Critique publiée sur Kultur & Konfitur.
Contexte 1 : je n’ai rien vu de la série d’AMC et n’ai lu que le premier tome du comics de Robert Kirkman
Contexte 2 : premier jeu de Telltale essayé, après n’avoir été que partiellement convaincu par Life Is Strange, qui œuvre dans la même veine (cf. critique)
Préjugé : on est à la limite du jeu, partant clairement vers d’autres formes de vidéos. On discute très souvent de ce type de production avec un ami. Lui est plutôt contre l’appellation rattachée à ce média, moi je m’en fous un peu et suis ravi qu’on diversifie les approches pour multiplier les émotions et les sensations. Du moment que j’y prends du plaisir, j’y trouve mon compte.
Le résultat, c’est une petite baffe, rien de moins. L’expérience Life Is Strange m’avait pourtant rendu méfiant : présenté comme un jeu incroyable à l’écriture si travaillée, il m’avait déçu spécifiquement sur ce point, montrant à quel point le genre semblait dépendre d’un élément. Plus ancien (2012), The Walking Dead était objet des mêmes éloges. Les cinq épisodes se sont pourtant enchaînés en peu de temps, pris que j’étais par l’aventure. La différence entre les deux (pleinement convaincu d’un côté, à moitié seulement de l’autre) tient principalement à ce que j’ai cité plus haut : la qualité d’écriture. Si on désire, comme le format épisodique et les gimmicks tendent à le montrer, se rapprocher de ce média qu’est la série, il faut être suffisamment robuste à ce niveau pour compenser la faiblesse du gameplay qui fait la richesse du jeu vidéo (de certains, du moins).
L’univers de Life Is Strange me parle pourtant bien plus que celui de Walking Dead, mais tout est nettement mieux dosé dans le second, avec plus d’équilibre. Avec ses hauts et ses bas (un quatrième épisode en peu en-dessous), le rythme est pourtant (ou en conséquence) parfaitement mené, tant dans la dynamique générale de la saison que dans chacun des épisodes : stress, larmes, conflits intérieurs, pas mal d’émotions y passent. Il y a pourtant dans le jeu – et c’est peut-être ce qui explique en partie son succès – tout ce qui m’agace dans les séries US actuelles. Cliffhangers, climax très construits et qu’on voit arriver, idolâtrie du spoiler, tout y passe. Deux axes m’intéressent dans ce qui utilise l’univers post-apocalyptique, avec zombies particulièrement : un aspect politique (les films de Romero), ou une mise en valeur (ou non) de l’humanité, où le pire ennemi de l’Homme, c’est l’Homme, révélant ses plus belles et ses plus sombres facettes, les deux approches pouvant s’entrecroiser. Le jeu The Walking Dead (et ce que j’ai lu du comics) s’oriente plutôt vers la deuxième approche, avec une subtilité dont on a assez vite fait le tour mais présente tout de même quelques atrocités pas si irréalistes… Essayons alors de trouver pourquoi je suis si emballé…
Clementine movie
Du côté du gameplay, aucune difficulté et peu d'intérêt : inspiration du point and click sans les énigmes tordues, vagues errances issues du jeu d’aventure, quelques QTE (quick time event), et des QCM pour orienter les dialogues.
Niveau ambiance, on est dans du cel-shading qui raccroche plus au comics qu’à la série. Pas de claque visuelle à la Uncharted, voire même quelques laideurs, mais « ça fait le job », et c’est peut-être un choix bien plus adapté que le photo-réalisme. L’exagération ou le ridicule de certaines expressions apportent cette petite touche second degré en contrepoids au sérieux et à la lourdeur dramatique dans lesquels se baigne le scénario (malgré quelques petites pointes d’humour ci et là). Sérieux conforté par les très belles compositions de Jared Emerson-Johnson, habitué à la collaboration avec le studio californien, notamment le thème principal. Là encore on est dans des choix qui m’irritent souvent : musique qui souligne trop les émotions qu’on est censé ressentir, voire est là pour la faire naître et pallier l’échec du média à la procurer en lui-même.
La force de The Walking Dead tient donc dans son écriture, mais surtout, et c’est profondément lié, dans l’implication narrative du joueur via le fameux gameplay, qui semble à première vue si pauvre, ce qui rattache le titre au média qu’il revendique. L’identification au(x) personnage(s) aurait pu être l’angle d’attaque principal, notamment par la mécanique de QCM des dialogues, qui nous incite à intégrer de nous dans Lee Everett (prisonnier libéré suite à un accident et qui se réveille dans un monde infesté de zombies), ou à l’inverse, de nous faire nous reconnaître dans ses choix et ses dilemmes (faire lui de nous ou nous de lui). Ce lien existe, mais finalement à assez faible dose. C’est dans la caractérisation de l’univers que le joueur est impliqué. Car le scénario, on le comprend et ça a parfois été injustement reproché, a ses lignes directrices, ses incontournables, ses passages forcés. Afin de réussir son écriture, les développeurs n’ont pas laissé libre le joueur de créer ou de modeler le corps de son scénario, le résultat en serait sans doute un échec. Il est vain de voir dans The Walking Dead une page blanche, ce qui est écrit le restera, avec des différences minimes en fonction de vos choix. Mais c’est entre ces lignes que vous aurez le pouvoir, dans le processus plus que dans le résultat. Résultat qui sera vécu différemment en fonction du cheminement que vous aurez emprunté, même s'il est le même à l'écran pour tous. C’est là que votre expérience sera unique. Vous allez, par vos réponses, par vos dialogues, créer une identité à votre univers, à vos personnages, à leurs relations, les faire évoluer.
Gravir l’Everett
Le choix de ne laisser que cinq secondes pour répondre est en parfaite cohérence à la fois dans les moments où la pression se fait sentir et dans ceux où c’est psychologiquement qu’il faut prendre une décision (qui peut être le silence, parfois par défaut), ce qui confère une forme de réalisme aux antipodes des visuels. Chaque décision est définitive, avec une influence dans les détails plus que dans les grandes étapes de l’histoire. La petite phrase « untel se rappellera de ça » est là pour vous le rappeler, petit défaut qui se transforme en gimmick amusant quand on voit l’inexistence de réelles conséquences à vos actes. Vous allez être confronté à de vrais « choix moraux » qui parfois vous prendront une éternité à résoudre (je pense au début de l’épisode deux). Life Is Strange, par sa mécanique de retour dans le temps, permettait de tester tous les choix à court terme, en cohésion avec sa proposition, mais perdant du même coup l’aspect « non-retour » qu’implique causes et conséquences et qui intègre le joueur dans l’expérience. Vous allez donc créer, plus que du texte et une histoire, une couleur. Et cela suffira pour rendre votre partie unique. Vous arriverez aux moments prévus, que tout le monde traversera, et pourtant la manière dont vous allez les traverser sera vôtre, individualisée par cette couleur que vous aurez insufflée à The Walking Dead, son univers, ses personnages. On conseille souvent de ne pas refaire une partie. Au début il est vrai qu’on a envie de voir à quel point on pourrait modifier le cours des choses. Dès qu’on se rend compte de la « supercherie », on sent bien qu’une nouvelle tentative ne nous correspondrait pas, briserait ce lien qui nous lie au jeu et nous fait ressentir ces émotions. Je dénonçais plus haut le caractère forcé de celles-ci dans certains films ou certaines séries. Elles émanent, dans The Walking Dead, du joueur et de la manière dont il a fait sienne la narration.
La première saison de The Walking Dead se place à la fois dans la continuité d’une relation jeu vidéo/cinéma/séries et comme précurseur de tout un tas de productions (de Telltale ou non) reprenant les grands principes du titre. Il puise sa force dans une écriture rythmée qui reprend pas mal de codes du média séries, pour le meilleur ou pour le pire. Là où cette écriture fait mouche, c’est en perdant le joueur, en faisant sa marionnette là où lui voudrait le contrôle sur le jeu. Offrant l’illusion d’un pouvoir sur l’histoire, il lui refuse finalement, mais plutôt que de le frustrer, il remplace cette attente par une relation plus fine et qui réside plutôt dans les détails, ce qui n’empêche pas (et peut-être favorise, au contraire), l’implication du joueur dans la narration, lui procurant des émotions qui, même s’il est passé par les mêmes chemins que d’autres avant lui, lui appartiendront pleinement sans être ni feintes, ni forcées.