Etre ou ne pas être un jeu vidéo, telle est la question

Déjà 10 ans que The Last of Us est sorti. S'il avait fait beaucoup de bruit à l'époque, j'avoue avoir vécu cet événement de très loin, n'ayant alors aucune console Sony et n'étant pas très intéressé par les jeux de zombies.

Depuis, je suis tombé dans la marmite de Resident Evil et je me suis procuré une PS3, alors pourquoi ne pas donner sa chance au jeu le plus culte de la machine ?

On lit souvent (et déjà à l'époque, cf le test de Gamekult) que TLOU est la synthèse de toute cette génération de consoles. Après y avoir joué, je comprends mieux pourquoi un certain nombre d'analystes estiment qu'il s'agit de la génération la plus médiocre du médium. Parce que si c'est ça le meilleur, je ne veux surtout pas m'approcher du pire.


Passons sur les problèmes techniques mineurs (certains sous-titres qui s'affichent avec du retard ou trop d'avance, de rares bugs de collision, une T-pose…) ou sur une poignée de choix qui me laissent circonspect (viser et tirer avec L1 et R1 alors qu'en général ce sont des rôles attribués à L2 et R2), ce ne sont pas des éléments bloquants pour apprécier un jeu. Je suis même prêt à faire l'impasse sur le fait que Joël ne puisse pas effectuer une action tant que la caméra n'est pas orientée dans la bonne direction, quand bien même il serait déjà bien positionné pour le faire (ouvrir une porte ou ramasser un objet par exemple). Surtout que le jeu est quand même très bien fini d'un point de vue technique, on n'est jamais envahis par les temps de chargement par exemple (il y en a juste un très long au lancement du jeu, mais c'est bien mieux que de s'en taper un entre chaque zone ou à chaque mort) et surtout c'est vraiment magnifique et très détaillé. En termes de photoréalisme, on ne trouve probablement pas de plus beau jeu sur cette console.

La musique est minimaliste, ce n'est pas mon style préféré mais ça colle à l'ambiance voulue par le jeu. Je n'irai pas me la réécouter en boucle, mais elle ne m'a pas sorti de l'expérience et c'est déjà ça.


Le scénario… Bon, c'est là où je commence à être en opposition par rapport à l'enthousiasme général. C'est un scénario extrêmement classique de deux êtres que tout oppose mais qui ohlàlà sont en fait de grands traumatisés qui vont s'épauler et réapprendre à vivre, c'est digne d'un téléfilm du dimanche soir. L'écriture de nos deux héros est irritante, leur relation fait énormément d'aller-retours sans raison (un coup ils s'adorent, un coup ils s'envoient chier), j'entends bien que c'est "réaliste" et que dans la vraie vie ce genre de progression ne serait sûrement pas linéaire, mais là c'est vraiment extrême, on a l'impression de suivre deux schizophrènes.

Ce ne sont pas les personnages annexes qui sauvent le tout vu que ceux-ci sont peu présents et restent rarement plus d'un chapitre à nos côtés.

J'ai aussi lu que la fin a divisé, et clairement je suis dans le camp de ceux qui ne l'aiment pas (le jeu a 10 ans, je n'utiliserai donc pas de balises spoil). Le twist du sacrifice d'Ellie sort de nulle part, donc évidemment que Joël allait être contre après tout ce qu'ils ont vécu, mais putain ç'aurait été si simple de juste l'en informer en amont, ou d'en discuter tous ensemble autour d'une table une fois arrivé à l'hôpital. Là, on nous montre une réaction impulsive et protectrice de sa part, mais on n'insiste pas assez sur le fait qu'il condamne toute l'humanité. Ca donne vraiment l'impression qu'il a fait un caprice, et que tout l'amour qu'il est censé avoir ré-appris pendant son périple ne pourra jamais être donné à d'autres. Bref, c'est égoïste, et je déteste ce genre de scènes, heureusement que le jeu ne le glorifie pas non plus, il n'aurait plus manqué que ça.


Et du coup, quand on n'accroche pas au scénario, que reste-t-il de The Last of Us ?

Ma réponse est "Un jeu tristement linéaire, prévisible et bête."


Argumentons. Et pour ce faire, je vais utiliser le chapitre 7 comme illustration, car malgré sa courte durée il condense tous les défauts du jeu.

TLOU nous fait parcourir plusieurs villes des Etats-Unis après qu'une apocalypse zombie ait dévasté le monde. Toutes ces villes n'ont qu'un seul et unique chemin praticable, les embranchements seront toujours bloqués par des bus, de la végétation ou des ruelles en cul-de-sac. Le jeu veut que vous passiez par un certain chemin et ne vous laissera jamais dévier, même quand il n'y a aucune justification scénaristique. Du coup c'est désespérément chiant, on avance avec le stick incliné vers le haut, et on attend que le prochain script se déclenche.

Le chapitre 7 commence dans une zone avec un barrage. Ellie ne sait pas nager, il faut donc trouver une solution pour la faire traverser. La zone étant très vaste, on a instinctivement envie d'aller voir plus loin, donc on plonge dans le lac avec Joël, on nage un peu et là…mur invisible ! Eh non, il ne fallait pas aller par là jeune sacripant, mais on n'allait pas te laisser le découvrir par toi-même, hop hop hop, on fait demi-tour et on retourne réfléchir dans le petit espace de 10m².


Parfois, vous arrivez dans une zone plus ouverte, où des containers et des voitures sont dispersées un peu aléatoirement sur la map. Cela signifie que vous entrez dans une phase de combat/infiltration et que ces éléments doivent vous servir de couverture. En général vous allez entendre des ennemis parler pour vous indiquer que là c'est serious business, mais le level-design vous aura divulgâché. Et c'est comme ça inlassablement, vous n'allez jamais croiser un agencement d'éléments qui ressemblent à des planques et qui ne seront pas exploitées dans ce but.

Une fois le barrage passé, le chapitre 7 nous emmène dans un camp de survivants amicaux. Ceux-ci nous font visiter leur campement, et on s'aperçoit bien vite que des bouteilles et des briques traînent par terre (des objets qui ne sont utilisables qu'en situation de combat) et qu'il y a quand même vachement d'endroits où se mettre à couvert. Surprise surprise, à la fin de votre visite le campement se fait attaquer et il faut refaire le chemin en sens inverse, tout en éliminant les ennemis. Les développeurs auraient pu ne pas déclencher d'attaque, ce qui aurait fait une narration par le level-design, les survivants sont préparés en cas d'offensive adverse, ç'aurait été intelligent. Mais non, le joueur PS3 n'a visiblement pas le droit d'être intelligent, il a fallu que l'événement le plus prévisible se produise, et on l'a vu venir 15 minutes en amont, génial.


Bête, parce que la narration et le game-design rentrent trop souvent en dissonance. Ellie est toujours choquée quand Joël tue un homme, même à la toute fin du jeu après qu'elle-même ait mis la main à la pâte ; parfois on a des obstacles par-dessus lesquels nos deux héros pourraient largement passer, mais non, il faut les contourner ; Ellie est complètement invisible pour les ennemis, quand bien même ils lui marcheraient dessus lors d'une phase d'infiltration ; Joël se fait perforer par des balles pendant tout le jeu sans n'en avoir rien à foutre, mais est mis hors-service pendant 6 mois dès qu'il tombe sur un clou rouillé… Entendons-nous bien, que la narration et le game-design rentrent en contradiction, c'est le lot de tous les jeux du monde. Mais quand tu proposes un univers aussi réaliste et une telle emphase sur la narration, la moindre incohérence te saute à la gueule et te sort de l'expérience.

Dans le chapitre 7, une fois l'invasion stoppée, on découvre qu'Ellie s'est faite la malle avec un cheval (cheval domestiqué mais qui vivait dehors visiblement, sans écurie, sans attache, sans rien). Joël prend alors un cheval à son tour, et on suit le sentier bien délimité (je vous rappelle que tout est linéaire dans ces Etats-Unis post-apo, même les forêts). Soudain, on passe au beau milieu d'un camp adverse, donc petite séquence de fusillade pour continuer… Comment a fait Ellie pour passer sans armes ? On sait pas, elle est passée mais toi t'as pas le droit, tu dois perdre 5 minutes ici, hop hop hop. Et voilà, après tu retrouves Ellie, re-fusillade dans une maison (ça ne fait jamais que la troisième en une heure), et c'est la fin du chapitre !


Globalement, quand les journalistes parlaient de synthèse de la génération, je pense qu'ils voulaient dire que TLOU va juste repiquer des éléments à droite et à gauche dans les jeux à succès, sans jamais réfléchir à leur implémentation. Le cheval par exemple, on a l'impression qu'il n'est là que parce que Red Dead Redemption est sorti 3 ans avant et que c'était trop classe de galoper dans de vastes plaines. Vite, mettons-le dans notre jeu à couloir et regardons la pauvre bête racler tous les murs tellement tout est étroit.

C'est peut-être aussi le moment de mentionner que je n'ai pas touché au mode multijoueur, parce que visiblement un deathmatch en ligne était dans le cahier des charges de la génération PS3, quand bien même ça n'a strictement rien à foutre dans un jeu narratif solo.


Mais le pire, c'est que Joël est équipé de la vision détective des Batman Arkham, qui lui permet de voir à travers les murs. Aucune explication n'est donnée, et c'est une capacité ultra-craquée qui lui donne un avantage incroyable sur ses adversaires. En plus, vous n'avez aucun malus si vous l'utilisez, il n'y a même pas de temps de recharge après une utilisation, c'est extrêmement déséquilibré. Mais vu que pas mal d'ennemis one-shot s'ils vous repèrent, bah j'imagine qu'ils n'ont pas trouvé de meilleure solution pour vous donner une chance de les esquiver.

Tiens, même le bossfight contre le mec qui aime un peu trop les enfants se déroule de la même manière que celui contre Freeze d'Arkham City, il faut se glisser derrière lui pour le poignarder, puis cette technique ne marche plus donc il faut attirer son attention pour le prendre par derrière, puis ça ne marche plus et il faut encore trouver une astuce pour le feinter et lui porter le coup fatal. La seule différence c'est qu'on n'a pas de conduits de ventilation pour se planquer. Notez d'ailleurs qu'il s'agit arbitrairement du seul humain de tout le jeu qui ne meurt pas en un seul coup de couteau.


Le jeu a aussi une fâcheuse tendance à réutiliser ses énigmes, sans mentir je crois qu'il n'y en a que trois types tout au long du jeu (les échelles/planches à placer, les générateurs électriques à remettre en marche et les palettes pour faire traverser à Ellie des passages inondés). La médiocrité de ces actions rend presque fou, alors qu'un jeu d'horreur où on parcourt des décors abandonnés est la recette parfaite pour mettre des énigmes alambiqués (coucou Resident Evil), ou à minima varier les plaisirs (clés à trouver, diversions pour les zombies…).

On peut aussi remarquer que le jeu, qui met pourtant bien l'emphase sur le fait qu'affronter d'autres humains et même des zombies est une mauvaise idée, oblige très souvent à tuer pour avancer. Donc la partie infiltration n'est pas très bien implantée, elle ne sert la plupart du temps qu'à attaquer discrètement et pas à éviter les combats. Il n'y a que le tout dernier affrontement à l'hôpital où l'infiltration est vraiment nécessaire, les ennemis ayant des armes bien trop fortes pour risquer d'être repéré.


J'en ai profité pour faire Left Behind, le DLC sorti quelques mois après, et celui-ci me laisse tout autant circonspect. Alors, il a de meilleures idées que le jeu de base, en particulier le fait d'appliquer des mécaniques du jeu à ce flashback enfantin (on se tire dessus à coup de pistolets à eau, les QTE sont intégrés à un jeu dans le jeu…) et narrativement c'est quand même intéressant de découvrir la vie d'enfants pendant une invasion zombie, mais ces flashbacks pourtant encensés par la presse dissimulent une moitié de jeu qui se déroule dans le présent et qui reste un TPS sans intérêt, parce qu'on n'allait pas vendre une expérience narrative d'une heure sans pan-pan boum-boum à des joueurs de 2013, pas vrai ?

Allez, je suis mauvaise langue, je retiens quand même un bon point de ces phases dans le DLC : ce sont les seules de tout le jeu où l'on peut faire s'affronter soldats et zombies, et ainsi se servir de la diversion pour s'enfuir ou juste attendre que les deux factions se soient décimées puis finir le travail. Incompréhensible que ça n'ait pas été mis dans le jeu de base.


Et en fait c'est peut-être ça qui m'énerve le plus dans TLOU. Le jeu cherche à tout prix à paraître intelligent mais semble ne jamais réaliser que ses phases d'action sont beaucoup trop présentes pour s'intégrer dans sa narration. On ne reste jamais plus de 10 minutes sans affronter des zombies ou des soldats, et les moments "contemplatifs" sont envahis par des énigmes nulles et des dialogues insipides.

Alors, je peux comprendre que ç'ait été rafraîchissant à une époque où Resident Evil s'était transformé en film d'action bourrin et où Silent Hill était déjà mort, mais que le jeu soit toujours aussi bien considéré 10 ans après me dépasse. Qu'on aime le scénario, allez pourquoi pas, mais le reste ? C'est tout juste honnête et à aucun moment ça ne se sert intelligemment du médium vidéoludique (sauf vite-fait dans Left Behind) pour tenter de raconter une histoire qui ne serait pas faisable dans un autre médium (la preuve étant la série HBO qui se targue de coller au plus près au jeu). Merde quoi, un des "collectibles" du jeu, c'est des dialogues optionnels qu'on peut avoir avec Ellie, alors pourquoi ne pas implémenter des cinématiques différentes quand on choppe toutes les conversations ? Pourquoi je peux être BFF avec elle, pour qu'à la cinématique suivante elle m'envoie chier de la même manière que si je ne lui avais pas parlé de tout le niveau ?

Synthèse de la génération ? Syndrome du studio frustré de ne pas être un studio de cinéma surtout, oui.


Quid de la suite ? J'avoue que la thématique du cycle de la violence de TLOU2 m'intéresse plus au premier abord que "papa bourru réapprend à aimer", il faut dire que vu le nombre de morts que Joël laisse dans son sillage, c'est un point que je trouve pertinent à aborder (même si les game-designers sont au moins autant à blâmer que lui). Mais j'ai vraiment pas envie de me réinfliger un gameplay qui fleure aussi bon le début des années 2010.

Et puis de toute façon je n'ai pas de PS4 et je n'envisage pas d'en acheter. Remarque, je disais la même chose avec la PS3 il y a 10 ans, alors va savoir…

Sonicvic
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le 16 oct. 2023

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Sonicvic

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