Beaucoup de choses ont déjà été dites sur ce jeu fabuleux : l’univers est fascinant et inquiétant, les musiques envoûtantes et le gameplay toujours aussi irréprochable (bien qu’on puisse visiblement se plaindre de la caméra encore trop peu modulable). Mais Majora’s Mask, c’est bien plus que ça, c’est le jeu le plus mélancolique et sombre de la série, et ce malgré ses couleurs chatoyantes typiquement Nintendo.
Majora’s Mask, c’est avant tout un univers, un monde réglé comme une horloge, et chaque personnage se déplace toujours de la même manière, pour aller au même endroit, invariablement. Et invariablement, la lune s’écrase toujours après les 72h, exterminant tout ce petit monde, ce folklore qui se met en place. En soi, c’est déjà tragique, mais ce qui l’est davantage, c’est l’influence de Link sur tout cela.
Quand on joue à un Zelda, ou à ce genre de jeux d’aventure, il est toujours très satisfaisant de voir peu à peu le monde devenir meilleur, s’expurger de tous ses maux grâce à l’héroïsme de notre avatar, et c’est peut-être le seul Zelda qui contrevient à cette règle immuable, qui procure cette satisfaction du devoir accompli. Ici, une fois les 72h écoulées, il faut revenir dans le temps, et tout ce qui a été entrepris est perdu. Pour revenir dans une dimension où la majorité des citoyens de Bourg Clocher sont encore guillerets, ou personne ne s’inquiète encore outre mesure, et surtout où les quatre régions périphériques sont toujours dévastées par les incarnations du Mal. Link aura beau effectuer des quêtes complexes et éprouvantes dans leur timing (tout est dicté par le Temps, par cette Horloge omniprésente qui symbolise le stress du joueur comme la fin du monde), à la fin, Anju et Kafei peuvent être réunis pour leurs noces, le printemps peut être revenu dans les contrées soumises au froid polaire et le brave macaque peut être sauvé des griffes des Mojos vengeurs, tout finit irrémédiablement par revenir à la situation où rien ne va, ou tout est encore à faire. Pour la première fois, le héros est presque impuissant, et ses quêtes ne lui servent qu’à acquérir des artefacts qui lui permettront d’accéder au combat final, alors que la moitié des problèmes du monde n’auront pas été réglé, du moins dans cette dimension. En découle un permanent sentiment de frustration pour le joueur, qui ne pourra jamais profiter du monde pacifié par le soin, du moins s’il ne rebat pas les boss des différents niveaux, ni de son apport positif aux divers personnages annexes, auxquels on finit très vite par s’attacher (Romani et son ranch, les Indigo-Go, Anju/Kafei, même ce brave, mais têtu contremaitre Mutoh).
Alors, certes, Link finira bien par prouver une fois de plus sa qualité de héros en rétablissant le Bien et en détruisant la menace, mais pendant toute l'aventure, le joueur aura subi la pression du temps, aura parcouru un monde (presque) toujours teinté de tristesse et de désespoir et aura éprouvé cette mélancolie constante, presque unique dans la série (seul Link's Awakening s'en approche). Et cette ambiance fabuleuse est ce qui rend à mes yeux Majora's Mask si extraordinaire.
J’aurais pu en rajouter sur les donjons (peu nombreux, mais disposant d’un excellent level design), la douce folie qui règne dans cet univers (les castors shootés, Kamaro le danseur sur son rocher solitaire, Koume et Kotake en productrices de louches potions) ou la variété des différentes quêtes annexes, mais ce jeu a tellement de qualités qu’il serait difficile de toutes les énumérer, et que d’autres critiques le font sans doute mieux que moi.
Bref, c’est probablement l’un des meilleurs Zelda, et Eiji Aonuma a réalisé le tour de force de le réaliser en deux ans, en reprenant intelligemment le design d’Ocarina of Time, mais en le détournant d’une manière très astucieuse. Un jeu prodigieux.