Quelle ne fut pas ma joie quand j'ai appris pouvoir jouer au nouveau Dark Pictures Anthology : The Devil in Me, un beau soir d'automne 2022 ! Je l'attendais plus vraiment, disons que j'ai d'autres choses en tête, mais comme c'était servi sur un plateau, je ne pouvais pas refuser ! Le titre semble réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, sur plusieurs aspects, et notamment son concept général, comme le défendait Squeezie. Sa question d'un éventuel retour à Until Dawn (2015) guidera ici vaguement ma critique, qui sera aussi considérée en lien avec les derniers tomes de l'anthologie, Little Hope (2020), et House of Ashes (2021).
Un mauvais film, un bon jeu d'horreur ?
Il faut d'abord passer dessus le problème graphique du jeu, une bonne fois pour toutes. Assez de ces critiques floues et confuses que subissent tous les jeux vidéos sur leur graphisme comme si on parlait de peintures ou de bandes-dessinées. Certes, c'est toujours plus plaisant, toujours plus agréable, mais au fond, c'est un bonus. Certes, j'aurais aimé avoir de meilleurs animations labiales et faciales pour un "jeu narratif". Mais, paradoxalement, TDiM fait un bien meilleur effet de Jouabilité que de narration (bon, en mettant de côté les jumps et les détours débiles). Je précise, sa valeur ne se trouve non pas dans le gameplay en soi, mais dans les phases de gameplay. Ce qui, j'y reviendrais, était une lacune des précédents jeux, et, dans une moindre mesure, d'Until Dawn lui-même.
Car plus que dans aucun de leurs autres titres, Supermassive Games ont créé un jeu d'horreur plutôt correct, il faut l'avouer. J'ai oscillé entre la peur et la fascination tout le temps de la première partie, et ce qui est génial, que le scénario ne vient pas te mettre une muselière comme c'était le cas dans les jeux précédents. Pourquoi, dans ses conditions, où le scénario, les personnages et leurs relations sont moins exploités comme éléments clés du jeu que comme de simples outils, on aurait à se plaindre de graphismes un peu en retard ?
Et puis globalement, ça reste une question de principe : on attend d'un jeu de 2022 qu'il soit beau, parce qu'on lie arbitrairement temps présent et modernité/performance/efficacité. On veut la modernité pour la modernité, mais quelle valeur fondamentale a-t-elle ? "Chouette le jeu est graphiquement beau" et ensuite ? Qu'en fait-on? Ce que je veux dire, si on vient simplement dire "c'est moche", on est pas dans l'analyse esthétique, il faut le placer dans une réflexion plus large. Si pour vous, le jeu perd de son intérêt artistique ou même loisireux à cause de cette technique effectivement pauvre, il faudrait expliquer en quoi.
Avec TDiM, on a un jeu à choix, donc des cinématiques qui nous impliquent un minimum (bon, je reparlerais du traitement des personnages plus tard, là on est un peu sur du double tranchant), des QTE pour remplir les cinématiques d'action (ce qui n'est pas le plus passionnant), et surtout des phases de visite du manoir. Je veux dire, à la base, on est là pour visiter et découvrir les secrets d'une baraque glauque, alors pourquoi s'embêter avec la grosse tête de Kate ? Et le jeu le fait très bien : chaque personnage à sa manière de fouiller, de réagir à la provocation, à la panique, aux découvertes faites, les cinématiques sont plutôt dynamique et ne te coupent pas dans l'action du gameplay. On est plus dans la narration par le jeu, et pas l'inverse, et ça, ça mérite d'être encouragé tellement ça semble difficile pour certains de comprendre que le jeu vidéo n'est pas la poubelle du cinéma/peinture/musique/littérature/sculpture/etc et qu'il a son existence propre. C'est comme si on se mettait à dire qu'un manège devait autant raconter une histoire qu'un livre. Non, c'est du bonus à côté d'une vocation première : te faire ressentir une sensation forte par la vitesse/hauteur, secousse, etc. Te faire du bien, en bref.
Et donc, à côté de cet équilibre plutôt réussi avec une narration plutôt humble et réservée, simple à comprendre, la priorité est mise sur le coeur du sujet : faire peur ! Personnellement, ça a été plus que réussi.
Quelle horreur ?
Comme je l'ai mentionné, la peur tient au fait qu'on explore un lieu inconnu, et qu'on est vite à la place du personnage (d'où l'avantage de ne pas trop s'y attacher comme un autre, de ne pas trop le connaître en détail), pour lequel on a une sorte de réflexe d'identification grégaire : c'est un autre être humain, il est exactement comme moi. Un truc que les jeux Supermassive avaient du mal à faire vu qu'ils préféraient te pondre des personnages de série TV tellement archétypés qu'ils étaient forcément autres. Là, j'ai eu peur pour moi, pas pour les personnages, un peu comme un bon film d'horreur qui va justement pas trop les développer, ou du moins pas dans leur aspect singulier. Ca te sort un peu de ton siège en fait, c'est pas l'autre, la chair à saucisse ou le cobaye, ducoup pendant neuf heures t'es pas bien, et c'est jouissif.
En vérité, sans exagérer, c'est la première fois que j'était près à faire un Supermassive d'une traite, tant je redemandais des heures et des heures de couloirs d'horreurs. Comme tout le monde, je sais que les choix sont bidons et que le jeu est linéaire, mais TDiM a réussi à me faire comme rarement accepté de croire à la véracité de cette histoire. En général, il y a toujours une petite voix dans ma tête qui, candidement, dit "ouais ça se voit que là ils veulent faire évoluer le scénario ou faciliter la suite!". Là, à part certaines morts de personnages (qu'on a pas envie de sauver, parce qu'on s'attache assez peu à eux, enfin pour ma part du moins), il n'y a pas beaucoup d'incohérences majeures. Globalement, tout le monde avance, se TP ici et là, le psychopathe se turbo TP ici et là, ce qui a été reproché parfois, mais je vois pas trop en quoi c'est grave, le jeu exploite pas spécialement le réalisme comme registre artistique premier. Scène après scène, t'as peur, en quoi cette peur est remise en question parce que y a quelques facilités de déplacement entre chapitres?
Enfin, le fait de découvrir progressivement que tu es coincé, qu'on te piège, et qui te piège ne fait que monter la tension et le mystère autour de ce lieu. Mais mettre la focale sur la narration et le contexte par le gameplay, par la visite, il faut avouer que House of Ashes l'avait préparé avec son tombeau mésopotamien et tout les secrets qui tournent autour (par contre le contexte et la narration de Little Hope sont ultra-mal amenés). TDiM le fait en mieux. En exploitant à la fois la figure du psychopathe, polymorphe, l'environnement du manoir, et le lien entre les deux, et en le distillant dans 9 heures de couloirs ultra-flippants, le titre instaure un sentiment de sublime (fascination, peur, obscurité, sans vouloir faire se retourner Edmund Burke dans sa tombe ^^') digne d'une gentille histoire gothique. Rien d'extraordinaire, mais pour un jeu, ça doit être félicité je suppose.
Marines et Reporters : quels personnages ?
La critique que je formulerais brièvement en articulation avec House of Ashes est celle du traitement des personnages. Ce qui est plaisant dans l'avant dernier titre de l'anthologie, c'est que les personnages ont de la consistance, que t'as pas trop envie qu'ils crèvent quand même, ce qui en fait un assez bon jeu narratif en soi. Le gameplay central de House of Ashes, c'est ton joystick que tu dirige à droite pour la raison et à gauche pour le coeur. Et ça peut paraître con, mais le traitement des personnages est selon moi le point de tension, de patinage, le manche de la hache, qui réside entre les deux derniers titres.
D'un côté on a un jeu qui privilégie l'attachement au personnage pour modifier l'expérience de jeu, ce qui marche relativement bien (j'ai triché quand j'ai tué Salim, parce qu'on ne tue pas Salim, on bois du thé avec Salim, et...voilà.). Jason est presque touchant dans ses incohérences personnelles, Eric et Rachel forment un couple cassé par deux égos surdimensionnés mais plutôt sincères, et Nick est le gars sympa qu'on veut forcément éviter de voir crever à 2 minutes de la fin.
De l'autre, TDiM nous propose surtout un groupe avant des individus, un groupe sujet à tension. Et je vous avoue avoir une légère préférence pour ce groupe sans grandes singularités internes. On se met plus facilement dans la peau des personnages, parce que ce groupe est assez banal au final, il est universel en quelque sorte. Il n'y a pas de grands archétypes émouvants qui sont là pour faire ressentir de l'empathie ou une affiliation avec tel ou tel individu, et ducoup, ça rend le tout assez cynique et matériel, la mort est ce qu'elle est, le corps est ce qu'il est, et ça met les membres du groupe en position d'humilité vis à vis du tueur, qui est l'unique grand personnage du jeu. Ce sont des proies idiotes et lui le maître de vénerie. En quelques mots, on laisse la place à l'horreur.
De fait, on a un antagoniste aussi bien plus pregnant et consistant que dans House of Ashes et Little Hope. Après, c'est sûr que à part Charlie qui a une légère ambiguité durant tout le jeu, et Jamie qui est attachante, les personnages sont plats. Mais on s'en fout, il vont finir découpés (ou pas) ! Je pense donc que la solution à ce point de patinage un peu dur à adopter se trouve justement dans l'antagoniste de TDiM qui renoue par là avec Until Dawn : laisser de côté les 5 individualités, les ramener à leur nature de groupe, et les opposer à un environnement plus gothique sur lequel règne un antagoniste charismatique et omnipotent, fictif ou réel, mais de préférence obscur et insoluble. On réparera ainsi les erreurs des titres précédents et de leurs monstres psychologique et de leur pseudo-vampyres assez vulgaires au final.
Pour finir, Squeezie n'a pas tort quand il loue le modèle Until Dawn et qu'il le relie à The Devil in Me. On a un retour sur certains points, comme le traitement du groupe, l'environnement, le mystère sur l'antagoniste (qui est tout de même mieux traité dans Until Dawn, je trouve). La visite/exploration fait encore plus peur dans TDiM et a un aspect moins linéaire, mais on garde des mauvaises habitudes sur la partie narrative. Until Dawn reste encore maître par rapport à ses successeurs sur ce qui est du ratio cinématique-gameplay, du traitement des personnages qui trouve un juste milieu entre individu et groupe, et de la composition d'ambiance. Je sais pas vous, et c'est sûrement subjectif, mais pour l'instant, rien dans l'anthologie ne dépasse en terme de "sentiment gothique" le chalet dans les montagnes sauvages et noyées de folklore de l'Alberta. Et je pèse mes mots, parce que le manoir qui est en fait le jardin secret d'un psychopathe dans lequel les personnages évoluent, c'est une bonne idée.
Votre serviteur,
Leodegar, le 6 décembre 2022