Le meilleur puzzle-game depuis Portal 2 par les développeurs croates de la saga Serious Sam, ce pitch bien curieux a pas mal retenu mon attention lorsque je l’ai entendu. Après, quand on regarde vraiment l’équipe, on se rend compte que pas mal de créatifs sont venus exprès pour ce titre et n’ont jamais contribué aux autres jeux du studio, c’est le cas par exemple du scénariste Tom Jubert, qui avait travaillé sur FTL ou encore The Swapper, mais dans l’ensemble c’est bien l’équipe derrière les Serious Sam qui pilote tout ça. Bien que sceptique à l’annonce, sa réputation est telle que je voulais en voir ce qu’il en était réellement. Je vous propose l’écoute envoûtante de Welcome to Heaven pendant la lecture de cette critique.
GAMEPLAY / CONTENU : 8 / 10
Mes premières impressions ne furent pas terribles quant à la prise en main quand j’ai constaté qu’on ne peut pas s’accroupir, que le moteur physique est très peu poussé, que le saut est très court et parfois automatisé... mais le jeu gagne en profondeur très vite avec suffisamment de mécaniques différentes à combiner de manières différentes pour arriver finalement à une quantité de situations de jeu assez importante sur une durée de vie d’une quinzaine d’heures. Pour un jeu de ce genre, c’est assez impressionnant comme contenu je trouve, en tout cas pour un jeu au prix de lancement de 40 €, ça se tient et surtout c’est plutôt maîtrisé.
La progressivité des énigmes est excellente avec chaque nouveauté de gameplay introduit en douceur avant de faire partir d’une énigme plus complexe l’exploitant, puis d’une énigme encore plus complexe l’exploitant elle et d’autres mécaniques anciennes, auxquelles le jeu fait régulièrement appel pour qu’elles ne soient pas oubliées. On sent que les développeurs ont vraiment chercher à faire une belle courbe de difficulté qui soit bien cohérente malgré la non linéarité de la progression qui laisse le choix au joueur de l’ordre des niveaux à parcourir avec une grande liberté jusqu’à ce qu’on reprenne une linéarité nécessaire pour la toute fin, particulièrement bien pensé ludiquement par ailleurs.
On n’évite pas les excès de difficultés propres à ce genre de jeu quand ils vont chercher le challenge, sans même parler des étoiles qui sont plus des trolls qu’autre chose. Soit l’énigme provoque une surcharge cognitive par le nombre de paramètres à prendre en compte simultanément, soit on a trouvé la solution à l’énigme mais on a mal exécuté l’action et on l’a donc jugée inefficace et abandonnée parce qu’on a pas trouvé l’unique angle exact avec lequel ça passe. C’est un problème quasiment inévitable quand il y a cette volonté des développeurs de mettre de la difficulté dans la réflexion, surtout sur 15 heures, mais ça ne s’accompagne pas de problèmes de logique ou de mécaniques de gameplay inexpliquées, donc c’est une difficulté élevée mais justifiée.
Par contre, elle peut manquer d’homogénéité par moment, où un défi supposément de même difficulté, voire a priori plus difficile, qu’un autre sera largement moins complexe en réalité mais c’est difficile d’en juger tant des fois on a un déclic immédiat en tant que joueur là où un autre galérera beaucoup plus, et inversement. Dans l’ensemble, j’ai tout de même le sentiment que la difficulté est très bien dosée, que les mécaniques sont bien réparties, que le contenu est conséquent, que la liberté laissée au joueur est grande...
Les énigmes où l’on assemble les sigils sont par contre vraiment trop faciles ou trop difficiles, jamais amusantes et très mal intégrées par moment, notamment dans la partie annexe où il est excessivement frustrant de débloquer un indice très peu utile pour le reste du jeu et assez peu d’informations scénaristiques. Ça reste optionnel et bien peu dans l’ensemble de la durée de vie du titre donc ce n’est pas bien grave, mais c’est tout de même un défaut de ce côté-là, peut-être le seul vrai défaut objectif sur l’ensemble du gameplay du titre.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : 7 / 10
Pour un jeu de 2014, The Talos Principle est assez solide techniquement sans non plus être une nouvelle référence. Ça reste un jeu avec un budget relativement modeste, donc très peu tape-à-l’œil de ce point de vue-là mais le plus important c’est qu’il soit sans bugs particuliers, avec un framerate stable, avec quelques jolis effets par moment... et ça il le réussit très bien. On sent juste que la consommation de ressources diffère beaucoup sur PC selon la zone dans laquelle on se situe, mais c’est assez logique au final et ce n’est pas vraiment le fruit d’une mauvaise optimisation.
Très vite, on se rend compte que l’on se trouve dans une espèce d’univers simulé, virtuel... avec des glitchs graphiques récurrents parfaitement voulus par les graphistes évidemment. Si ça peut permettre plein de choses originales en terme esthétique et au sens que l’on peut y accorder, The Talos Principle fera preuve d’un minium de diversité et de qualité environnementale sans exploiter pleinement ce potentiel à mon sens. Imaginez le nombre d’univers possibles que l’on aurait pu traverser avec un tel concept et au final on a 4 thématiques majeures je dirais et c’est à peu près tout.
Ces décors peuvent être assez somptueux à l’occasion mais sans vie de par le concept même du jeu qui justifie ce vide absolu que le jeu peut mettre en scène de façon littérale on nous mettant en face d’un vaste désert sans intérêt à parcourir. Ça participe à l’ambiance du titre et ça a ses explications scénaristiques, mais c’est aussi ce qui le limite à mon sens de ce point de vue là et je pense qu’on aurait pu faire plus, notamment sur le nombre de thématiques environnementales dans lesquelles on peut être amené à rester peut-être un peu trop longtemps.
Heureusement, l’OST composée par Damjan Mravunac, qui n’a pourtant travaillé que sur les Serious Sam dont je n’ai jamais entendu l’OST comme ayant une réputation sensationnelle, parvient à poser une ambiance assez captivante. Ces petites notes mélancoliques mêlées aux légères voix posées par dessus accompagnent merveilleusement bien nos séances de réflexion en tout genre. Et l’OST peut donner dans l’intensité stressante ou épique à de rares occasions, notamment vers l’une des fins possibles, j’en ai été très agréablement surpris.
Le doublage est exemplaire, certes il n’y a que deux doubleurs pour deux personnages parlant mais la qualité est au rendez-vous. En anglais, on retrouve la voix masculine badass de Timothy Watson habitué de seconds rôles des productions Bioware des années précédentes ou encore de la voix des Hellgasts dans les Killzone par exemple, et la voix féminine plus nuancée d’Erin Fitzgerald en contraste, elle qui a doublé des personnages aussi innocent qu’Emmeryn dans Fire Emblem Awakening 2 ans plus tôt. La VF s’en tire honorablement également, je préfère de loin la VO mais ce n’est pas un soucis puisque la VOSTFR est disponible d’emblée, malgré un problème de traduction des sous-titres au lancement.
SCENARIO / NARRATION : 10 / 10
Tout d’abord, The Talos Principle aime mettre subtilement en abîme son statut de jeu vidéo. On a par exemple la justification du respawn par le fait que tout ce qu’on fait n’est jamais qu’une projection mentale, si on peut dire ça d’un robot, c’est plutôt bien vu. Mais surtout, le quatrième mur est brisé quand on en vient à justifier l’intérêt de résoudre des problèmes, l’intérêt de jouer à un jeu, l’intérêt de s’interroger sur le sens de nos actions... dans les dialogues du jeu à un moment où on peut transposer tout cela dans notre situation de joueur jouant à un jeu sans aucune difficulté.
La difficulté d’ailleurs est très souvent exploitée par le jeu pour s’adresser à nous d’un biais ou d’un autre, par exemple, quand on défend le fait que l’on a le choix de ce que nous faisons dans le jeu, que nous ne sommes pas un pantin, on va nous répondre « La seule différence entre vous et une calculatrice, c’est que la calculatrice ne croit pas avoir de l’importance. » J’aime assez cette résistance que le jeu nous oppose jusque dans ces dialogues où il cherchera constamment à nous mettre en difficulté, à nous provoquer, à nous faire douter... exactement comme lorsque l’on bloque face à une énigme, c’est ce qui fait que l’expérience ludique et l’expérience narrative se combinent parfaitement bien.
La perception de la réalité et comment elle peut alterner notre comportement, l’impact de l’évolution technologique tant dans ce qu’elle apporte que dans les questions existentielles qu’elles posent, la définition d’une personne en tant que telle, l’obscurantisme religieux barrière au progrès mais facteur de stabilité, les dérives de l’égalitarisme s’il est poussé à l’extrême, l’idéalisme nécessairement personnel qui sera donc nécessairement différent de l’idéalisme d’autrui, l’héritage d’une génération à une autre qui ne nous laisse que peu de place et de compréhension dans l’avancée de notre génération... sont autant de thématiques intelligentes et matures que le jeu évoquera avec brio.
Que ce soit par texte à lire, par narrateur omniscient, par dialogues à choix multiples depuis un PC, par journaux audio... la narration est absolument maîtrisée de bout en bout sans jamais s’imposer au joueur qui n’en aurait rien à faire. C’est assez incroyable d’avoir su autant varier ses moyens de faire avancer l’intrigue, sa qualité d’écriture à tous les plans, et de le proposer de façon parfaitement facultative afin que celui ou celle qui ne cherche qu’un jeu de réflexion d’un strict point de vue ludique puisse profiter uniquement de ce qui l’intéresse. Je trouve ça à la fois ultra réussi et ultra respectueux parce que ça ne gêne pas non plus le joueur qui veut du background.
Sinon, il y a plein de références culturelles amusantes très bien amenées, ça va faire une blague sur Jarassik Park, se moquer de Twilight, inclure aussi bien dans le patrimoine culturel humain dans son ensemble le seigneur des anneaux que les œuvres d’Aristote... et ça ajoute un petit plus appréciable comme s’il y en avait besoin sans jamais arriver à un moment inopportun ou ça désamorcerait une mélancolie ou une grande réflexion par exemple. Enfin, les 3 fins sont très réussies, parfaitement cohérentes avec le reste de l’aventure, lourdes de sens quant à l’interprétation qu’on en fait, intelligentes dans la mise en abîme à laquelle elles correspondent, très bien amenées notamment celle de l’ascension des plus stressantes... C’est vraiment génial de bout en bout !
CONCLUSION : 8 / 10
The Talos Principle est un des jeux les plus intelligents auxquels j’ai joué. Il n’a pas de grands moyens pour emballer son excellence et il se fait un peu trop frustrant à de rares occasions mais la qualité du gameplay dans son ensemble est très bonne et surtout son scénario est d’une profondeur incroyable en plus d’être servie par une narration irréprochable tout en se concluant de façon grandiose. Croteam réalise-là un vrai chef-d’œuvre dans un domaine diamétralement opposé à leurs productions habituelles, c’est admirable.