Où étais-tu?
Où était ce jeu? Pourquoi a-t-il mis autant de temps à sortir. Depuis Shenmue et ce penchant pour l'intimisme, cette fouille en règle de tous les placards de la maison, j'attends un jeu qui ne se...
Par
le 23 oct. 2013
49 j'aime
1
La première fois que, dans un cinéma à mon premier visionnage d'Avatar, j'ai posé des lunettes 3D sur mes propres binocles, au-delà de l'inconfort de la chose, j'ai été bluffé par la technique et me suis immédiatement dit: "ça serait formidable de pouvoir se retourner dans ce cockpit de vaisseau et de regarder ce que font les gens pendant que le chef d'expédition parle". Me voilà huit ans plus tard, avec une autre paire de lunettes sur la tronche, toujours par-dessus les miennes et, malgré leur taille substantiellement supérieure aux lunettes actives du cinéma, très confortablement installées, à me dire: "Ça y est...c'est ÇA le cinéma interactif".
Jusqu'à présent, ce que je considérais comme du cinéma interactif (terme qui n'est pas péjoratif dans ma bouche car j'aime beaucoup de productions du genre) était peu ou prou des jeux à la Heavy Rain, Life Is Strange ou les productions Telltale post-The Walking Dead. À savoir, des point&clic légers en énigmes où plusieurs films étaient contenus, et où les actions du joueur, la manière dont il déroulait les scènes avec plus ou moins de succès aux dialogues et aux QTEs créaient un film unique à la fin; pas si loin d'un jeu vidéo classique, mais avec une emphase plus lourde sur la mise en scène "comme au cinéma" et une interaction plus contextualisée que systémique. Si dans une certaine mesure, cela correspond assez bien à l'idée que l'on peut se faire de l'oxymore "cinéma interactif", je réalise avec The Invisible Hours qu'il y a au moins une seconde définition qui est tout simplement ce que je m'imaginais quand je pensais à l'avenir de la 3D au cinéma.
Pour le résumer simplement, The Invisible Hours est un film, un thriller pour être plus exact, dans la plus pure tradition des huis clos à la And Then There Were None (le titre original pas raciste du roman d'Agatha Christie). Le film se déroule sur une île où sept personnes apparemment étrangères les unes aux autres ont été invitées par Nikola Tesla - l'inventeur tellement bad'ass qu'il a été incarné par rien de moins que David Bowie dans The Prestige. Seulement le hic, c'est que dans les cinq premières minutes de ce film, le corps sans vie du génie électrique (pun inteded) est découvert à l'entrée de la maison. Gustav Gustaf, dernier arrivé et détective privé prend en charge l'enquête...sous l’œil avisé du joueur.
Car le principe ici, c'est que The Invisible Hours est un film en plans séquences (il y en a quatre) où la caméra n'est autre que le système oculaire du joueur. À la différence d'un film classique cependant, l'intégralité des scènes intéressantes se chevauchent temporellement et se passent à des endroits distants de l'énorme bâtisse de Tesla. En d'autre terme, le joueur doit observer des scènes qui se passent au même instant dans différentes pièces pour obtenir toutes les pièces du puzzle qu'est l'intrigue. Vous êtes donc dans un film où le hors champ est simplement là où vous n'avez pas encore tourné la caméra...
Le joueur n'a pas énormément de moyens d'interaction avec le film dans la mesure où il est omniscient et ne fait pas parti de l'intrigue. Il peut se déplacer où bon lui semble sur l'île: cela compte les pièces fermées à clés, à partir du moment où il a vu quelqu'un passer par ces portes. Il peut ramasser et lire pas mal de documents dispersés dans le manoir, ainsi que ramasser et observer tout un tas d'objets dont certains (une poignée seulement) seront liés à l'intrigue. Enfin, le plus important, il peut à tout moment pauser, rembobiner ou accélérer l'action dans la limite du chapitre.
Cette dernière possibilité est ce qui permet d'observer l'ensemble de l'intrigue en suivant tous les personnages. Chaque fin de chapitre (que ça soit la première ou la xième fois qu'on le regarde) permet de constater ses progrès via la combinaison d'une carte, d'une frise chronologique et de l'ensemble des portraits des personnages ce que l'on a pu observer. Ce récapitulatif est à la fois pratique pour se rappeler de ce que l'on a vu et des informations que l'on détient sur chacun. Mais il sert également à se rendre compte de l'aspect tentaculaire de l'écriture et de la mise en scène.
Parce que si le prémisse semble pour le moins usité, je peux vous garantir que la science du timing est impressionnante dans The Invisible Hours. Même si, ponctuellement, quelque personnage se mettra à rêvasser sans rien faire de particulier, histoire de temporiser le temps que les autres scènes arrivent à leur fin et qu'il enchaîne la sienne, la plupart du temps, en particulier lors du premier visionnage de chaque chapitre, on est tiraillé par l'envie de tout voir. Deux personnages qui se quittent après une dispute un peu violente, une révélation interrompue par un cri lointain, un murmure qui vient d'une pièce avoisinante: tout est bon pour distraire et emmener le joueur vers une autre sous-intrigue. Et comme la qualité d'écriture n'est pas juste structurelle, mais aussi dans les dialogues convaincants, on est constamment tenté de suivre chaque personnage sur l'intégralité de chaque chapitre.
Cela pourrait d'ailleurs poser problème à certains joueurs plus impatients. Dans la mesure où le jeu engage réellement à tout voir pour tout comprendre, il est difficile de ne pas être tenté de jouer un peu "mécaniquement" en lançant un chapitre avec un personnage, en regardant l'intégralité de ses actions pendant ce chapitre et en ne changeant de personnage qu'au second visionnage. Par chance, les chapitres sont suffisamment courts et suffisamment travaillés en terme de mouvement des protagonistes dans l'espace pour que l'on ne s'ennui jamais vraiment, même en jouant de cette manière là.
Le jeu est par ailleurs assez joli en terme de direction artistique et musical pour donner un charme assez immédiat aux personnages que l'on va suivre et re-suivre pendant l'enquête. Sur PlayStation 4, via le PSVR, on notera quand même que l'affichage n'est pas extrêmement net malheureusement et que, comme beaucoup de jeu utilisant ce casque, l' aliasing est assez prononcé. D'une manière générale, on n'est évidemment pas à la hauteur technique d'un Resident Evil 7; les animations faciales sont un peu sommaire, en particulier en comparaison des animations corporelles très réussies dans l'ensemble, et les ombres sur les personnages sont étrangement absentes par exemple. Cependant, la 3D du casque VR est bien utilisée, notamment avec une solution assez élégante au problème des collisions avec les personnages; ils deviennent entièrement noirs quand ils sont trop près ce qui évite qu'on en voit l'intérieur.
Et pour ce qui est des contrôles aux PSMove, ceux-ci sont fonctionnels. Le jeu ne marche que par téléportation (on saute d'un endroit à un autre) et tourne par à-coup (on peut régler l'angle de la rotation), le tout avec des fondus au noir. Clairement, tout est fait ici pour éviter au maximum la cinétose. Je dirais que la seule chose ergonomiquement problématique restera l'absence de retour au menu principal autrement qu'en finissant le chapitre. Cela force parfois à accélérer dans le vide pendant plusieurs dizaines de secondes jusqu'à arriver à la fin de celui-ci. Un simple retour au menu récapitulatif eut été bienvenu.
Le dernier né de Tequila Works est une expérience remarquable, mais une expérience qui ne plaira clairement pas à tout le monde. Le manque d'interaction avec le film qui se déroule devant nos yeux pourra certainement frustrer. Pour ceux qui voudrait plus d'inputs et un rôle plus "actif" dans la trame, Tequila Works a sorti un excellent titre en 2017 jouant également sur le retour dans le temps et se déroulant également dans un manoir: The Sexy Brutal. Pour les autres, pour ceux qui se sont toujours demandé à quoi ressemblait les conversations hors champs dans leurs policiers préférés, The Invisible Hours est un excellent moyen d'enfin le savoir. Avec ses personnages bien caractérisés, son intrigue globale prenante (malgré un prémisse simple et déjà-vu), et surtout sa narration tentaculaire à l'imbrication temporelle assez incroyable de maîtrise, c'est très certainement un de mes jeux VR préférés et de ceux qui me rendent particulièrement heureux d'avoir fait l'acquisition du PSVR.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs jeux de la 8ème génération de consoles, (re)Joués en 2017 - Liste Commentée, Les meilleurs jeux vidéo de 2017, Les meilleures simulations de promenade et À jouer sur PSVR
Créée
le 22 déc. 2017
Critique lue 1.9K fois
7 j'aime
1 commentaire
Du même critique
Où était ce jeu? Pourquoi a-t-il mis autant de temps à sortir. Depuis Shenmue et ce penchant pour l'intimisme, cette fouille en règle de tous les placards de la maison, j'attends un jeu qui ne se...
Par
le 23 oct. 2013
49 j'aime
1
C'est un block-buster d'action, ça ne fait aucun doute, mais il montre une sorte de dichotomie face à son autre place dans le genre horreur et le sous-genre zombie. Le genre zombie, instauré depuis...
Par
le 4 juil. 2013
45 j'aime
1
The Witness représente tout ce que j'attends d'un jeu vidéo, mais surtout de ses créateurs: une ligne directrice, une envie particulière, une vision et une obsession. J'ai envie, quand je lance un...
Par
le 6 févr. 2016
43 j'aime
18