Adapté d'un célèbre RPG papier, VTMB est avant tout un jeu d'ambiance. Il est peut-être même le meilleur dans cette catégorie. Après avoir créé votre personnage, vous débutez la partie à Santa Monica, près de Los Angeles. Vous allez faire l'expérience d'une seconde mise au monde, plus violente encore que celle du nouveau-né arraché à l'étreinte ouatée des entrailles maternelles. L'on a fait de vous un vampire, arpenteur d'un autre monde, souterrain et ténébreux. Les circonstances inhabituelles de votre seconde naissance vous placent dans une position délicate et déjà, il faut vous battre pour votre non-vie. Très vite, vous deviendrez un pion utilisé par des factions opposées, chacune espérant assurer sa domination sur les autres grâce à un mystérieux sarcophage.
Ramassé et linéaire, VTMB ne permet pas d'explorer de vastes territoires. Il appartient à la catégorie des jeux de couloir ou des jeux sur rail. Or c'est précisément ce qui lui permet de proposer une reproduction cohérente de Los Angeles vue à travers une loupe cthulienne. Le rail sur lequel on progresse est celui d'un train fantôme. Le couloir, celui d'un manoir gothique, habité par la famille Adams sous acide. En chemin, on croise l'oncle psychopathe et la jeune fille à couettes qui dissimule un couteau de boucher dans son cartable. On se laisse bercer par une musique emo ou goth qu'on écouterait en aucune autre circonstance. Et ça marche ! L'aventure est prenante, en particulier lors d'une poignée de quêtes mémorables (Snuff is Enough, Calling Dr. Grout).
En y réfléchissant un peu, je pourrais probablement trouver un autre jeu à l'ambiance aussi soignée. Mais je n'en trouverais aucun dont les défauts contribuent à ce point à renforcer sa principale qualité. En un sens, les dialogues clichés ou la trame narrative un peu convenue facilitent l'immersion. Si l'on a lu un peu de littérature fantastique ou d'épouvante, si l'on a vu deux ou trois films de la Hammer, on comprend vite où les scénaristes veulent en venir. Soit. Mais ce n'est pas nécessairement un mal. Dès lors, plutôt que de se poser trop de questions à propos du jeu, on s'y laisse prendre. On joue à se faire peur, on flirte avec le bizarre, le sulfureux et le malsain. Sans jamais y mettre les deux pieds, car l'ensemble reste léger. Le jeu se révèle même très drôle, lorsqu'on converse avec un Malkavien aux propos sibyllins ou qu'on rencontre un pirate informatique vampirisé nommé Mitnick – ce dernier a pas mal changé depuis les années 80 mais il a l'air de s'être bien adapté à sa nouvelle vie...
VTMB, c'est un peu le meilleur jeu de série B auquel vous pourrez jouer. Et encore, je ne parle là que de la trame principale. Créé par des maniaques du détail, le jeu recèle de nombreux secrets. À partir d'un faisceau d'indices, certains fans élaborent des théories passionnantes sur les motivations réelles des différents personnages ou spéculent sur l'identité du chauffeur de taxi qui conduit le héros à travers Los Angeles. Ainsi, pour filer la métaphore du manoir gothique, on peut dire que celui-ci ne se distingue pas par la complexité de son architecture ou la beauté de ses ornements, mais plutôt par son charme, ses pièces secrètes, et parce qu'il entre en résonance avec un imaginaire peuplé de créatures mystérieuses et de femmes fatales.