Les vidéos de Game Maker's Toolkit m'ont beaucoup fait comprendre que la création d'un jeu-video est une longue suite d'accidents et de circonstances, et c'est valable pour n'importe quelle collaboration de n'importe quel medium.
Link's Awakening sort en 1993 sur Game boy Color, puis en portage amélioré sur la Game Boy Color en 1998. Le projet émerge de manière complètement non officielle vers 1990, ce n'est rien de plus qu'un défi récréatif pour des programmateurs d'explorer les possibilités de la Gameboy fraîchement sortie l'année dernière. La saga Zelda ne comptait que deux jeux, le premier est sorti seulement quelques années avant, le troisième A Link To the past était en chantier.
Ce n'est qu'à sa sortie que le projet Link's Awakening est reconnu pour son potentiel et bascule en projet officiel avec toute la logistique que ça implique.
Si on considère que le jeu N64 Ocarina of Time est un héritier 3D de A Link To the Past sur SNES, on peut dire que le second jeu N64 Majora Mask hérite un peu de A Link’s Awakening, deux jeux tout aussi miraculeux. (encore une fois quel jeu vidéo n’est pas un miracle ?)
Je finis ma récitation wikipedia ici. 25 avant plus tard, en 2019, nous avons le remake sur 3DS. L’époque n’est plus la même, les conditions sont différentes, la saga Zelda est prestigieuse avec un canevas défini de A à Z sur plusieurs modèles de Gameplay différents.
Et enfin, nous passons d’une contrainte de poids de cartouche Game Boy type 250 kB à une cartouche 3DS de 6 gB (soit 24 000 cartouches).
Mais alors qu’est-ce qu’il y a à inventer tout en restant fidèle au jeu ?
Le remake 3DS prend donc le même chemin que beaucoup d’autres remakes soumis à un public cible joueurs nostalgiques + les occasionnels depuis l’ère de la Wii. Il conserve la totalité d’un design pensé pour de la Gameboy, ajoute de l’ergonomie de boutons de gameplay, fait une refonte visuelle en 3D parcourable deux dimensions, un remixage sonore, des ajouts de bonus et un ajustement de facilité.
On sait très bien qu’on n’aura jamais des remakes type Metroid Zero Mission (ce qui remonte déjà à 20 ans, autre époque et pas les mêmes transferts de consoles) donc ce n’est pas la peine de chialer trois mille ans dessus.
Une vidéo d’analyse que je ne retrouve plus avait mis l’accent sur un choix particulier du jeu : L’exploration du monde n’est plus délimité par zone de cases défilables (= scrolling), tandis que les donjons gardent leur configuration d’origine (car le level design est trop dépendant de ça). C’est un choix à double tranchant : Le visuel en 3D s’épanouit beaucoup mieux comme ça, d’un autre côté, on casse les intentions de level-design d’immersion d’origine. C’est à dire que les frontières invisibles du jeu font moins marcher l’imagination du joueur. D’autant plus que l’architecture très cubique devient beaucoup plus flagrante en 3D, on sent clairement que c’est le level design d’une autre époque qui ne marche pas forcément bien quand on fait le choix d’abolir le scrolling. J’ai gagné plus de fluidité mais j’ai perdu en immersion. Par exemple on passe d’un village pacifique à une prairie infesté d’animaux sans qu’on sente de réelle frontière, ça fait plus patchwork.
Le jeu s’en sort malgré tout de justesse, grâce au concept narratif de Link’s Awakening où l’île n’est qu’une illusion. Une justification très facile, mais ça peut tenir.
Le gameplay en lui-même est beaucoup plus fluide, malgré des latences par le trop plein de ressources visuelles. Chose étonnante, ça rend le jeu plus difficile que prévu. On a beaucoup plus de possibilités de déplacement, soit beaucoup plus d’erreurs possibles et des ennemis moins évidents à éviter (les marais, cette horreur). Ce n’est pas forcément évident d’intégrer mentalement la portée de nos coups, car la caméra de dessus crée certains angles morts et a tendance à changer légèrement d’inclinaison, ce qui complique notre apprentissage. Sans compter certains murs devant qui nous cachent plus facilement.
Face à ce problème, l’ajustement de facilité du jeu est quand même bienvenue, entre la portée de l’épée agrandie, des boss plus lents et plus simples à battre parfois repensés, des cargaisons de coeurs flottants dans les donjons, la possibilité d’avoir des fées de régénération en flacon (en plus du moyen de régénération d’origine pour éviter le game over). On a aussi des munitions flottantes plus présentes, ça nous épargne beaucoup de situation où il faut faire des aller-retour pour se recharger : "un mur fissuré ? mais flûte pas de bombe ! retour au village...".
Link’s Awakening se débrouille assez bien dans cette gestion de facilité, ce qui est la norme depuis la fin des années 2000, parce que son remake apporte des difficultés supplémentaires, c’est assez rare pour être souligné.
Le point très fâcheux du jeu d’origine, ce sont ses énigmes. Alors il ne s’agit certainement pas des donjons, car ils restent logiques, peut-être un peu plus ardus que les Oracle Of, mais rien d’insurmontable. Par contre, les quêtes hors donjon peuvent toujours être aussi déroutantes, on est clairement dans le jeu type d’une époque avant internet où le plaisir se mesurait par la recherche de la solution après beaucoup de labeurs et de pertes de temps. (Bon, j’avoue que même gamin, je n’ai jamais réussi à entrer à 100% dans cet état d’esprit, trop impatient.)
Du coup, j’ai beau avoir refait le jeu Gameboy il y a quelques années, rebelote, je suis pris au dépourvu par ce fantôme qui nous déboule pour nous hanter au milieu du jeu ou encore cette abominable poudre magique qu’il faut utiliser contre le boss final. (à noter que le remake rend la poudre plus facile à recharger, avec une meilleure portée, par contre ils ont choisi de rester fidèles aux couleurs du portage Game Boy Color avec une poudre magique bleue qui allume des flammes rouges)
Là encore, on part du principe d’époque que le joueur essaie toutes ses possibiltés d’action et si c’est frustrant d’être bloqué, on peut finalement ne s’en prendre qu’à soi-même.
Je pensais réussir à faire enfin le fameux troc sans soluce après l’avoir fait pas mal de fois, mais j’ai réussi à m’être posé une colle quand il fallait troquer le balai. C’est de ma faute, mais une partie de moi maintient qu’on ne se souvient pas forcément très bien de la dame au balai dans cette version 3D et l’absence de personnages se remarque beaucoup moins aussi, puisque le monde extérieur n’est plus configuré par case (et par conséquent moins facile à mémoriser pour se rendre compte de certaines différences qui amènent à des indices.)
En tout cas, le charme du jeu original réussit à persister, je ne saurais pas si le mérite revient à la Gameboy ou à la 3DS.
Sans être un grand amateur de la DA, ça reste plaisant de redécouvrir ses souvenirs du jeu Gameboy sous d’autres graphismes et d’entendre la mélodie de Marine sans les dernières notes perçantes à l’infini de la Gameboy (tout en restant très impressionnante vis à vis de ses ressources sonores).
Émotionnellement, le remake 3DS reste plus faible que l’original sur Gameboy. Il y avait un exploit à nous faire plonger dans le chagrin pour quelques pixels, et c'était grâce à un développement de personnage très modéré tout en restant très minutieux.
Sur Gameboy, j’aurai toujours le cafard de lire Link s’exclamer devant la vérité gravée sur les ruines "Quoi ?... Une illusion ?" ou encore Tarkin qui trouve un dernier champignon avant de disparaître.
Le remake 3DS ne me déprime pas, mais il parvient à contribuer au message d’origine : nous n’oublierons jamais Link’s Awakening.
Rien que pour ça et d’autres raisons, je me permets une bonne note.