Oh, ça, on en aura parlé de The Walking Dead. En bien et en mal, souvent les deux à la fois. La plus grande critique, je crois, que le jeu ait reçu aura été le fait que les choix que fait le joueur ne portent pas réellement à conséquence, et que l'histoire reste globalement la même tout du long. Donc que le parti pris des développeurs souffre du syndrome classique des petites boîtes : ambition énorme et moyens minuscules.
Faire cette critique-là, c'est, je crois, aller droit dans le mur. Quant aux ambitions de TWD, quant à son traitement, et quant à toute la mentalité qui est construite derrière.
Oui, bien sûr, le principal attrait que l'on pourrait trouver à un jeu à choix moraux, ce devrait être d'en voir les conséquences, ce serait logique. Mais je n'y crois pas. Ce qui fait le coeur de TWD, ou, en tous cas, ce qui m'a vraiment marqué, ce ne sont pas les conséquences de mes choix, mais bien les choix eux-mêmes. Je dois choisir entre voler cette nourriture, et peut-être condamner à mort d'autres survivants, ou la laisser mais prendre le risque de crever de faim ? Fort bien. A la rigueur, peu m'importent les conséquences de mes actes dans le jeu : tout ce qui compte est le choix que je vais faire sur le moment, et l'image de moi-même qu'il va me renvoyer. Seul compte l'instant présent, celui du choix. On y reviendra.
Et j'ai très envie de leur répondre, à tous ces sagouins qui se plaignent de l'absence de changement si vous changez de choix : expliquez-moi en quoi ce n'est pas réaliste ? Avez-vous déjà, IRL, fait pause, puis changé de choix à un moment critique, pour voir ce qui allait arriver ? Qui vous dit que tous vos choix ne mènent pas à une unique fin, dont seuls les détails changent, comme dans TWD ?
Je connais ma mauvaise foi, mais ici elle me semble nécessaire pour souligner l'unique condition à laquelle on peut jouer à The Walking Dead : ne pas connaître le jeu, c'est-à-dire ne pas connaître les événements qui vont suivre ou les conséquences de ses choix. Cela implique également de ne jouer qu'une seule fois à TWD, et, une fois les choix faits, à ne plus regarder en arrière, seulement s'attendre au pire, toujours tourné vers ce qui va arriver. Comme dans la vie, en fait. Dans la vie, quand vous faites un choix difficile, vous regardez les solutions ? Vous visionnez un walkthrough, ou bien vous faites pause pour pouvoir réfléchir ? Non, et c'est pour cela que je me suis imposé une règle drastique : une fois le choix fait, ne plus revenir en arrière.
Vous me direz que l'on s'éloigne fortement du jeu vidéo. Pas de rejouabilité, pas de gameplay, des choix narratifs qui n'ont pas d'impact sur l'histoire. Pour ma part je n'y vois aucun problème car le projet narratif de TWD est tout autre.
Bien sûr, The Walking Dead est une histoire profonde et brillante sur la famille, les relations père-fille, la survie dans les difficultés, mais je l'ai vécu comme un long et éprouvant examen de conscience. Quand les jeux vidéos vous parlent de choix, ils vous parlent en fait, dans leur écrasante majorité, de conséquences, et dans cette majorité, rares sont ceux qui ne font pas de la prise de décision un simple problème à résoudre, deux alternatives dont l'une est clairement préférable après réflexion. C'est là que The Walking Dead est précieux et singulier. Ce qui compte n'est pas le résultat final, puisque de toute façon il ne changera que dans les détails, mais la façon dont vous l'obtenez. Vous ne pouvez plus vous cacher derrière un pitoyable "la fin justifie les moyens", parce que quels que soient les moyens utilisés, la fin ne changera pas. Tout ce que ces choix feront, c'est vous jeter face à votre conscience. Éprouver vos motivations profondes. Remettre en question tout ce pour quoi vous vous êtes battu, voir jusqu'où vous êtes prêt à aller pour arriver à vos fins, ce que vous êtes prêt à faire "pour Clementine", sans avoir de clair indicateur si vous choisissez ou non le moindre mal.
Clementine. Nous nous battons tous pour elle, bien sûr. Mais pourquoi ? Pour qu'elle fasse de grands sourires quand elle est contente ? Pour placer en elle notre instinct paternel ? Pour la garder à l'abri de tout et finalement la perdre, ou bien pour en faire une femme forte, prête à survivre dans ce monde de cauchemar, et en fin de compte à trouver le bonheur ? Lors de la dernière demi-heure, comme lors du jugement dernier, votre vie repassera devant vous, et vous serez libre alors de vous défendre face à votre juge improvisé comme bon vous semblera, en justifiant ce que vous avez fait. Vous pourrez parler des circonstances, de la peur, de la faim, du froid, du désespoir ou de je ne sais quoi. Vous pourrez même mentir. Mais ce qui compte, ce ne sont pas les explications boiteuses de Lee pour se défendre face à un homme qui a tout perdu : après tout vous lui avez peut-être fait répondre de façon à donner le change. Votre seul juge, c'est votre conscience. Et ce qui compte, c'est pourquoi VOUS, vous l'avez fait.
Et, pour ma part, quand le juge m'a interrogé, quand il m'a demandé pourquoi j'avais tué, menti, volé et condamné à un destin tragique tous ceux qui m'entouraient, ma réponse fut simple :
"Pour Clementine."