Quittons, le temps d'une chronique, le monde du cinéma pour celui du jeu vidéo. Même si, à y regarder de plus près, les deux ne sont pas si éloignés l'un de l'autre. Au-delà des nombreuses
adaptations, de films en jeu vidéos et surtout maintenant de jeux vidéo en films, la frontière existante entre le 7ème et le 10ème art apparait finalement assez poreuse tant chacun s'inspire de plus en plus des codes de l'autre.
Ayant fait mes armes sur CPC 6128, Amiga 500 et l'incontournable Game Boy, le jeu vidéo est un élément indissociable de mon enfance et de mon adolescence. Au fils du temps, c'est devenu pour moi un loisir de plus en plus marginal. Il y a bien eu l'acquisition d'une Playstation 2 pour pouvoir jouer à Silent Hill 2 à sa sortie, quelques parties de Half Life et de Civilization II en réseau, et un peu de retrogaming. Mais c'est à peu près tout. Il fallait au moins l'univers sombre et désespéré de Lovecraft pour m'attirer de nouveau du côté du jeu vidéo. Chose faîte avec The Sinking City.
L'écrivain de Providence a notamment inspiré bon nombre de jeux vidéo, et son influence dans ce domaine ne date pas d'hier ! Souvenez-vous d'Alone in the Dark (en 1992) ou du non moins cultissime Shadow of the Comet (en 1993), tous deux développés et édités par Infogrames. Deux œuvres marquantes pour le jeune joueur et l'amateur des écrits de Lovecraft que j'étais.
A ce propos, je vous conseille fortement de jeter un œil à H.P. Lovecraft et le jeu vidéo de Carlos Gomez Gurpegui, chez Ynnis Editions. Un ouvrage indispensable de 350 pages, revenant notamment sur ce qui fait qu'une œuvre peut être qualifiée de Lovecraftienne, avec comme point d'orgue le passage en revue des jeux vidéo inspirés de Lovecraft : les jeux d'Infogrames citées précédemment, mais également Bloodborne ou bien encore Everybody's gone to the Rapture. Initialement publié en 2018, le livre a fait l'objet d'une ressortie en mars 2021, avec l'ajout d'une postface consacrée à Call of Cthulhu (sorti en 2018 et développé par Cyanide Studio), et bien sûr à The Sinking City.
Dans The Sinking City, le jouer dirige Charles W. Reed, ancien plongeur dans la marine devenu détective privé, débarquant à Oakmont, une ville du Massachussets rendue quasiment inaccessible au reste du monde par une brutale montée des eaux. Reed n'est pas là par hasard, attiré par un mystérieux rêve récurent, il compte bien faire la lumière sur les événements étranges qui frappent la ville et sur les visions dont il souffre. A son arrivée, il se retrouve chargé d'une enquête dont les tenants et les aboutissants le conduiront au bord de la folie. Le joueur est donc amené à rencontrer de nombreux personnages, certains amicaux, d'autres beaucoup moins, en explorant les différents quartiers de la ville, quitte à franchir les zones infestés de créatures belliqueuses où parcourir en bateau les rues inondées. Si notre détective possède un sixième sens lui offrant la possibilité de reconstituer certaines scènes, et donc d'avancer dans ses recherches, sa santé mentale doit faire l'objet d'une attention particulière, sans quoi ses pensées suicidaires risquent de prendre le dessus. En plus de son enquête principale, Reed peut également choisir d'effectuer des enquêtes annexes. L'une d'elles, dans une édition spéciale du jeu, vous lance même sur les traces du Necronomicon.
Est-ce que les différents menus auraient pu être plus ergonomique ? Sans doute. Est-ce que les interactions avec les habitants auraient pu être davantage développées, tout comme les lieux qu'il est possible de visiter ? Probablement. Est-ce que les temps de chargement auraient pu être moins long ? Est-ce qu'on aurait pu faire mieux niveau mise en scène. Est-ce que les séquences d'action auraient pu être plus intenses ? Là aussi, probablement. Mais...
Malgré les quelques défauts évoqués, rien ne m'a gâché mon expérience de jeu. Et bien qu'imparfait, The Sinking City a su satisfaire ma plus grosse attente : me plonger au cœur d'un cauchemar lovecraftien.
Ici l'univers proposé se rapproche énormément de ce qui fait toute l'horreur et donne toute sa saveur aux écrits de Lovecraft, avec comme inspiration évidente la nouvelle Le Cauchemar D'Innsmouth, ville dont le jeu fait d'ailleurs référence en évoquant la malédiction dont sont frappés ses habitants.
The Sinking City nous embarque dans une ville presque hors du temps et de l'espace, rongée par un mal indicible, et qui nous attire vers elle. Sur fond de racisme, de prohibition, de guerre de clan et de secte, la recherche de vérité risque de nous conduire à notre perte, les hallucinations se faisant de plus en plus fréquentes et de plus en plus fortes.
Une histoire prenante que viennent sublimer une ambiance sonore discrète mais efficace et une direction artistique à laquelle j'adhère totalement, que ce soient les environnements, les bâtiments, les personnages et bien entendu les créatures rencontrées.