Critique publiée à l'origine sur le site Etoile-et-champignon.fr
Après le bel Abzû, qui marchait dans les traces du classique Journey, le studio Giant Squid fait un pas vers le genre plus classique et codifié de l’aventure à la Zelda avec The Pathless. Sous les traits d’une chasseuse, purgeant le monde du mal qui le ronge à l’aide de son arc, le joueur y explore librement quatre hauts plateaux qui sont autant de régions ouvertes ponctuées de temples et d’énigmes. Chemin faisant, quatre dieux corrompus par un mal mystérieux se mettent en travers de sa route, lors de combat de boss qui sont les seuls moments d’action d’une aventure plaisante et presque sans résistance, longue d’une dizaine d’heures.
Dans The Pathless marquent d’abord les emprunts à des références de l’aventure exploratoire : ses grands animaux divins et ses hautes plaines évoquent, forcément, Shadow of the Colossus et Zelda Breath of the Wild, lequel prête aussi ses mécaniques de vol plané et de tir à l’arc. Il y a enfin un peu de l’excellent indé A Short Hike dans l’idée des plumes à acquérir, pour s’élever de coups d’ailes supplémentaires et ouvrir le champ de l’exploration. Certes, un jeu ne part jamais de rien, et se construit toujours sur la base de ceux qui l’inspirent ; mais The Pathless laisse tout de même une première impression un peu tiède, celle d’une synthèse plaisante mais légère de grands classiques, notamment dans ses phases de plateforme imprécises, sa part la moins maîtrisée.
C’est que les franchissements, comme l’action en général, ne sont pas son affaire. The Pathless s’organise d’abord autour des courses sprintées de son héroïne, rejouant l’élan enivrant des Journey et Abzu, spectacles mouvants activés par notre déplacement dans la profondeur d’un décor dont le défilement organise un élégant ballet de formes et de matières ; et si The Pathless n’atteint pas leur degré d’inventivité formelle, il reste grisant d’y fuser parmi les hautes herbes, en nourrissant sa vitesse par le tir régulier sur des cibles éparpillées dans le décor, à l’effet accélérateur.
Repris comme un fil rouge, ce principe de course folle n’est toutefois plus le cœur du game-design. Il est ici juste un moyen formellement agréable de rallier des points d’intérêt (des petits coins de nature, des forteresses, des temples en ruine…) abritant des énigmes à forte composante spatiale. La plupart des épreuves proposées reposent en effet sur un système de cibles à débusquer et à déplacer par le biais de mécanismes, afin de les aligner et de pouvoir les traverser d’une même flèche, déverrouillant l’accès à une statuette – laquelle servira, avec d’autres, à ouvrir le combat de boss de la région.
On croisera bien d’autres épreuves, souvent plus ramassées, mais ce sont celles « à cibles » qui définissent le mieux le geste élémentaire de The Pathless, celui qui nous a fait l’apprécier : l’observation minutieuse du décor, avec les yeux d’un géomètre traçant des lignes entre des points, remontant de cibles en cibles jusqu’au démêlage complet de l’énigme d’un lieu, d’une manière qui nous y ancre agréablement. Le jeu réactive ce regard scrutateur à l’échelle d’une région entière, lorsqu’il nous fait choisir par nous même notre prochain objectif grâce à une sorte de « radar » indiquant quels lieux restent à explorer (ils « pulsent » encore en rouge). On déclenchera typiquement cette vision du haut d’une tour, d’où l’on pourra embrasser le paysage du regard et décider du point de chute vers lequel s’élancer en vol plané, moment délicieux qui contribue à nous « brancher » un peu plus sur le monde alentour.
Parmi les moments réussis, citons ceux qui encadrent les boss : celui de l’avant où l’adversaire, fixé dans son arène, habite le cœur d’un gros nuage au rougeoiement menaçant comme une explosion nucléaire, où il faudra plonger pour le confronter ; celui du combat lui-même, qui surprend par la succession de petites phases variées qui le composent, où le spectacle visuel prime sur la difficulté ; et celui de l’après, enchanteur, où le ciel jusque-là pluvieux s’éclaircit d’un beau soleil qui fait resplendir la région sous un jour nouveau (on prend alors plaisir à la ratisser à la recherche de contenu à finir).
La succession de ces jolis moments et des énigmes spatialisées finissent par faire consister l’aventure de ressorts ludiques vraiment plaisants, quand bien même l’esthétique n’est jamais aussi affirmée que dans les jeux d’avant du studio : on pourra regretter, par exemple, que ses hauts plateaux ne se composent pas davantage en beaux panoramas, qu’ils en restent souvent à l’état d’assemblages brouillons de structures « utiles » (les temples) et de zones de « remplissage » d’espace (notamment les forêts), donnant aux régions la tournure artificielle de pures « aires de jeu ». C’est, entre autre, ce qui empêche The Pathless de coudoyer un chef d’œuvre comme Zelda Breath of the Wild, dont le monde alliait considérations ludiques et panoramas sublimes. Mais la comparaison est forcément trop rude, le dernier-né de Giant Squid n’en restant pas moins une expérience plaisante, « immersive », comme on dit, et l’un des trop rares jeux où l’observation attentive du décor est le préalable d’un espace réellement éprouvé.
Retrouvez toutes nos critiques de jeux vidéo sur Etoile et champignon.fr