Tokyo Twilight Ghosthunters
6.7
Tokyo Twilight Ghosthunters

Jeu de Toybox, NIS America et Arc System Works (2015PlayStation 3)

Tokyo Twilight Ghost Hunters est-il un jeu rock’n roll ? Et d’abord, un jeu rock’n roll, qu’est-ce que c’est ? Suffit-il de baptiser chaque chapitre avec le titre d’une chanson d’un groupe emblématique ? D’inclure un personnage qui joue de la guitare ? De demander à Nobuo Uematsu de composer son morceau d’intro ? Ou alors de balancer des mécaniques nébuleuses en se disant que le joueur n’a qu’à se débrouiller ? De ne pas s’inscrire dans un genre précis en mélangeant visual novel et combats stratégiques sur une tablette oui-ja ? Quelles que soient les réponses à cette avalanche de questions, il est réjouissant qu’une création de Shuhô Imai ait enfin la chance de sortir du Japon.


Ce dernier n’en est pas à son coup d’essai : il est le père des Tokyo Majin Gakuen (dès 1998 sur Playstation) et des Kowloon Youma Gakuenki (dès 2004 sur Playstation 2). Des jeux qui n’ont malheureusement jamais connu de traduction et restent assez énigmatiques, enrobés de la fameuse « aura magique de l’import ». Grâce au travail d’Aksys Games et de NIS America, il est désormais possible de bénéficier d’une production d’Imai tout en anglais et d’apprécier son univers teinté de surnaturel sur nos consoles occidentales.


Comme son nom l’indique, l’action se déroule à Tokyo et met en scène des chasseurs de fantômes. Vous incarnez un jeune homme qui débarque dans une nouvelle école (le coup classique) et va rapidement se découvrir un don peu commun : celui de voir les esprits coincés sur Terre après leur mort. Autrement dit… les fameux fantômes ! Et comme plus on est de fous, plus on rit, notre héros est recruté quasiment dès son arrivée -qu’il le veuille ou non- par la maison d’édition Gate Keepers. Sous couvert de publier un magazine spécialisé dans l’occulte, les membres de Gate Keepers sont en réalité des exorcistes à temps partiel, vous débarrassant contre rémunération de tous types de spectres récalcitrants. C’est ainsi que treize chapitres vont se succéder, rythmés par la même mise en situation sous forme de visual novel, suivi d’un combat et de la conclusion de l’affaire ; chacun racontant la petite histoire du fantôme de la semaine. Jamais bien originales, ces intrigues raviront malgré tout les amateurs de paranormal estudiantin à la japonaise, mélangeant allégrement Scooby Gang, Ghostbusters (Bouftou a droit à un caméo non-officiel), idols et yakuzas.


L’ambiance est sans doute le gros point fort du jeu, fortement aidé par le chara-design de Chinatsu Kurahana (Uta no Prince-sama) qui est à tomber. Les personnages sont animés par un moteur créé pour l’occasion, le GHOST : Graphic Horizontal Object STreaming. S’ils restent statiques et en 2D, de légers mouvements -tel un souffle- les rendent plus vivants. Derrière eux, les décors reprennent une vieille habitude du genre, à savoir des photos floutées. On ne joue pas ici pour la démonstration technique, cependant le charme opère tant et si bien qu’une grande partie de l’attrait repose sur l’envie de découvrir à quoi vont ressembler les prochains protagonistes. Il en va de même pour le bestiaire fantastique et les boss, diversifiés et très agréables à l’œil.


Après seulement quelques instants, le joueur va pourtant être confronté à un étrange sentiment. Celui de ne rien comprendre. Cela commence par la rencontre avec « la roue des sens » qui permet de communiquer avec les autres personnages. Dans ses œuvres précédentes, Imai avait déjà expérimenté un système semblable, permettant de décrire ses sentiments. Cette fois-ci, il a décidé d’y ajouter les sens. Ainsi, lors de phases narratives, certaines réponses ou actions demandent la combinaison de deux roues : celle de sentiments (amour, amitié, colère, tristesse et ce que l’on qualifiera de curiosité, correspondant à l’investigation) et celle des sens (vue, goût, toucher, ouïe et odorat). Eh oui, dans Tokyo Twilight Ghost Hunters, il est possible d’écouter tristement quelqu’un ou de le sentir les sourcils froncés. D’autres associations s’avèrent plus logiques : toucher et amitié signifie serrer la main ; pour embrasser, cela sera goûter et amour. Ces sommaires explications, le jeu ne les fournit pas. C’est donc en tâtonnant, un peu perdu, que le système s’apprivoise pour savoir quoi choisir au moment opportun.


Si la plupart des réponses n’ont pas une grande incidence sur le déroulement général de la partie, il est extrêmement facile de passer à côté d’éléments capitaux. Parfois, il faut serrer la bonne main, regarder respectueusement la bonne personne et/ou toucher/goûter/voir le bon indice. Si les conditions (obscures) ne sont pas remplies, l’on passe à côté d’un personnage à recruter ou pire, de la partie explicative de l’enquête en cours. Cela n’empêche nullement de finir le jeu, mais la satisfaction n’est pas vraiment au rendez-vous. Si à l’issu de l’affrontement contre le boss, la mystique roue dorée ne fait pas son apparition pour exorciser correctement l’ectoplasme, le jeu continuera –pas de problème- mais vous saurez qu’un faux pas s’est glissé quelque part.


Dans le même ordre d’idées, les premiers combats sont pour le moins déroutants. Quelques indications sont données (sympa !) pour poser des pièges préventifs, surveiller le décompte des tours et appréhender les déplacements limités, le tout sur une énigmatique tablette oui-ja. Débordante d’informations, celle-ci est composée de cases sommaires sur lesquelles l’on déplace ses personnages tels des pions, comme sur un plateau vu de dessus. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il est préférable d’aborder les joutes : comme un jeu de plateau interactif. Tout est en réalité question de déduction, le but étant de deviner les positions à venir des fantômes afin de soi-même se placer correctement pour pouvoir les frapper. Sauf qu’un fantôme, c’est invisible, cela passe à travers les murs et surtout, cela ne répond pas à la logique des vivants. Grâce à certains objets (ou l’aide providentiel du chat noir de l’équipe !), il est possible de rendre visibles les ennemis, encore heureux. Pour le reste, il faudra se contenter d’un code couleur définissant l’état du fantôme alors qu’il crie : rouge, il veut vous en mettre une dans la tronche et bleu, il préfère fuir fissa. Si une attaque touche sa cible, le jeu switche sur une visualisation 3D de la pièce en vue à la première personne, l’occasion de pouvoir admirer l’adversaire et/ou de voir son écran se fêler lorsque le game over se rapproche. Le plaisir de jeu trouve ses limites dans la tolérance de chacun : accepter le côté aléatoire des réactions de l’autre monde ou se dire qu’une IA folle, c’est un peu n’importe quoi.


Pour ceux qui seront prêts à accepter l’incontrôlable, le reste des mécaniques offrent un sympathique « tout est lié ». Rendez-vous au quartier général –la rédaction- pour découvrir toutes les options cachées du repaire. Les vestiaires servent à l’équipement, le tableau à s’entraîner, excuse pour admirer un joli artwork et monter les affinités et certaines statistiques. L’ordinateur fait bonne figure avec sa page d’accueil, mais appuyer sur L et R révèle la face cachée du site de Gate Keepers, permettant de partir en mission pour des combats annexes. Combats qui feront gagner des points pour pouvoir entre autre s’entraîner au tableau de nouveau. Si vous n’avez pas tout cassé pendant votre dernière bataille (car oui, si vous visez à côté et cassez fenêtres, chaises ou matériel, il faut les rembourser) et donc réussi à engranger un peu de monnaie, la boutique est ouverte, remplie d’objets dont on ne saisit pas toujours l’utilité, voire que l’on essayera jamais. Et puis, tout à gauche, se trouve une boîte. D’un autre jeu. De plateau. Un jeu dans le jeu, normal.


Ce jeu se nomme Hypernatural et devinez quoi ? La première fois que l’on y joue, on n’y comprend absolument rien. Pourtant, une notice virtuelle est incluse cette fois, mais il faudra sérieusement pratiquer pour apprécier ce bonus. Il s’agit une fois de plus de déduction et d’un peu de chance (pour ne pas dire beaucoup), via des cartes, des déplacements et des fantômes invisibles à débusquer. Au début, on perd beaucoup. Si notre personnage meurt, les autres participants (choisis parmi nos compagnons et dirigés par l’IA) continuent leur partie, comme ça, mine de rien. D’autres fois, même pas le temps de participer : le fantôme principal est tué dès le premier tour par quelqu’un d’autre, merci et au revoir ! Rock’n Roll ! Jusqu’au moment où tout s’éclaire, que l’on pige enfin comment ça marche et que l’on relance une partie pour le fun. Incroyable : pour le fun !


Comme un riff sauvage sur une guitare électrique, Shuhô Imai a choisi de balancer ses idées brutes, s’amusant à expérimenter des concepts originaux pour surprendre le joueur. Avec un système de dialogues surréaliste et des combats hasardeux, un effort est nécessaire pour plonger les mains dans le cambouis et saisir, petit à petit, les mécaniques. Via des dizaines de descriptions en police minuscule, les va-et-vient de nos amis ou les clins d’œil divers et variés, Tokyo Twilight Ghost Hunters fourmille de détails pour rendre palpable l’aventure. En se faisant, il la rend également hermétique au premier venu. A trop vouloir offrir de personnages (un à recruter par chapitre), la plupart d’entre eux se contenteront d’une présentation sommaire. De même, il est regrettable de ne pas obtenir une fin différente s’il l’on réussit tous les exorcismes ou que la déclaration d’amour finale (obtenue en augmentant vos affinités) soit presque identique, peu importe l’interlocuteur.


Comme ce fut régulièrement le cas par le passé chez Imai, cette première mouture du jeu a été améliorée dans une version revue et corrigée : « Tokyo Twilight Ghost Hunters Daybreak Special Gigs ». Chapitres et personnages inédits, système de combat mieux guidé, visite de la Playstation 4 et autres bonus sont au programme. Si vous n’avez pas encore tâté l’original, il est sans doute plus avisé d’attendre cette variante plus complète disponible fin octobre en Europe.

Molo
8
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le 30 sept. 2016

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Molo

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