On connaît la tendance des RPG japonais à raconter des histoires qui commencent d'un rien pour se retrouver à la fin à sauver le monde entier de sa destruction. Terranigma pousse ce vice encore plus loin et produit l'un des récits les plus symboliquement profonds que le genre ait pu concevoir, du moins avant la PS1 et son Xenogears.
Mais faisons les choses dans l'ordre. Ce jeu d'Enix est le troisième d'une série dont les autres titres sont Soul Blazer et Illusion of Gaia ; tout en reprenant le style et le cadre de ces deux jeux, Terranigma en donnera une version achevée qui rendra inutile le besoin d'un sequel.
Le jeu débute comme la plupart des RPG dans un petit village paisible où il se passe quelque chose qui rompt l'idylle : le héros Ark découvre dans le sous-sol de sa maison une boîte qui une fois ouverte plonge l'ensemble des habitants de Crysta dans un état d'hibernation. Le sage Agar envoie Ark en mission à l'extérieur pour sauver ses amis... et c'est là que l'on découvre que Crysta n'était en fait qu'une petite bulle dans un monde souterrain ténébreux avec des fleuves de magma partout ! Mais ce n'est pas fini : les cinq tours qui contiennent les âmes des habitants de Crysta ressuscite en même temps les cinq continents du monde (Amérique du Nord et du Sud, Eurasie, Afrique et Océanie) ; la prochaine tâche qui sera donc assignée à Ark sera rien de moins que de faire revenir la vie dans le monde et guider son développement. Eh oui, on l'aura compris : dans Terranigma tu joues le rôle d'un dieu qui accompagne l'existence de la Genèse au sommet de la civilisation !
Malgré ses éléments fantastiques et mythiques, le jeu se déroule dans une véritable copie de la Terre que nous connaissons avec un grand nombre de villes ou d'endroits qui correspondent à ceux réellement existants. Cela crée un sentiment de familiarité étrange qui te pousse à avancer dans le jeu rien que pour voir ce qui de notre monde a été représenté dans Terranigma et comment. New York ou Rio, le Grand Canyon ou la Sibérie, le désert du Gobi et la France (ici Loire ou Anjou selon la version du jeu), beaucoup de localités trouvent leur place dans l'intrigue avec tout un tas de petites références historiques assez jolies. J'avoue par exemple avoir bien rigolé quand la mort du roi d'Anjou conduit à l'instauration de la démocratie en France...Terranigma est un Action-RPG assez classique où les combats se déroulent en temps réel sur l'écran. Ark peut sauter, courir, attaquer, bloquer et utiliser des objets avec les six touches de la manette de la SNES, et il dispose aussi de 4 techniques spéciales qui peuvent être déclenchées par une combinaison de 2-3 touches pour infliger plus de blessures ou pour tuer des ennemis qui ne peuvent être touchés autrement. Les contrôles sont le vrai point fort du jeu : leur réactivité parfaite permet à Ark de faire rapidement à peu près tout ce qu'on veut qu'il fasse, ce qui rend les combats extrêmement fun.
En assignant la touche Y la boîte à bijoux, Ark devient aussi capable de lancer des sorts à l'aide de bagues ou de médailles que l'on peut soit obtenir dans le déroulement de l'histoire, soit acheter dans les boutiques de magie en dépensant les Magirocs que l'on ramasse tout au long du jeu. Si cela constitue un ajout sympa au gameplay, en vérité il n'y a aucun endroits dans le jeu où l'utilisation de la magie se révèle nécessaire, de sorte que la quasi totalité des joueurs arrivent au bout des quelques 30 heures de l'histoire à l'aide de la seule arme blanche.
Autre élément intéressant, à partir d'un certain point de l'histoire le héros peut accomplir un certain nombre de sous-quêtes qui auront pour effet de faire évoluer les villes du monde en le faisant passer de petits villages qu'elles étaient à de véritables métropoles modernes. Le gain n'est finalement pas très grand (on obtient juste quelques nouvelles armes et plus d'endroits à visiter), mais c'est amusant de jouer le messager qui aide à l'essor de la civilisation en faisant connaître le hamburger en dehors de Nirlake/Chicago !
Les personnages de Terranigma ne sont ni très nombreux ni très complexes : quasiment tout le scénario tourne autour de la relation entre Ark et Célina, et les autres comme Meilin, Perel et Dhéni ne sont là que pour aider (ou entraver) le héros dans sa quête mythique. Cela dit, tout les personnages sont corrects, ils sont bien faits et s'intègrent sans problème dans le récit global sans casser le rythme du jeu - au demeurant extrêmement fluide.
Le département de l'audiovisuel affiche une réussite égale à celle du gameplay. Terranigma est sans doute l'un des plus beaux jeux sortis pour la Super Nintendo, avec des animations détaillées et fluides et un usage de la 3D parfois très bien trouvé (voir l'impressionnante double surface déroulante du monde souterrain). Mais là où il excelle c'est vraiment dans les musiques : ici dramatiques et intenses, là gaies et vivantes, elles sont toujours parfaitement appropriées au lieu et au moment où l'on se trouve et ont une qualité de composition très élevée. Les thèmes du monde souterrain et du monde de la surface se rangent dès les premières notes parmi les musiques de worldmap dont tu te souviendras toujours... Et que dire de la joyeuse musique de Leim le lionceau qui accompagne l'un des segments d'histoire les plus MIGNONS jamais vus dans un RPG ? Je conseille par ailleurs de jouer avec un casque ou des bonnes enceintes pour pouvoir profiter à fond du magnifique travail de basses de la BO.
Si l'on voulait reprocher quelque chose à Terranigma ce serait peut-être son degré de difficulté assez bas. En excluant quelques combats laborieux avec des boss et une poignée d'aires avec des ennemis chiants, on galère assez peu au final, et si l'on prend soin de s'arrêter un peu pour faire du level la suite devient ridiculement facile. Seul le petit nombre d'objets qu'on peut porter avec soi pour se soigner permet de relever un peu le niveau en te forçant à faire des donjons en apnée ou à économiser tes ressources au maximum dans certains boss fights très longs (coucou Bloody Mary), mais la possibilité d'éviter la plupart des ennemis réduit la gêne au minimum. On regrette aussi qu'Ark n'acquière jamais aucune nouvelle capacité de combat au level up et qu'il utilise du début à la fin les mêmes 4 techniques qu'il avait au départ, car cela aurait peut-être donné un peu plus d'intérêt au fait même de monter de niveau. Mais tout cela reste des broutilles quand on regarde la réussite globale.
Terranigma est bien plus qu'un jeu de rôle : il est poésie et enchantement, rêve et mythe, coeur et imagination. Il ne devrait manquer dans la collection d'aucun fan de RPG voire même dans celle d'aucun gamer.
GAMEPLAY : 8/10
SCENARIO : 9/10
PERSONNAGES : 7/10
GRAPHISMES : 8/10
MUSIQUE : 10/10