Il est important de contempler derechef la différence entre « un scénario de jeu vidéo » et « un scénario dans un jeu vidéo ». L'un propose un prétexte, souvent utile, à l'action proposée. Vous irez dans cette direction générale pour poser une action principale dans un but précisé au passage. L'autre interrompt l'action, pour peu qu'elle existe, afin de donner l'illusion au prosateur qu'il mérite son beurre. Deux visions s'affrontent. Faire et subir. Dire et montrer. Vivre et évoquer.
Ce combat tel que vous le voyez pourrait être résumé de manière cinglante comme une guerre entre le jeu vidéo et les métiers nécessaires à sa réalisation. Au lieu d'être le débouché final d'une filière entière bien décidée à œuvrer dans ce type d'univers cette industrie ludique est devenue autre chose. À savoir un centre de formation destiné... au monde de la vidéo. Beaucoup de chômeurs rêvent de devenir animateurs. Demandez aux wallons. Ils ont des parcs entiers de barbus en pulls censément artistes parqués face à des ordinateurs obsolètes en train d'apprendre Unity dans l'espoir de finir dans une grande compagnie où ils seraient un rouage que l'on jette. Seront-ils surpris d'apprendre que l'on ne recrute en fin de compte que des pseudo-intellectuels, certes eux aussi sans le sou, sortis d'écoles supérieure tant par le diplôme que par le nom ? Dur à dire. Mais entre-temps ils auront vécu le rêve. Formés vite-fait à divers outils dont la licence gratuite excite les élus locaux ils finiront sans-doute dans le jeu vidéo. Quelques temps. Résultat garanti. Cinématiques au rabais. Modèles sans cachet. Le tout à vil prix.
Little Hope n'emploie pas le moindre talent issu de cette catégorie. Je vous rassure. Chaque seconde de son long ruban féroce dénote un budget suffisant pour donner l'illusion d'une richesse en ronde-bosse. Un acteur reconnaissable. Quelques belles idées. Parcours à embranchements. Échecs rythmiques. Pirouette finale. Mais en mode chic, hein, faut pas croire. Trois studios se sont relayés sur le titre afin d'effectuer les séances de motion capture nécessaire à donner aux personnages d'une rigidité cadavérique – du moins quand vous les dirigez - une fluidité bien humaine lors de séquences scénarisées. C'est un de ces titres. Lourds de Pluie. Presque Humains. Jusqu'à l'Aube. Vous voyez le genre. Il représente cependant une proposition bien plus attrayante que les exemples ici susnommés de manière oblique. Supermassive Games, sans en avoir l'air, maîtrise bien mieux ce type d'exercices que ses inventeurs. Leur seul problème réside ailleurs. Peut-on surprendre sur ces terres ? La question reste en l'air. Impossible de décrire une bonne surprise sans la dénaturer. Il faudra donc décider à ce stade de cet article, soudain devenu interactif, si vous êtes assez intéressé par l'idée de participer aux brèves aventures proposée par ce second épisode d'une anthologie au titre trop long. Vous appartient la décision.
Depuis quelques années tout le monde tente de ramener à la vie cette artefact culturel des sixties que se trouve être The Twilight Zone. Qu'il soit question des tentatives technologiques de Black Mirror, des histoires crowdsourced de Two Sentences Horror Stories ou même du reboot foireux de la formule originelle présenté par Jordan Peele. Tout le monde aimerait posséder son anthologie. C'est un concept sans fin. Assez élégant. Une série d'histoires reliées d'un point de vue thématique. Rien de plus simple. Il suffit de lancer tout cela avec tact. Trouver un nom mémorable. Donner un vague sens au mystère. C'est sans-doute sur ces deux derniers points que « The Dark Pictures Anthology » peine le plus. Primo. Le titre est trop long. Méconnaissable en abrégé. Deuxio. Son mystère est peut-être trop épais. Dur d'imaginer que ce soit possible en ce qui concerne les insondables profondeurs d'une série d'épouvante. Mais voilà. Est-ce censé constituer une série de films ? Faut-il prendre le titre de manière littérale ? Impossible, de loin, de le deviner. Surtout qu'après judicieuse exploration du concept ces images sombres mentionnées dans le titre sont autant de tableaux prémonitoires découverts dans les plate bandes des sentiers explorés par vos héros du jour. Une idée solide que vous aurez peut-être reconnu car elle faisait partie des mécanismes d'Until Dawn. J'ai dans le souvenir qu'on y trouvait des sortes de petits totems plus ou moins indiens. Ils donnaient une vague idée des déboires à venir. Ma mémoire me joue peut-être des tours. Revenons au sujet du jour.
Little Hope propose un pur scénario de jeu vidéo. Son concept est simple. Sa forme ? Un prétexte. Cinq personnes perdues dans la brume. Rescapés d'un accident de bus. Prisonniers d'une ville macabre. Ils cherchent leur salut. On pourrait penser qu'une trame aussi élimée peine à satisfaire l'utilisateur moderne. Mais c'est cependant cette simplicité qui fonctionne à merveille. Elle offre une liberté rare. Celle de tenter d'imaginer à votre manière ce qui se passe dans ses rouages incertains. Votre esprit, rodé à l'exercice, tente de deviner l'intention du titre. Mais de quoi peut-il bien être question ? Tel est le mystère. Un flou aussi artistique est devenu rare. Histoire de cadrer quelque peu disons que ses emprunts le placent avec précision entre Silent Hill et Sutter Kane. Son espace brumeux s'étend comme un Nœud de Möbius masquant avec aisance les limites d'un budget dont chaque cent se trouve à l'écran. L'idée d'un univers effondré sur lui-même où les lois de la nature n'ont plus court participe d'ailleurs du meilleur de l'horreur. Enfin, en ce qui me concerne. Que l'on puisse d'un détour se trouver en-dehors de la réalité ? C'est puissant. Manipuler votre perception de cette idée en vous tirant par la manche dans la direction générale d'une malédiction druidique ? C'est exquis. Sans parler des embûches qui sont placées dans votre esprit par une série de flashbacks érudits.
Tout ceci contribue à un étrange paradoxe : un titre dont les faiblesses de gameplay contribuent à son efficacité. Vous ne trouverez rien d'inouï ici. Chaque élément est exactement ce qu'il était dans l'épisode précédent. Petites séquences rythmiques sans aucun forme de difficulté. Modèle de visée emprunté à The Walking Dead. Dire si c'est neuf. Quelques quick-time events savamment placés pour vous tenir éveillés. Rien de très spécial. Et pourtant... cela fonctionne. Bien mieux que la plupart des tentatives du même genre. Seule particularité ? Élégance. Faudra le terminer pour comprendre. Comme quoi, parfois, l'écriture fait tout.