Ah c'est certain, il ne paye pas de mine au premier abord ce Sinking City! Entre sa technique à la ramasse, ses combats abominables, son exploration laborieuse et son illustration, à première vue, trop grossière de l'horreur, il n'y a bien que la qualité inattendue de sa version française qui assure l'immersion durant les premières heures de jeu.
Et puis le scénario se met doucement en place et l'univers s'enrichit de manière surprenante, notamment en faisant le pari audacieux de digérer directement la paranoïa raciste de H.P.Lovecraft dans les thématiques de son récit, au lieu d'occulter cet aspect de l’œuvre originelle. De telle sorte que l'infortuné Charles Reed évoluera dans un univers sempiternellement gris où chaque faction rencontrée aura son lot d'écueils et il appartiendra toujours au Détective de choisir le Moindre Mal durant les nombreux dilemmes qui l'attendent.
Cela ne vous rappelle rien?
The Sinking City se révèle en effet étonnamment proche de The Witcher 3 dans sa composante narrative même si ce rapprochement n'est finalement pas si anodin, Geralt de Riv étant déjà une sorte de Détective du Surnaturel, confronté aux superstitions locales et à la folie humaine dont elles découlent ou qu'elles engendrent. Les nombreux dilemmes moraux qui parsèmeront les enquêtes (relativement linéaires) de Reed seront donc l’occasion de mettre à l'épreuve votre moralité individuelle tout en essayant de ne pas trop malmener la santé mentale, déjà vacillante, de votre protagoniste.
Et s'il est possible de demeurer sceptique face à l'illustration, elle aussi grossière, de la folie progressive du héros au fil de l'aventure, le récit parvient malgré tout à poser les questionnements adéquats pour tout adepte de la culture Lovecraftienne : l'impuissance de la race humaine face aux forces cosmiques, le prix à payer pour la compréhension d'un savoir interdit et l'inéluctabilité du sort de l'humanité (et du héros) face aux puissances ténébreuses qui n'attendent que d'être réveillées.
Et c'est bien ce tiraillement moral qui sera la clé de voute de votre adhésion éventuelle à l'expérience de Sinking City, ces dilemmes éthiques dont la saveur sera peut être capable de balayer la surface laborieuse (et franchement calamiteuse par moments) de cette expérience à l'interactivité si austère.
Mais si le but de Lovecraft était de nous faire prendre conscience de notre place insignifiante dans l'immensité du Cosmos, alors c'est bien par sa réussite narrative et thématique que cette adaptation interactive mérite également votre intérêt.
Car s'il est souvent laborieux de plonger dans les Abysses, c'est bien parce que les Abysses vous regardent en retour que vous serez tentés de poursuivre votre descente.