Il nous aura fallu attendre 6 ans pour découvrir ce nouveau Zelda. C'est ce même écart temporel qui séparait également la sortie de The Legend of Zelda : Skyward Sword (2011) et The Legend of Zelda : Breath of the Wild (2017). Pourtant, là où la sortie de Breath of the Wild (que j'abrègerai en BotW) marquait une révolution des codes de la série et le début d'une nouvelle ère, la sortie de The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom (abrégé en TotK) voit Nintendo capitaliser sur cette nouvelle formule. Comment en tenir rigueur à la firme de Kyoto quand on connait le succès retentissant de BotW (plus de 30 millions d'exemplaires vendus à ce jour)?

Pour comprendre les reproches qui pouvaient déjà poindre, il faut remonter à sa genèse. Dans une interview donnée au site Kotaku en 2019, le producteur du jeu Eiji Aonuma déclarait :

Au début, nous pensions ne faire que des DLC. Et puis, nous avons commencé à avoir beaucoup d'idées. Alors, nous nous sommes dit : « Il y en a beaucoup trop, autant développer un nouveau jeu en repartant de zéro. »

« En repartant de zéro », vraiment?

Nouveautés de surface :

En son temps, The Legend of Zelda : Majora's Mask avait été conçu en une durée record d'environ 2 ans. L'idée était de reprendre les mécaniques de gameplay, les graphismes et l'univers introduits dans The Legend of Zelda : Ocarina of Time tout en les améliorant et en les transposant dans un univers alternatif. Si l'on pouvait espérer que TotK suive le même chemin que Majora's Mask en proposant un univers alternatif à BotW, Nintendo a privilégié la piste d'une extension de son univers.

Si on excepte les remake de certains épisodes, jamais un Zelda n'avait à ce point repris le même "univers" que son prédécesseur. On retrouve à peu de choses près le même Overworld que dans BotW, laquelle se voit additionnée de puits, grottes et d'un nouveau village indissociable de la quête principale : le Fort de Guet. Certains villages de BotW font peau neuve comme Elimith, devenu capitale de la mode, ou encore Cocorico, nouveau repère d'une équipe d'archéologues spécialisés dans les vestiges Soneaux.

Quant aux villages de la quête principale, ils sont tous frappés par une calamité (boue, tempête de sables etc...) qui se résorbera après avoir triomphé des temples et récupéré les pierres occultes.

Etant à mon sens une des réussites absolues de BotW, je dois avouer que la redécouverte de l'Overworld d'Hyrule dans ce TotK ne m'a pas dérangé durant la 1ère moitié de mon aventure (soit jusqu'aux 90 premières heures). Les nouveaux pouvoirs introduits par TotK que j'évoquerai plus tard donnent lieu à une toute nouvelle façon d'aborder les environnements. Au-delà de ces petites refontes et ajouts, l'Overworld d'Hyrule ne m'a plus étonné. Après l'avoir exploré de fond en comble, les nouveautés peuplant cet Overworld m'ont laissé sur ma faim. Pour rappel, un cataclysme est censé s'être abattu sur le royaume d'Hyrule, ce qui n'est pas rien (enfin j'imagine). Si les conséquences de ce cataclysme se font (un peu) ressentir quand on fait la quête principale, Nintendo est resté relativement soft dans les modifications apportées à l'Overworld.

Vers l'infini et en deçà :

Une des nouveautés les plus mises en avant par Nintendo dans sa communication est l'introduction des îles Célestes. Le jeu nous fait d'ailleurs commencer sur l'une d'elles : l'Île Céleste du Prélude. Pendant du Plateau du Prélude de BotW, cette zone de tutoriel est un nouveau tour de force de la part de Nintendo. Comme dans les tous premiers épisodes de la saga, les textes explicatifs des nouvelles mécaniques sont limités au strict minimum et le joueur est guidé par la seule force l'habile level design du jeu.

Dès cette entrée en matière, le joueur découvre 4 nouveaux pouvoirs :

-Emprise, permettant de contrôler (quasiment) n'importe quel élément à distance, mais également de le coller à un ou plusieurs autres éléments. C'est grâce à lui qu'on pourra fabriquer les constructions et véhicules dans le jeu.

-Amalgame, qui est un système de craft permettant de fusionner une arme ou un bouclier avec tout un tas d'éléments pouvant aller d'un matériau à un élément de décor, en passant par une autre arme.

-Infiltration, qui permet de traverser n'importe quel plafond à proximité de Link. Si ce pouvoir permet de faciliter grandement le jeu, il est tellement plaisant à utiliser qu'il est difficile d'imaginer les prochains Zelda s'en passer.

-Rétrospective, qui permet de rembobiner le passé proche d'un objet un peu à la manière du jeu indé Braid (TMTC). A l'image du pouvoir Infiltration, ce pouvoir est symptomatique du jeu. Très bien conçu, fun et offrant pleins de possibilités, mais vidant le jeu d'une partie de son challenge.

Plus tard dans le jeu, on redécouvrira également le pouvoir Appareil photo, qui est utile dans certaines quêtes secondaires, et le pouvoir Duplicata, qui permet de créer des véhicules à partir de plans ou de l'historique des créations du joueur. Ce dernier facilite grandement le jeu mais vide le pouvoir Emprise de sa substance à mon sens.

Le fait d'offrir aux joueurs ces 4 nouveaux pouvoirs dès les 5 premières heures du jeu est un parti pris très fort des développeurs qui confirme la tendance initiée par BotW : le joueur est libre de faire l'intégralité des zones, temples et sanctuaires du jeu dans l'ordre qu'il souhaite. Malgré tout le sentiment de liberté et d'immersion qu'il apporte, ce parti pris entraine un amenuisement de la difficulté au fil des heures de stuff et de compétences accumulées.

Hormis quelques combats relevés comme les hordes de Bokoblins, les Griocks et les Lynels, le jeu peine à offrir un challenge digne de ce nom dans sa seconde moitié.

Après 180 heures passées sur le jeu, le passage des Îles Célestes du Prélude est et restera mon moment préféré de l'aventure en ce qu'il cristallise tous les espoirs encore permis, même les plus fous. En dépit d'un énorme potentiel, bon nombre d'Îles Célestes répètent quasiment à l'identique la même architecture et sont peu étendues. Sans pour autant reproduire le vide abyssal du Ciel d'un Skyward Sword, le Ciel de TotK est loin d'atteindre la variété et la richesse de l'Overworld d'Hyrule. La partie Céleste d'Hyrule offre néanmoins une ambiance dépaysante, quelques séquences mémorables (liées à la quête principale) et une optimisation à toute épreuve.

Sur ce dernier point, BotW avait réussi l'exploit d'offrir une surface dépourvue de temps de chargement entre ses différentes zones (hors téléportation et passage dans les sanctuaires). TotK réitère et surpasse même cette prouesse en abolissant les temps de chargement non seulement durant les trajets entre les Îles Célestes, mais également entre le Ciel, l'Overworld et les Profondeurs (temples inclus)...

Les Profondeurs?!

Si vous n'avez jamais joué au jeu ou regardé de streamer y jouer à votre place, il est probable que vous n'en ayez jamais entendu parler, et pour cause. Que ce soit dans les bandes-annonces du jeu, au dos de sa jaquette ou dans les divers extraits de gameplay, aucune référence n'est faite à ce Dark World.

Après l'atterrissage de Link sur la Surface d'Hyrule, on observe rapidement l'apparition d'immenses trous entourés de halos appelés des "Abîmes". Quand on trouve enfin le courage d'y plonger, Link chute inexorablement jusqu'à atteindre le sol et une obscurité totale. Commence alors l'exploration d'un monde aussi grand que la Surface d'Hyrule, ce qui est colossal. Conséquence assez cool de cet angle mort de la com' de Nintendo : une surprise intégrale lors de sa découverte dans le jeu. Je dois dire que la sensation de découvrir l'existence d'une nouvelle map en ayant pourtant regardé tous les trailers jusqu'à la sortie du jeu est un vrai plaisir en soi.

La bonne idée de Nintendo pour garder une certaine cohérence avec l'univers du jeu a été de faire de ces Profondeurs le parfait négatif de l'Overworld d'Hyrule. Par exemple, les montagnes présentes sur l'Overworld correspondent à des points d'eau dans les Profondeurs, et inversement. Par ailleurs, toutes les racines qu'il conviendra d'activer pour illuminer les Profondeurs correspondent aux emplacements des sanctuaires de l'Overworld.

Ma première visite dans les Profondeurs a donc été un de mes moments préférés, un sentiment de perte de repère mêlé d'une soif nouvelle d'exploration et de découverte. Malheureusement, le soufflé retombe rapidement au fur et à mesure de l'exploration et je dois avouer m'être forcé à activer toutes les racines. Si elles sont parfois des passages obligés de la quête principale, les Profondeurs sont trop souvent réduites à être des zones de farm, de loot et d'exploration. En 180h, seules 2 quêtes annexes "importantes" de ma partie ont eu lieu dans les Profondeurs, ce qui est ridicule pour une map de cette surface...

Si la perspective d'explorer le Ciel et le Dark World d'Hyrule partait d'une très bonne intention, ces deux zones pêchent en recyclant ad nauseam les mêmes structures, mécanismes et monstres.

En quête de sens :

Autre élément en demi-teinte : les sanctuaires. Repris de BotW, ils font office de "salles de test" (absolument aucune référence à Portal n'est à déceler ici) mettant à l'épreuve le joueur à travers des combats et/ou énigmes exploitant les nouveaux pouvoirs de Link. Dans TotK, ils ont le chic d'être très nombreux (plus de 150). Certes, on note une répétition de certains types de sanctuaires (notamment "Combat désarmé", qui met littéralement Link à nu en le dépouillant de son inventaire), mais ils m'ont globalement convaincu malgré leur facilité. Seuls 4 ou 5 sanctuaires m'ont réellement fait galérer, la plupart se finissant en 2 minutes. Certains nouveaux pouvoirs comme Rétrospective ou Infiltration ont pour vertu de multiplier les solutions possibles pour résoudre une même énigme, ce qui contribue grandement à l'accessibilité du jeu. Malgré ce manque de challenge, Nintendo a à mon sens réussi à pondre des sanctuaires fun et plus constants que dans BotW. En revanche, le jeu marque la regrettable disparition (qu'on souhaite temporaire) du personnage d'Asarim de BotW, un ménestrel qui parcourait Hyrule pour chanter des énigmes relatives à l'emplacement de certains sanctuaires.

Pour conclure ce test, je ne pouvais évidemment esquiver le sujet épineux de la quête principale. Au risque de me répéter (comme le jeu mdr), c'est là encore une réussite en demi-teinte. Réussite parce que rarement le lore d'un Zelda n'aura été aussi prenant. TotK reprend et approfondit le concept de "Souvenirs" de BotW en les transformant en "Larmes" et en les intégrant dans des crop circle visibles depuis le Ciel. A défaut d'être indispensables à l'accomplissement de la quête principale, ces "Larmes" contribuent à la dramaturgie du jeu et donnent un réel sens à notre quête.

Quant au cheminement du jeu, il est quasiment identique à celui de BotW. Il faudra encore une fois se rendre dans 4 régions d'Hyrule (le Village Goron, le Domaine Zora, le village Piaf et la Cité Gerudo), afin d'y enquêter sur les conséquences du Cataclysme. S'ensuit la rencontre avec un des descendants des sages, puis la quête jusqu'à un des temples. Si certaines quêtes (comme celles avec les Zoras et les Piafs) amènent leur lot de moments épiques, les temples de ce TotK sont une de mes plus grosses déceptions. Si l'on exclut le temple de la foudre, chaque temple n'est en réalité qu'un hub central donnant accès à 5 énigmes à résoudre avant d'accéder au boss. Les rares ennemis présents peinent quant à eux à donner une vraie impression de vie à ces donjons définitivement oubliables. Côté boss, c'est guère mieux puisque seul celui du Temple du vent est vraiment parvenu à me surprendre.

Il faudra attendre le retour au Château d'Hyrule après la fin des 4 temples pour avoir un twist au déroulement du scénario principal du jeu. S'ensuivent un pseudo-donjon inconsistant, un boss final à la mise en scène dantesque et une fin épique/émouvante comme (presque) seul Nintendo sait les faire.

Conclusion :

J'ai été très ému au moment de terminer le jeu. Malgré tous ses défauts et toutes ses longueurs, Nintendo est tout de même parvenu à me laisser sur un sentiment positif. Pour filer la métaphore (malgré mon Bac S), j'ai eu l'impression de manger un menu en 18 services qui aurait duré trop longtemps mais dont l'apéritif et le dessert m'auraient laissé un sentiment et un souvenir impérissables. Bien sûr, quelques condiments et sauces me resteront en mémoire, mais trop peu par rapport à la longueur du repas (fin de la métaphore).

En étendant considérablement l'univers de BotW et en introduisant d'ingénieux mécanismes, TotK gagne considérablement en possibilités mais dilue l'expérience de jeu dans un monde définitivement trop grand pour ce qu'il a d'intéressant à proposer. Certes, BotW était moins vaste et offrait moins de possibilités de gameplay, mais il avait su me captiver et me surprendre de bout en bout. Ce n'est pas le cas de TotK, qui tombe pour moi dans l'écueil du jeu bac à sable. Loin d'être parfait, BotW avait pourtant trouvé une formule plus équilibrée que celle de TotK, raison pour laquelle je ne peux me résoudre à le considérer comme étant le brouillon de son successeur, contrairement à ce qu'affirment certaines critiques. BotW était sans aucun doute un brouillon, mais TotK est encore loin d'échapper à cette qualification. Le jeu laisse en tout cas entrevoir un futur radieux pour la série et introduit des idées au potentiel infini. Quelle chance ce doit être de découvrir la série Zelda avec cet épisode...

N.B. :

Cette critique reflète mon avis sur TotK après avoir exploré la totalité des trois cartes et des sanctuaires, soit 180 heures de jeu. Elle aurait très certainement été différente si je m'étais contenté de faire la quête principale, ou si je m'étais au contraire obstiné à le finir à 100%.

Aurlien-Vincent
7
Écrit par

Créée

le 18 oct. 2023

Critique lue 64 fois

1 j'aime

Critique lue 64 fois

1

D'autres avis sur The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom

The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom
Leon9000
9

L'envol du Dragon

J’ai rapidement compris que Tears Of The Kingdom ne serait pas un de mes Zelda préférés.Drôle d’entrée en matière, je sais, mais la question est après tout légitime (et même instinctive) lorsqu’une...

le 24 mai 2023

40 j'aime

5

The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom
Ckai
10

Le Zelda qu'on attendait tous (no spoil)

Je craignais d’avoir du réchauffé et comme beaucoup d’entre nous je ne voulais surtout pas avoir un BOTW 1.5 ou une impression de DLC à 60 balles. Les trailers me donnaient envie : ok on voit le...

Par

le 20 mai 2023

31 j'aime

2