Comme une note de piano, une seule, répétée jusqu'à l'horizon.
Un Mi. Un Do. Qu'importe.
Juste un peu de vent dans les arbres, ou sa caresse sur l'herbe, ou leurs ombres agitées en illusion d'optique par quelque démiurge invisible, réduit à un zéphyr.
Mirage de lumière et de son, à chaque pas, tout s'anime ou se fige à tour de rôle.
Formes, bruits, couleurs finissent par ne faire qu'un dans ce nouveau walking simulator signé David Szymanski, dont le parti pris graphique vaut à lui seul le déplacement (virtuel).
Bichrome de A à Z, il étale ses aplats unicolores et sublime les contrastes d'un monde ébréché, formidable et dangereux, sinistre et magnifique.
Lentement, sûrement, volets fermés, le casque sur les oreilles, l’atmosphère s'installe, le malaise grandit, le pouls s'accélère (sans jumpscare cependant), à mesure que s'enchaînent les découvertes macabres et que les deux protagonistes dévoilent leur passé tourmenté. Malgré quelques problèmes pour se repérer par moments, on se laisse porter par l'intrigue, on fouille, on cherche, on résout sans forcer les rares énigmes censées nous faire obstacle, on reconstitue pièce à pièce ce puzzle narratif déroutant - qui va jusqu'à nous ramener à "the Moon Sliver", le précédent titre du programmeur.
Perdus d'abord, Livré à nous-mêmes, sans indication.
Puis un motif se laisse deviner, une intuition se fait jour, et soudain tout bascule.
Chair de poule. Un frisson.
Poisseuse comme jamais, l'ambiance colle à la peau.
Une fêlure et le fil se brise. On franchit d'une enjambée l'uncanny valley.
Pas de monstres, cependant. Pas de liquide visqueux pour dégouliner à l'écran. Pas de cris infernaux pour filer les chocottes. Le malaise n'en devient pas moins palpable.
C'est beau, pourtant. Minimaliste, mais remarquable. Eye-Candy, comme on dit. On devrait s'émerveiller à chaque nouvelle découverte et jouer les touristes de la touche F12. Seulement il y a quelque chose qui ne va pas, quelque chose qui ne colle pas. Dans le jeu, hors du jeu, difficile de le dire. L'impression est tenace mais elle ne se laisse pas cerner.
Alors bien sûr, The Music Machine n'est qu'un énième walking simulator où l’interaction se réduit à peau de chagrin ; mais l'histoire qu'il raconte et la façon dont il le fait, l'adéquation parfaite entre graphismes surréels et partitions d'un autre monde finit par avoir une forme diffuse (mais réelle) d'emprise sur le joueur, comme un semblant d'hypnose qui le coupe de tous ses repères et l'entraîne plus loin qu'il ne le pensait possible.
Si toutefois il y est sensible.
L'intrigue, elle, est suffisamment simple pour ne pas vous abandonner en fin de parcours avec un sac de noeuds impossible à démêler, et suffisamment complexe pour vous hanter encore longtemps après le dénouement, le temps de tout remettre en place.
Seuls quelques répétitions volontaires seront à déplorer, de même qu'un système de sauvegarde particulièrement peu ergonomique qui pourrait vous jouer des tours.
Ces deux fausses notes mises de côté, The Music Machine livre une partition impeccable et une interprétation dans le ton, jusqu'à son dénouement elliptique, mais puissant.
Aussi personnelle qu'unique en son genre, la balade est inoubliable.