Malgré des tendances récentes à vouloir s'émanciper d'une de ses plus envahissantes sources d'inspiration, force est de constater que le jeu vidéo est encore largement influencé par le cinéma, tant au niveau des thèmes traités que de la mise en scène. Cependant, un genre cinématographique a, jusqu'à présent, été plutôt délaissé: celui du slasher, dans lequel les membres d'un groupe de jeunes gens se font traquer et zigouiller les uns après les autres par un psychopathe au visage souvent dissimulé sous un masque. L'équipe de Supermassive Game tente de nous faire vivre l'expérience, et nous livre Until Dawn, édité par Sony en 2015. Reste à savoir si le défi est relevé.
Huit amis se retrouvent dans un chalet perdu en montagne, un an après que deux filles de leur groupe aient disparu à cet endroit. Ils se rendent rapidement compte qu'ils ne sont pas seuls et que quelqu'un leur veut du mal. Le joueur incarne chacun de ces héros à tour de rôle et tente de les protéger de la menace qui rôde: selon ses choix, il y parviendra plus ou moins, et, si tous peuvent survivre, il est aussi possible de perdre certains d'entre eux, voire tout le monde. Si le scénario semble être un cliché total (on reparlera de la notion de cliché plus loin), il gagne par la suite en profondeur, et a le mérite d'offrir une histoire intéressante et cohérente de bout en bout, dans laquelle chaque élément a sa place.
Le jeu, prévu initialement sur PS3 pour exploiter le motion gaming via le Playstation Move, prend finalement la forme d'un jeu plus "classique", dans le sens où il se joue avec une manette normale. Le mot "classique" reste toutefois entre guillemets car le gameplay est plus apparenté à celui de Heavy Rain qu'à celui d'un Resident Evil. Il faut donc réussir des Quick Time Events sous tension ou faire des choix (entre le chemin de droite et celui de gauche, par exemple) qui auront une répercussion, parfois importante, sur le déroulement de la scène et du scénario. Les développeurs ont eu la bonne idée de permettre au joueur de consulter à tout moment les conséquences de ses choix, répertoriées dans un onglet du menu pause.
Un système d'affinité entre les personnages existe, reposant sur les traits de caractère de chacun d' eux et sur les choix faits par le joueur. Si cela peut avoir un impact sur le déroulement d'une scène, la mécanique semble toutefois peu développée. Par contre, certaines mécaniques, qu'on sent héritées du projet initial de motion gaming, sont plutôt bien pensées: il faudra par exemple maintenir la manette totalement immobile dans ses mains pour ne pas être repéré.
Ces scènes sont entrecoupées de phases d'exploration, durant lesquelles on pourra découvrir des indices sur la menace qui plane sur les héros. Là encore, les développeurs ont su être originaux: le joueur peut, lors de ses inspections, mettre la main sur des totems qui déclencheront la vision de futurs événements pontentiels. Cette mécanique, vraiment bien pensée, fait merveille, car les visions sont courtes et parfois volontairement obscures, poussant le joueur a rester vigilant.
Ces mécaniques sont agrémentées d'une direction artistique de haute volée, qui reproduit avec fidélité l'ambiance des slashers.
Ceci passe en premier lieu par l'utilisation de tous les poncifs du genre. Les personnages correspondent pour l'essentiel à des stéréotypes tels que la blondinette provocante, le sportif, le geek, la nana populaire qui écrase les autres, etc... Les lieux visités ne font pas exception (chalet isolé, forêt, cavernes, mines, asile psychiatrique abandonné) , ni les situations rencontrées: triangle amoureux, torture porn à la Saw (le jeu n'est d'ailleurs pas avare en gore, si tant est que l'on fasse les mauvais choix), jumpscares, secours ne pouvant arriver avant l'aube à cause du mauvais temps, etc...
Cependant, cette utilisation de clichés n'est pas un mal, et ceci pour différentes raisons. Comme dit précédemment, Until Dawn est l'un des rares titres à se lancer dans un genre encore peu abordé dans les jeux vidéos, et cela signifie qu'il est nécessaire de commencer par se plier aux "règles" du genre pour que le joueur trouve dans son jeu les sensations d'un slasher. De plus, le jeu n'est pas prisonnier de ces clichés: on s'aperçoit par exemple rapidement que les personnages ont plus de profondeur qu'il n'y paraît.
Par ailleurs, la mise en scène est soignée, et renforce grandement la tension éprouvée. Si les jumpscare sont utilisés un peu facilement, surtout au début de l'aventure, le travail sur l'ambiance est très bon tout de même. Par exemple lors des phases de recherche, les angles de caméra sont presque fixes et volontairement inconfortables, plongeant le joueur dans la crainte de ce qui peut se cacher dans les angles morts. La musique et, surtout, les bruitages viennent renforcer le tout habilement, même si certains pourront encore déplorer un manque d'originalité pourtant légitime (encore une fois, on peut difficilement parler de cliché pour un un genre encore assez inédit dans le jeu vidéo).
Le découpage en épisodes à la manière d'une série (avec un rappel des événements précédents) se marie parfaitement au genre, car il permet de calibrer des sessions de jeu assez courtes (30 à 45 minutes par chapitre) pour ménager les plus sensibles et aussi de garder un déroulement dynamique en alternant les protagonistes à chaque épisode.
Enfin, le jeu est magnifique, tant par ses décors sombres et gelés que dans la modélisation bluffante des acteurs, qui, au passage, ont fait un travail remarquable.
**Supermassive Game nous offre donc un jeu très réussi: on a souvent peur dans Until Dawn, mais on ne peut s'empêcher de continuer pour voir la suite et pour essayer de sauver tout ce petit groupe. Bien sûr, le jeu est une accumulation des clichés du cinéma, et ça aurait été une erreur qu'il ne le soit pas: le pari était d'offrir un slasher aux joueurs, il fallait donc que le jeu ait l'apparence, le goût et l'odeur du slasher le plus basique. Mais il n'est pas une accumulation de clichés du jeu vidéo, et c'est ce qui importe: Ce titre offre un gameplay solide agrémenté de features originales et bien pensées. On a vraiment l'impression d'avoir un impact sur le déroulement de l'histoire, et c'est ce qui compte.
Until Dawn pose donc les bases du slasher en tant que jeu de manière brillante, et semble se faire emboîter le pas: une adaptation de Vendredi 13 en jeu vidéo vient d'être annoncée, et l'hypothèse d'un Until Dawn 2 vient d'être émise par Sony. C'est à ces jeux qu'il incombera de proposer plus d'originalité.**