de Benoit Sokal est saisissante, les inspirations nombreuses, visiblement très en résonance avec un certain style bd franco-belge qu'on peut approcher notamment du travail de Schuiten. L'univers est pourtant terriblement déprimant, peuplé d'automates et d'hommes sinistres dans une Europe sale et négligée.
D'ailleurs, le dessin entre parfaitement en résonance avec l'esprit du jeu et du scénario: Suivant les traces de Hans Voralberg, Kate Walker s'épanouit en réanimant un âge optimiste et progressiste, où des mots comme "utopie" et "visionnaire" n'étaient pas encore des termes péjoratifs. À la fois amer et beau, le monde de Sybéria est terriblement attachant. Tout comme l'héroïne d'ailleurs. Si elle semble l'archétype du héros de base de ce genre de jeux, elle prend tout son intérêt en contraste avec ses proches, avec lesquelles elle reste en contact avec son GSM: son fiancé, furieux de ne pas pouvoir l'afficher dans un repas d'affaire à cause de l'imprévu dans la transaction Voralberg, sa meilleure amie, gentille mais finalement assez contente d'avoir le champ libre, sa mère, superficielle et artificielle, et son patron, tyrannique et proprement insupportable. Si la Kate Walker des premières minutes est un personnage parfaitement neutre et sans âme, la découverte et l'adversité, causée par l'incompréhension de ses proches et le caractère obtus de la plupart des personnes qu'elle rencontre durant son aventure, lui permettent finalement de faire éclore sa véritable personnalité. Hans Voralberg est également terriblement attachant:alors que l'on marche dans ses traces, on découvre une personnalité riche et rêveuse, un véritable ami, comme le dit d'ailleurs Kate. Si bien que finalement, l'on a l'impression d'incarner aussi bien l'un que l'autre, dans un voyage à travers le temps et l'espace onirique.
Si l'on fait abstraction du début difficile, Sybéria est assurément un grand jeu.