Ceux qui me connaissent bien pourront vous le dire : je suis un gigantesque fanboy de la série Zelda. Depuis 2009 où un ami m’a fait découvrir Phantom Hourglass, j’ai dévoré la vingtaine de jeux canons de la série, ainsi qu’une poignée de spin-offs (mais pas les Zelda CDI, à mon grand malheur).
En un peu plus de 10 ans, j’ai donc enchaîné des jeux allant du chef-d’œuvre (Ocarina of Time reste mon jeu favori de tous les temps) à la distraction sympathique (Minish Cap ou Four Swords Adventures). J’ai fini ces jeux généralement dans le mois même où je les ai achetés, car j’ai toujours été happé par l’histoire et le gameplay sans faille de ces différents titres concoctés par Miyamoto, Aonuma ou Fujibayashi. Mais deux opus ont échappé à cette règle : le vieillissant Adventure of Link, ainsi que… Skyward Sword.
Le ciel, le Soleil et la terre.
Sorti en 2011 sur une Wii en fin de vie, Zelda SS (rien que les initiales vous alertent sur la qualité du contenu) fait office de chant du cygne de la console à succès, et se pare donc pour l’occasion d’une maniabilité entièrement à la Wiimote, histoire de démontrer une dernière fois que cette technologie est (était ?) le futur du jeu vidéo.
Link reproduit donc vos mouvements de bras avec son épée, tire ses flèches précisément là où vous pointez l’écran, contrôle son scarabée-drone de la même manière que vous orientez votre manette, etc.
J’avoue ne pas avoir été très fan de cette manière de jouer au début, et pourtant j’adore ce genre d’expériences uniques qui ne seraient pas possibles sur d’autres consoles (eh, c’est pas pour rien si encore aujourd’hui j’adule les deux Zelda DS). Déjà, on est très vite formés à toute la gamme de coups pouvant être infligés avec notre épée (les classiques entailles, mais également les coups circulaires et les coups de grâce) et même notre bouclier (contres/renvois), là où Twilight Princess ou Minish Cap prenaient le temps de nous les introduire un à un. Résultat, les touts premiers Bokoblins du jeu vous demandent déjà une grande précision, sous peine de vous faire contrer et de perdre bêtement vos coeurs.
C’est assez raide d’être envoyé aussitôt dans le grand bain, mais on finit par s’y faire. Cependant, au fil de l’aventure, ce mode de contrôle lasse. Déjà, parce qu’il n’est pas forcément précis (on donne des coups sans le vouloir, Link est très peu maniable lorsqu’il est en chute libre…), ensuite parce que beaucoup d’actions pourraient être exécutées sans la Wiimote pour fluidifier le gameplay (je suis vraiment obligé d’orienter cette pièce de puzzle physiquement ? Ca irait pas plus vite avec le stick ? Et pourquoi je ne ressens aucune émotion quand je joue de la lyre ?).
De plus (et là c’est le fan pointilleux qui parle), je comprends que je sois obligé de jouer un Link droitier puisque je suis droitier et que ça briserait l’immersion, pas de problème. Mais pourquoi il n’y a pas une option pour que les joueurs gauchers utilisent un Link gaucher ? Link gaucher, c’est tout de même une tradition de la série, et là on propose le Zelda le plus immersif sans même une option pour que les joueurs les plus concernés "incarnent" vraiment le héros de leur enfance. Chelou.
Une fois le gameplay (à peu près) maîtrisé, on peut profiter du reste du jeu. Et première chose à dire : c’est beau !
Alors, on retrouve quelques horreurs de chara-design dignes de Twilight Princess (Zelda à gros pif, Link à grosses lèvres, Impa et ses bras de 2 mètres…), mais les décors eux sont réellement magnifiques.
Le jeu adopte une esthétique impressionniste, sorte de chaînon manquant entre The Wind Waker et Twilight Princess. Tout autour de nous est composé de jolies couleurs pastels/aquarelles et le flou qui s’affiche au loin donne au jeu un réel cachet (alors qu’en fait c’est juste pour cacher le fait que la Wii ne peut pas gérer des décors trop éloignés, c’est ça qui est génial !).
Ce style graphique affiche ses limites lors des quelques phases sombres (je pense à la partie sous-terraine du donjon bouddhiste) qui ne paraissent pas adaptées, ou lorsque des effets lumineux sont trop présents (le Boss final), mais globalement c’est plus que réussi, d’autant que ces phases sont loin d’être majoritaires dans le jeu.
The Wind Waker reste encore aujourd’hui le plus beau Zelda à mon sens (et je parle bien de la version originale hein, pas de la version HD ultra-saturée en effets lumineux), mais Skyward Sword est très facilement sur le podium. Et contrairement à Breath of the Wild, lui au moins ne rame pas dés qu’on est dans un décor sylvestre !
Deuxième (troisième ?) grosse force du titre, la bande-son. Alors c’est Zelda, certes, mais même pour les standards de la série, l’OST est très haut placée. Contrairement à Twilight Princess qui avait énormément de mal à se renouveler en-dehors des variations du thème principal (la Plaine d’Hyrule et Midna’s Lament), Skyward Sword sait varier les plaisirs et exploite merveilleusement bien l’orchestre symphonique recruté pour l’occasion (une première pour la série !).
Evidemment, le thème principal est mémorable et reste la piste la plus connue du jeu (à raison), mais comment ne pas citer le grandiose thème du vol, l’incroyable musique du Boss final (à mon sens la meilleure de toute la série), ou encore le thème d’Hergo qui évolue à mesure que le personnage mûrit ?
A ce propos, je vous recommande expressément les vidéos produites par After Bit sur ce jeu. Ils s’y connaissent bien mieux que moi en termes musicaux et ont rendu une analyse complète et détaillée sur le génie de cette OST. A titre personnel, je dirai simplement qu’on est en face de la meilleure bande-son de la série depuis Majora’s Mask (bon, et juste après, A Link Between Worlds est venu foutre un coup de pied dans la fourmilière et a relégué tout le monde en deuxième division, mais ça a au moins été sympa pendant 2 ans).
Ce génie est cependant quelque peu remis en question lors des phases où on accompagne Fay à la lyre. Disons que son chant est…unique ? (je me rends compte que ça rend mieux en vidéo, mais sur ma TV je vous jure que c’était insupportable, à la limite de l'ultrason)
Ah, Fay, Fay, Fay. Que ferait-on sans toi ?
"Il y a 0% de chances que vous vous attachiez à moi."
Beaucoup de choses, sans nul doute.
Fay est LE point négatif du jeu, sans aucune contestation possible. Elle parle. Beaucoup. Trop.
Navi est devenue un meme Internet à cause de sa propension à l’ouvrir un peu trop fréquemment (alors que 90% de ses dialogues sont optionnels, mais soit), mais je vous assure que si Skyward Sword était sorti quelques années plus tôt, c’est Fay qui aurait eu droit à cet honneur.
Déjà, elle est beaucoup trop envahissante lors des phases d’énigmes. Celles-ci ne sont jamais vraiment compliquées, mais Fay ne manquera jamais une occasion d’apparaître dés que vous mettez un pied dans une nouvelle salle pour vous dire quoi faire, voire vous montrer où se trouve l’interrupteur. Merci connasse, c’est pas comme si je jouais à Zelda pour la découverte.
Et puis mon Dieu, elle prend vraiment le joueur pour un demeuré. A chaque fois que vous récoltez un nouvel objet, la bulle de dialogue vous indique comment l’utiliser (exemple : "Vous avez obtenu l’arc ! Appuyez sur B pour le sortir, visez avec la Wiimote et appuyez sur A pour tirer."), normal. Et SYSTEMATIQUEMENT, Fay va apparaître une fois cette bulle de dialogue refermée pour vous dire EXACTEMENT LA MÊME CHOSE !!! ("Maître, vous avez obtenu un arc. Vous pouvez appuyer sur B pour l’utiliser, viser avec la Wiimote et décocher une flèche avec A") Sans déconner, y’avait pas moyen de supprimer un de ces deux dialogues ? C’est quoi l’intérêt ? Rappeler aux vieux qui ont Alzheimer ce qui vient d’être dit ? Qui dans l’équipe de test s’est dit que c’était parfait et que ça ne ruinait pas du tout le rythme du jeu ?
Et Anagund qui nous sort sans pression que Fay est comme Navi, "mais sans le côté invasif". J'ai mal à ma presse vidéoludique.
Alors à la fin, les développeurs essayent de nous faire croire que le départ de Fay est tragique pour Link, mais non putain ! Moi j’étais content qu’elle s’en aille, déjà qu’elle n’a aucune personnalité et n’exprime aucune émotion de tout le jeu, à quel moment je suis censé être triste que le boulet en chef me quitte ?
Tiens, en parlant de rythme de jeu, il est incroyablement mauvais, je ne comprends pas ce qui s’est passé.
Le jeu est décomposé en trois zones, reliées entre elles par le ciel. Alors évacuons tout de suite la question, le ciel est vide. Aussi vide que la mer de The Wind Waker, il n’y a RIEN à y faire en-dehors de Célesbourg (les mini-îles contiennent généralement un coffre, et basta). Et contrairement à TWW (qui était pourtant perfectible sur ce point-là), il n’y a pas moyen de se téléporter d’un lieu à l’autre. Si on veut aller de la forêt au désert par exemple, il faut :
- Trouver une statue
- Revenir dans le ciel
- Voler jusqu’au désert
Mieux, si vous voulez aller d’un point du désert à un autre sans marcher (parce que mine de rien, les zones sont assez grandes), il faut :
- Trouver une statue
- Revenir dans le ciel (!)
- Faire demi-tour pour revenir au désert
- Sélectionner un autre point de chute
Voilà, vous vous êtes bouffé deux écrans de chargement parce que personne chez les développeurs n’a pensé à créer une option "Se téléporter ailleurs" quand vous parlez à une statue. C’est LE SEUL Zelda 3D où cette option n’existe tout simplement pas, voire le premier Zelda dans ce cas depuis A Link to the Past en 1991 !
Dans la catégorie des suppressions débiles, mentionnons aussi le cycle jour/nuit. Présent dans chaque Zelda 3D depuis Ocarina of Time, il existe encore ici mais n'est plus automatique. Il faut manuellement faire passer le temps, en se rendant dans la chambre de Link. Parce que ce serait dommage d'assister à un beau coucher de Soleil quand on est en train de voler dans le ciel, pas vrai ?
Bref, revenons aux zones de jeu. Trois déjà, c’est peu. Et chaque zone contient deux donjons. Ca signifie que sur les 6 donjons du jeu (en fait 7, mais le dernier est plus ou moins un best-of), vous allez revoir la même esthétique plusieurs fois. Les deux donjons dans la forêt sont thématisés autour de l’eau, les deux donjons dans le volcan sont thématisés autour du feu et les deux donjons dans le désert sont thématisés autour du voyage temporel. Les développeurs ont fait de leur mieux pour que ça ne se remarque pas trop, mais le sentiment de lassitude est tout de même là.
Si je compare 5 secondes avec Ocarina of Time (qui offrait plus de donjons, mais on va rester sur les 6 premiers), le Temple du Feu et la caverne Dodongo sont très différents dans leurs mécaniques et esthétiques, tout comme le ventre de Jabu-Jabu et le Temple de l’Eau. Je veux bien qu’il y ait des similarités entre le Temple de la Forêt et l’Arbre Mojo, mais ça s’arrête là. Bref, on n’avait pas/peu l’impression de refaire les mêmes choses et de revisiter les mêmes lieux, ce qui n’arrive pas vraiment dans Skyward Sword.
SS qui n’est d’ailleurs pas aidé par le level-design de ses Temples. Il n’est pas mauvais, il est juste atrocement plat (5 des 7 donjons n’ont qu’un seul étage !), linéaire et leurs énigmes sont simplistes. En-dehors du sympathique temple bouddhiste, je ne peux pas dire que j’aie vraiment été marqué par ce qu’on me présentait (et il brille surtout par sa présentation, pas par sa complexité).
J’aurais adoré aimer le donjon du galion par exemple. Mais ce qu’on y fait est insupportable : on commence sur le pont, on va dans la cale. Là on trouve une clé pour revenir sur le pont où on trouve un mécanisme qui ouvre un nouveau lieu dans la cale. On y retourne et on trouve une clé pour aller dans la cabine du capitaine qui se trouve…sur le pont. On y retourne donc et on trouve la clé du Boss, dont la chambre se trouve…à l’étage de la cale ! Bref, on passe en boucle aux mêmes endroits en rencontrant des énigmes franchement pas compliquées…beurk. La structure des Zelda commençait à s’essouffler, pas étonnant que Breath of the Wild y ait complètement renoncé (pour le meilleur comme pour le pire).
Et donc ces trois zones (on y revient enfin !) ruinent le rythme du jeu pour une seule raison : on les revisite en permanence. Alors, comme dit plus haut, elles sont très grandes donc on a généralement toujours quelque chose de nouveau à y faire, mais là encore on rencontre le problème de l’esthétique du jeu qui se répète, on voit encore et encore les mêmes décors et on finit par s’ennuyer.
On est forcé de visiter chaque zone trois fois (deux fois pour trouver un Temple, une fois pour rencontrer un dragon). Est-ce que ça n’aurait pas été mieux de mettre 6 ou 9 zones plus petites mais traitant de thématiques différentes ? Au lieu de se rebouffer trois fois l’exploration du même volcan, ou de visiter la même forêt qu’avant mais à la nage ? Je me doute que le jeu avait une deadline serrée (lancement de la Wii U oblige), mais sortir du triptyque forêt-volcan-désert n’aurait vraiment pas été un mal.
Et c’est un peu dommage que le sentiment de répétitivité prenne le pas sur le reste, parce que la structure de ces grandes zones est plutôt réussie. Lorsqu’on escalade le volcan lors de notre première visite par exemple, eh bien ça a beau être linéaire, on ressent une certaine sensation de découverte et de montée en puissance, qu’on retrouvera dans Breath of the Wild. L’ajout d’une jauge d’endurance permettant de courir aide aussi à faire ce parallèle entre Skyward Sword et son petit frère, pourtant ô combien différent.
Une fois n’est pas coutume, finissons avec le scénario. Urgh…
On est face au Zelda le plus scénarisé de l’histoire de la série, surtout au début de l’aventure. Un peu comme dans Twilight Princess, votre première heure de jeu va se résumer à courir mollement partout dans Célesbourg, à la recherche de votre oiseau (et du prochain script à déclencher).
Et le scénar’ est d’une tristesse absolue. On a droit à la Zelda la plus chiante de la série, une espèce de gamine mal élevée qui montre son amour à Link en le balançant dans le vide. DEUX FOIS. On a aussi le groupe de bullies le moins crédible de l’histoire de la fiction, la prophétie de gnagnagna qui prédit le retour du grand méchant pas beau tout noir (qui sera ressuscité quatre fois au cours du jeu, c’est pas répétitif du tout). Ca parle aussi de réincarnation de Déesse, de gardiens dragons, de voyages temporels (parce qu'on n'avait traité cette thématique que 2 fois auparavant dans la série -OOT et OOA-, ç'aurait été dommage de s'en priver), ça essaye difficilement de nous expliquer l’origine de la Master Sword, du bouclier Hylien (qui aura droit à UNE ligne de dialogue optionnelle, ne la loupez pas !) et de Ganondorf…
Bref, non seulement l’histoire est banale mais en plus elle brasse beaucoup de thèmes différents, sans jamais vraiment réussir à nous accrocher. Les seuls personnages vraiment chouettes sont Ghirahim (pas spécialement bien écrit voire un peu débile, mais très distrayant à chaque fois qu’il est à l’écran) et Hergo, un des bullies du début qui finit par accepter son statut de non-héros et qui formera une belle amitié avec Link. Classique, mais efficace. Quand aux personnages secondaires liées à des quêtes annexes, n’espérez rien qui arrive à la cheville de Majora’s Mask, ça vaut mieux.
Et évidemment, aucune cinématique ne peut être passée, ce serait trop beau (à moins d’avoir déjà fini le jeu une fois).
Skyward Bored
Alors, que retenir de Skyward Sword ?
En 2011, sans doute pas grand-chose. C’était juste un Zelda médiocre, un des pires de la série depuis l’ère NES, avec une belle présentation mais un rythme haché et un gameplay qui a pu en rebuter beaucoup.
En 2020 en revanche, on réalise que c’est le Zelda qui a tué la branche 3D de la licence et qui l’a forcée à se réinventer complètement à la suite du feedback catastrophique (et mérité) des joueurs. Les développeurs de la série ne veulent plus revenir en arrière et comptent développer tous leurs futurs Zelda à la manière d’un Breath of the Wild.
Et si j’ai beaucoup aimé BotW, et bien je suis attristé par cette décision. Certes, aucun Zelda 3D "old-school" ne m’a autant plu qu’Ocarina of Time, mais je pense que ce type de jeu aurait toujours sa place aujourd’hui, aux côtés des Zelda 2D et des Zelda open-worlds. Des jeux plus axés sur le scénario (sans non plus tomber dans les travers de TP et SS, n’allons pas dans les extrêmes) et demandant une utilisation exigeante de nos objets dans des donjons aux identités visuelles fortes, ça a bel et bien un intérêt en tant que joueur.
Donc voilà, ça me fait un peu de peine qu’un pan historique de la série se soit achevé sur une fausse note telle que Skyward Sword. Les développeurs de Big N reviendront peut-être sur leur décision ou refourgueront ce genre de projet à une autre branche de la compagnie (pourquoi pas Grezzo, les développeurs des remakes des Zelda N64 ?), mais en attendant, la dernière image que le grand public gardera des "vieux" Zelda 3D sera celle d’une IA bleue interrompant toutes vos actions.
D’ailleurs, devinez qui d’Hergo ou Fay a fini dans Hyrule Warriors ?