Enfin terminé !

Voilà ce que j’ai pensé en terminant Syberia l’autre jour tandis que je me levais triomphalement du canapé pour aller - tout aussi triomphalement - me servir un grand bol de thé.

Pourtant sur le papier, ce jeu n’est pas catalogué comme étant particulièrement long.

Syberia est un jeu vidéo d'aventure de type point and click réalisé par le regretté Benoît Sokal, scénariste, dessinateur et concepteur de jeux vidéos.

Développé et édité par Microïds, il est sorti en 2002 sur PC, avant de faire l’objet de plusieurs portages au fil des années.

Le joueur incarne Kate Walker, une avocate américaine aux allures d’une antique Lara Croft dans un Tomb Raider au temps de sa splendeur, quand les corps des personnages sur PC étaient modelés par des cylindres. Cette ressemblance est accentuée par la voix du personnage derrière laquelle se cache la doubleuse Françoise Cadol qui interprétait jadis Lara Croft dans les jeux vidéos comme dans les films, puisque doubleuse officielle d’Angelina Jolie.

Outre la voix et une ressemblance physique indéniable, les deux personnages ont un maintien et une manière d’évoluer dans l’espace assez similaires.

Notre Kate Walker travaille pour le cabinet Marson & Lormont, matérialisé tout au long de l’aventure par les très désagréables appels de Monsieur Marson, patron aussi autoritaire que lunatique ayant pour seul et unique fonction de nous rappeler l’objectif principal de notre mission : trouver le vieux Hans Voralberg et lui faire signer le contrat de vente de son usine d’automates basée à Valadilène à un riche magnat du jouet américain dont j’ai déjà oublié le nom.

Cette quête donnera naissance à une multitudes de missions et à un grand voyage à l’aide d’un train dans le style de l’Orient Express conduit par un exaspérant petit automate du nom d’Oscar.

Valadilène – La belle Alpine

En ma qualité de petite chose naïve, j’ai d’abord pensé que Valadilène était un endroit réel, comme une petite station perdue au milieu des Alpes, ou en Suisse. J’ai même cherché sur Google, pour vous dire. Mais non. Valadilène est un endroit inventé, et je devrais même dire remarquablement bien inventé. J’ai été intriguée par l’univers original imaginé ici : l’usine de Valadilène et sa grande rue principale, l’histoire d’Anna Voralberg et de son frère, la mythologie familiale autour d’un simple d’esprit devenu un inventeur génial et un artiste.

Barrockstadt – Cité universitaire oubliée

Avec son nom à consonance germanique, Barrockstadt ne possède pas une grande cohérence avec l’univers précédent. Cet arrêt intempestif était pourtant inévitable puisque le ressort de notre locomotive s’est détendu et qu’il faut le remonter à l’aide d’un outillage spécifique en gare.

Sans doute la manière un peu maladroite dont était amené cet épisode m’a-t-elle donné l’impression de m’éloigner de ma mission principale et de me faire perdre mon temps. La serre et ses oiseaux exotiques ne collent guère avec la cité universitaire quasiment déserte.

Les professeurs de l’établissement me furent d’une utilité très relative : je tombai facilement dans un dialogue de sourds en leur demandant de l’aide, les grands amphithéâtres sans un étudiant à l’horizon me filèrent le cafard comme jamais et l’automate conducteur qui m’accompagnait dans mon voyage se révéla aussi tatillon et pince-sans-rire qu’un contrôleur fiscal en pleine exécution budgétaire. J’eusse préféré à ce petit tas de fer raide comme la justice la compagnie d’un machiniste humain standard, ou même celle d’un petit bichon maltais, tiens.

Je passai un temps déraisonnable dans cette morne cité – contre ma volonté – ne sachant pas ce que je devais faire ni exactement à qui m’adresser.

L’officier myope qui surveillait la sortie de la ville et qui confondait depuis près de vingt ans une branche morte au loin avec la stature d’un fier cosaque sur son cheval me fit beaucoup de peine :

le passé des personnages était si loin qu’il ne subsistait plus rien de leur ancien monde, pas même leurs ennemis.

[Le lecteur attendri sort ici son mouchoir et verse une larme]

Mais dites-vous bien une chose : si la description de cette ville vous a plu autant qu’à moi, alors que direz-vous de cette charmante bourgade qu’est Komkolzgrad ?

Komkolzgrad – un petit parfum d’URSS déchu

Les impitoyables rails du chemin de fer nous aiguillent ensuite vers une usine soviétique d'extraction et d'affinage de métaux lourds plongée dans une nuit perpétuelle par les fumées toxiques qui s'en dégagent.

L'usine est à l'abandon, mais les gigantesques statues métalliques d'ouvriers enjambant les rails et les automates de la mine portent la marque de Hans Voralberg, qui a travaillé à Komkolzgrad pendant un temps après la seconde guerre mondiale (merci Wikipedia pour ce petit résumé).

Bon.

Nous rencontrons quelques olibrius sans intérêt comme Sergueï Borodine, directeur de l’usine à l’esprit dérangé qui, à l’instar de l’officier à Barrockstadt, refuse d’admettre que le passé appartient au passé et nous demande de sortir une vieille cantatrice russe fatiguée de sa retraite pour venir chanter de fameux airs dans son usine, comme au bon vieux temps.

Quand le type a formulé cette exigence (nous étions forcés de l’écouter, dans la mesure où il avait dérobé les mains de notre pilote de train automate), j’ai cru que le jeu se foutait de ma gueule.

Mais non. Il a vraiment fallu aller chercher la vieille dans son EHPAD, enfin pardon, dans son hôtel thermal pour la ramener dans cet endroit lugubre au ciel orangé qu’est Komkolzgrad (et non pas Kolkozgrad, je vous entends rire, bande de petits rigolos).

Sur notre parcours de joueur irréprochable, fier et courageux quoique légèrement altéré par quelques consultations d’un site internet spécialisé en TRICHE pour avancer plus vite – car vraiment c’était pas du gâteau des fois – nous rencontrons également Boris Tcharov et sa meilleure amie Vodka. Nous le dégrisons un peu en échange de quelques renseignements sur le ballon dirigeable qui nous permettra de voler jusqu’à Aralbad, où s’est retirée Helena Romanski, notre vieille cantatrice fatiguée.

Aralbad - Plombières-les-Bains avec beaucoup de sel

Oui, la cité thermale d’Aralbad, c’est un peu comme une bouteille de Contrex : de loin ça paraît sympa mais finalement quand on essaie, la flotte a un goût horrible.

À mon arrivée, le réceptionniste de l’hôtel me refusa l’entrée, sous le prétexte idiot que je ne m’étais pas annoncé au préalable.

Ce refus donna lieu à la scène probablement la plus savoureuse du jeu : je subtilisai un paquet de lessive qui traînait dans un vieux placard, pour le verser dans la fontaine d’eau juste en face de l’hôtel, ce qui obligea le vilain à quitter son poste pour aller essorer toute la mousse qui débordait sur le pavé.

Cette petite diversion me laissa la voie libre et je pus admirer à loisir l’intérieur somptueux de l’hôtel Kronski.

Je trouvai finalement Helena Romanski assise dehors, seule au bord de la jetée, perdue dans une morne contemplation d’un horizon gris et vide. Sur le rivage, un bateau échoué symbolisait ce naufrage qu’est la vieillesse.

Un automate infirmier à la langue bien pendue du nom de James lui servait de compagnie… tant qu’il s’agissait de ne pas franchir les murs protecteurs de l’hôtel.

En effet, l’air d’Aralbad se trouve particulièrement chargé en sel, ce qui peut être une bénédiction si vous cuisinez des carottes vichy ou que vous avez oublié votre salière le jour où il y a des frites à la cantine, mais un véritable chemin de croix, si comme Kate Walker vous avez le nez un peu sensible.

Il faut donc mettre un masque à gaz pour sortir sur le ponton. [Et moi qui croyais que les cures, c’était pour se refaire une santé, dites donc].

Je passe sur l’épisode du cocktail magique élaboré à l’aide d’un piano-bar des plus original pour rendre sa voix d’antan à Helena Romanski, même s’il s’agit d’un épisode poétique, comme l’envoi du camarade Tcharov dans l’espace afin de lui permettre de réaliser le vol d’essai dont il rêvait depuis tant d’années.

De retour à Komkolzgrad, la cantatrice interprète un air russe  pour le plus grand bonheur du directeur de l’usine : le gredin tente quand même de nous piéger mais nous lui échappons facilement et Kate Walker est en mesure de ramener la vieille dame à Aralbad saine et sauve.

L’aventure se clôt lorsque Helena avoue avoir aimé Hans Voralberg. Celui-ci a séjourné à l’hôtel durant quelques années en même temps qu’elle avant de finalement en repartir une fois sa santé rétablie:

« Il est parti et moi, je suis restée. [...]

Vous devriez aller faire un tour sur le ponton : l’avion qui ravitaille l’hôtel est arrivé ».

Le vent salin s’est tu, laissant place à la neige et à un air plus doux. Kate s’aventure au dehors, un vieillard un peu courbé est assis sur un banc : Hans Voralberg.

Il semble fatigué et un peu à l’ouest mais bien décidé à poursuivre ses aventures. L’avocate lui fait alors signer le contrat de vente de son usine et lui apprend la mort de sa sœur.

Notre patron désagréable se réjouit par téléphone de la signature de ce contrat juteux tandis qu’Hans monte à bord de son train automate pour s’embarquer vers un nouveau voyage en direction de la Sibérie, en recommandant à l’héroïne de monter dans l’avion de ravitaillement pour rejoindre New York, puisqu’elle « n’aime pas l’aventure ».

Kate hésite.

Elle envoie finalement tout promener – y compris le contrat de vente – et court à toutes jambes pour rattraper le train déjà en marche qui s’aventure déjà dans les vallons enneigés.

Aralbad s’éloigne : les aventures de Kate Walker ne font que commencer …

L’enfer, c’est les autres

La mission confiée au départ à la jeune avocate est on ne peut plus terre-à-terre mais dans sa recherche du dernier héritier vivant, le joueur est embarqué dans des univers hors des sentiers battus, aux frontières du fantastique ou du magique. Les décors sont travaillés, les murs ont une âme… mais Kate Walker ? Déjà pour commencer combien d’héroïnes de mauvaises séries B s’appellent Kate ? Et Walker ? Si vous voulez mon avis [et même si vous ne le voulez pas, je vous le donne quand même], il me paraît plutôt dommage de s’esquinter à imaginer toute ces histoires d’automates avec des perroquets de toutes les couleurs dans une gare-serre et de servir des cocktails guérisseurs de voix à l’aide d’un piano-bar (quelle idée poétique en vérité) pour baptiser son héroïne d’une manière aussi peu originale et sans beauté.

Une autre chose que l’on peut déplorer c’est le rapport aux autres relativement stérile qu’entretient l’héroïne avec son environnement « proche ». Je mets des gros guillemets parce qu’ils ne sont pas proches du tout , bien au contraire, ni par le lien émotionnel, ni par la géographie puisque notre personnage est un globe-trotteur. Une mère égocentrique qui ne comprend pas sa fille, un petit ami misogyne et infidèle, une meilleure amie superficielle et déloyale… voici donc l’entourage proche de Kate Walker. Ça en minerait plus d’un – à commencer par moi – mais notre héroïne s’en fout.

Tout au long de son aventure, elle ne rencontre pas grand monde capable de tenir une conversation censée : c’est un fait que l’ensemble des personnages rencontrés dans Syberia sont prisonniers de leur propre monde (Oscar ne pense qu’à poinçonner des billets, Sergueï Borodine est fou, Tcharov noie son désespoir dans l’alcool, ses perspectives d’avenir sont nulles, au point de préférer s’en aller dans l’espace plutôt que de demeurer pour toujours seul à Komkolzgrad, Hélène Romanski ressasse son glorieux passé et son amour fané pour Hans Voralberg : « Dieu seul sait où il est aujourd’hui ».

Kate se tamponne allègrement du manque d’harmonie et de compréhension de son entourage et se déleste de lui à la fin du jeu avec une légèreté étonnante, sans pleurs ni larmes, sans regrets ni joie ou même soulagement.

Le jeu justifie ainsi son geste : Son Nirvana c’est l’aventure. Rien que l’aventure.

[Le lecteur désabusé lève ici les yeux au ciel devant une telle banalité].

L’aventure ?

Quoi ?

C’est tout ?

Comme dans Lucky Luke ?

Je suis un pauvre cow-boy solitaire et tout le tremblement ?

Oui mes pauvres enfants, à la différence qu’on a remplacé ce bon vieux Jolly Jumper par une locomotive automatisée, mais en somme c’est un peu ça.

Sur ces considérations affligeantes, je vous laisse méditer: j’ai des cookies au four et Syberia 2 m’attend.

Oui, car moi aussi j’aime l’aventure : avec du thé, des cookies et un bon plaid.

Proximah
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le 22 août 2023

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Proxima

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