A l'heure où j'écris ces lignes, il me faut faire preuve d'honnêteté, mes souvenirs de ma partie sur The Count Lucanor sont assez flous et je ne peux plus la décrire avec précision. Dès lors, pendant un long moment je me suis interrogé. Dois-je refaire une partie ? Après tout, il ne s'agirait pas d'une punition au vue de la qualité du jeu. Pourtant, il faut bien l'admettre, après l'avoir terminé une première fois, puis avoir enchaîné pour visionner la totalité des fins, je n'en avais plus très envie et souhaitais utiliser mon temps pour aller au devant de nouvelles expériences vidéoludiques.
En moi, le sentiment de vouloir écrire une critique de l’œuvre ne tarissait cependant pas, me plongeant au cœur de nombreuses réflexions sur le statut de critique de jeux vidéo. Celui-ci doit-il, avant de se donner le plaisir de poster sa critique, avoir fini le jeu il y a seulement quelques heures, voir quelques jours ? Doit-il conserver des souvenirs d'une fraîcheur exemplaire afin de tirer un propos clair et limpide se basant sur des certitudes absolues ?
Aucun doute là-dessus, je ne me prétends pas scientifique et n'espère pas faire preuve d'objectivité au sein d'une critique, cela me semble impossible. En revanche, posséder une connaissance accrue de l’œuvre que je cherche à critiquer me paraît la plupart du temps essentiel, mais dans le cas de The Count Lucanor, je sentais vouloir différer de mes procédés habituels.
Tout le monde a déjà ressenti cela, en repensant à une œuvre aimée par le passé, les images défilent sous forme de flashs, nous rappelant quelques plans, quelques interactions, sons ou autres pistes musicales sans véritablement nous donner les raisons de l'apparition de cet instant de jeu en particulier.
Dans le cas de mon rapport au premier jeu de Baroque Decay, ces flashs abondent régulièrement dans mon esprit. C'est alors un mélange chaotique qui s'y opère, mêlant un flou pixelisé à l'aspect poisseux et sanguinolent, à des lueurs jaunâtres de bougies n'éclairant que très peu les sombres pièces peuplées de chèvres humanoïdes et de valets aux visages tentaculaires.
Oui, ce sont des flashs cauchemardesques qui parfois m'assaillent, me démangent, m'exhortent à réfléchir à la source de leurs apparitions. Dès lors, il m'a fallu rassembler au mieux mes quelques souvenirs du Count Lucanor, me remémorer les péripéties de ce jeune garçon délaissant sa mère pour partir à l'aventure, rejetant d'emblée son enfance, me souvenir de cet inquiétant gobelin bleu, rappel vibrant d'un merveilleux fantasmagorique associé généralement au conte ou à la fantaisie, ici transfiguré en monstre porteur d'un terrible secret et vecteur d'angoisse pour le joueur.
Je vois les pièces d'or amassées par les corbeaux, l'homme-animal rampant au sol, sous le joug d'une vieille sorcière, un jaillissement de pixels de toutes couleurs, rappelant le sang, le sang, le sang, jusqu'à descendre dans les tréfonds du château et y perdre le peu de souffle qu'il me reste face aux créatures difformes qui y résident. J'y retrouve aussi la mère du garçon, chimérique cette fois-ci, l’invitant dans sa ‘maison en pain d'épices’...
Et puis enfin, je pense comprendre pour quelles raisons je ne ressens pas le besoin de me souvenir parfaitement bien de The Count Lucanor, car, tels les souvenirs de notre jeunesse, telles les bribes de contes lus par le passé que nous arrivons encore à rappeler parfois à la vie grâce à notre inconscient, ce jeu me plaît mieux alors qu'il se retrouve flouté par le temps.
Il est la représentation de cette personne, qui, bien des années après sa première écoute, se rend compte que les histoires qu’on lui contait ont été censurées, retravaillées, pour être plus consensuelles. Ainsi, le conte semble grandi, comme s’il avait mûri en même temps que cette personne, alors qu’en réalité, il n’a fait que révéler sa véritable nature.
Dans The Count Lucanor, au joueur de choisir s’il veut s’éveiller et voir le conte tel qu’il est, ou bien s’il préfère rester au château pour se gaver de sucreries...
J’aimerais pousser ce parallèle entre conte et jeu vidéo, et même l’étendre au média tout entier. Nous autres, joueurs, avons grandi et mûri ; doit-on rester dans notre château et continuer de voir le jeu vidéo comme un conte pour enfants ? Comme un défouloir pour pulsions adolescentes ? Ou bien préférerons-nous voir son véritable potentiel, son langage nouveau, celui à même de, justement, nous faire grandir ?
Merci, The Count Lucanor, d’avoir créé ce reflet de moi-même.

RestlessDreams
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le 20 avr. 2020

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