Void Stranger
7.3
Void Stranger

Jeu de System Erasure (2023PC)

Qu’ils sont rares ces jeux ou le monde dans lequel le joueur évolue est un mystère à lui seul, ou chaque élément de décor, avancée dans l’intrigue, est une prise de conscience que l’environnement dépasse par une profondeur insoupçonnée. La valeur de l’information et le pouvoir de la connaissance supplantent la récompense matérielle. La progression se construit comme un dédale sans fin, dans lequel chaque étape ne sert qu’à annoncer la suivante. Surprise et étonnement sont au premier ordre, car ce type de structure relance constamment l’émerveillement. Tunic s’est illustré à merveille dans ce registre ; ce jeu dans lequel chaque aller-retour dévoile une couche de peinture supplémentaire sur l’ensemble de la toile. Beaucoup décriront un sentiment similaire à propos d’Outer Wilds, ou encore The Witness. Je vous épargne la liste de courses. J’espère que vous reconnaissez ce type d’expérience ludique, qui motive à retrouver un jeu du même calibre.

Lors de ma quête pour un jeu qui saura me donner pareille satisfaction, je tombe à de nombreuses reprises sur Void Stranger, que les retours particulièrement dithyrambiques de fans vocaux ont de quoi susciter ma curiosité. En parcourant les évaluations Steam, c’est une armada de commentaires positifs qui demandent de leur prêter une confiance aveugle, car ils sont incapables de vous expliquer pourquoi leur jeu est le meilleur de tous les temps, sous risque « de spoil ». A la place, ils vous présenteront Void Stranger comme « un terrier de lapin »(je m’épargne le mot « rabbithole »…), dont la principale qualité est de dévoiler constamment des nouvelles strates du jeu, sans que le joueur s’y attende. En plus de cela, tout le monde conseille de prendre des notes. Un nouveau jeu à mystères impitoyable envers son joueur ? Voilà des éléments sur le papier suffisant pour dire que Void Stranger pourrait être mon nouveau jeu préféré, il n’en est rien : c’est une des plus grosses déceptions que j’ai eues.

Les premiers contacts avec le jeu sont très encourageants pour la suite. Le début est mystérieux, le joueur est lâché sans explications (et il n’en aura que très tardivement), à priori le jeu ne prend pas par la main. Il se montre aussi très punitif dès le début. Certains éléments, pour un œil attentif, annoncent déjà un jeu avec différentes couches de profondeur. Cet univers intrigant donne vite l’envie d’en apprendre plus.

Seulement, les premières minutes enchanteresses laissent vite place à une boucle de gameplay assez plate pour détruire toute l’excitation. Il s’agira d’enchaîner des énigmes digne d’un jeu mobile pendant des heures durant, et….rien d’autre. Void Stranger s’illustre sous la fameuse étiquette du « sokoban », ces fameuses énigmes 2D, sur un grillage, en tour par tour. Le principe de base est intéressant, il est question de déplacer les blocs du niveau pour former des chemins. Malheureusement, j’ai beaucoup de soucis avec la façon dont le jeu articule ses énigmes. Plus qu’un problème spécifique à Void Stranger, les soucis sont ceux inhérents à un puzzle-game plus classique. Le premier est la courbe de difficulté. Ici, elle est particulièrement linéaire, ce faisant, les dizaines de premières énigmes, voir la centaine sont simples, elles n’ont pas de solution ingénieuse ; aussitôt résolue, aussitôt oubliée. Elles requièrent des manipulations simples et intuitives, au point de ne pas être intéressantes à résoudre. Je disais que le jeu ne prend pas par la main, en fait si, le bon tiers des premières énigmes du jeu est ce passage beaucoup trop long et facile pour s’amuser. Pourquoi ne pas faire des bonnes énigmes dès le début ? Ces dernières étant courtes, le joueur enchaîne comme du travail à l’usine. La progression est particulièrement prévisible. Pour chaque segment d’étage, une nouvelle mécanique est introduite, d’abord avec des énigmes très simples, puis d’autres plus difficiles. Au final, on ne joue jamais vraiment au même jeu, mais à différents jeux. Void Stranger se contente de complexifier sans réfléchir, d’ajouter des nouvelles mécaniques, des nouveaux blocs, des nouvelles entités, parce qu’un jeu de puzzle, c’est forcément cette formule usée d’introduction de mécaniques les unes par-dessus les autres pour aboutir à des puzzles finaux très difficiles, complexes sans l’intelligence. Ce sentiment est encore plus fort lorsque beaucoup de mécaniques introduites au fil du jeu possèdent une forte sensation de déjà-vu. Void Stranger s’enrichit avec des blocs de glace, des doubles maléfiques, des éléments à pousser, des entités qui nous suivent, un pnj qui fait l’opposé de vos actions…Les puzzles sont donc très génériques, or la majorité de votre temps de jeu se passe dans les puzzles. Qu’on soit clair, ce que je reproche spécifiquement à Void Stranger, c’est de reprendre une formule que je ne trouve plus intéressante aujourd’hui, de ne pas avoir fait d’efforts pour trouver sa propre formule, ou rendre pertinent quelque chose qui ne l’est pas forcément.

A l’opposé, Void Stranger vient amplifier les défauts de cette formule. A de nombreuses reprises, mon expérience de jeu s’est avérée très frustrante par l’absence d’une action pour annuler son coup. Je ne demande pas de revenir en arrière au moindre coup, mais au bout d’un certain stade, les énigmes deviennent longues et punitives, ce qui fait qu’une erreur d’étourderie, une pression involontaire d’une touche, ou peu importe, condamne l’énigme et force à recommencer. Au bout d’un certain stade, l’agencement des énigmes ne donne vraiment pas l’envie de les résoudre, car les tableaux deviennent très chargés visuellement, et ce, même sur ceux qui sont réduits. Le jeu va tomber dans ce piège des énigmes décourageantes, car trop chargées.

Voici ce que vous ferez pendant vos 6 premières heures de Void Stranger. Heureusement une fois « fini », vous réaliserez que comme le jeu est « indépendant », il est en réalité construit autour du principe de recommencer ses parties, revisiter les mêmes endroits, et acquérir la progression méta nécessaire pour obtenir la fameuse « true ending ». Que c’était imprévisible. Je ne vais pas rentrer dans les détails du jeu et dévoiler son contenu, mais la suite du jeu consistera à recommencer pour faire avancer la progression. En théorie, on passe d’un puzzle-game à un jeu à mystère. Il ne serait plus question de se casser la tête sur le sokoban, mais de trouver le code pour ouvrir ces portes, de faire sens d’éléments de décor ; d’une façon générale de percer les mystères du labyrinthe. Hélas l’expérience est en demi-teinte. Bien que le jeu dispose de bonnes idées, l’expérience devient une corvée. Quelques moments sont des grands passages de bonheur, car ils ont ce petit moment ou le joueur connecte les éléments dans sa tête. Voir sa théorie fonctionner est particulièrement satisfaisant. Un passage en particulier, notamment Seulement, la méta progression est alourdie par le fait de se retaper les mêmes énigmes. Dans l’idée, il est possible « d’accélérer » cette phase, plus vous avancez et plus elle sera courte, mais factuellement, mon expérience s’est heurtée à la frustration, la frustration de recommencer en boucle des énigmes dont je me suis plaint tout le long, de devoir recommencer entièrement et passer par un long processus pour atteindre le lieu que je veux (je sais ce que les fans me diront et j’ai été au courant de ce fait très tard). Finalement, le plaisir de la chasse aux mystères s’estompe, car j’ai eu l’impression d’aller à la mine, attendant (éternellement) le moment ou j’aurais enfin une étincelle, et lorsque celle-ci se produit, elle est de courte durée.

Void Stranger est alors dans une contradiction, un engrenage qui le ralentit, entre le jeu à mystères et le jeu à puzzle. La fusion est ratée, car le jeu à puzzle vient saboter la progression de l’enquête. Pour donner un autre exemple d’un jeu qui gère à merveille la transition d’un genre à un autre : Tunic et son passage du jeu d’aventure au jeu à mystère. Pour ce dernier, l’aspect aventure, au bout d’un certain stade, vient fluidifier la progression du joueur dans les énigmes ; alors que la boucle de gameplay de Void Stranger montre déjà de grandes limites dès les premières heures, alors pour 35h, 40h, 50h, 60h ? Au bout d’un certain stade, une portion entière et non-négligeable du jeu n’est plus pertinente. Les fans me rétorqueront « tu peux très bien accélérer/manipuler ce processus ! » (encore une fois désolé d’être vague, mais j’essaie de donner un point de vue qui ne se limite pas à « jouez au jeu vous verrez »), donc un grosse partie de votre jeu devient inutile ? Tunic a tellement bien imbriqué les mystères dans son monde qu’aucune partie n’est caduque. De même, arriver à ce stade demande déjà beaucoup de temps et de runs. Comme le jeu n’est pas taillé pour l’exploration, alors la méta progression fatigante. A l’inverse, Tunic, bien rôdé sur ces aspects, élimine toutes les pourritures et offre un jeu de pistes géant ou le joueur ne sera jamais ralenti par des éléments parasites.

Je dois vous avouer, j’ai arrêté en cours de route, étant

proche d’atteindre ma première fin sur Lillie. Avant cela, je pense avoir fait tout ce qu’il était possible de faire avec Grey, notamment tous les objets, toutes les portes, j'ai atterri dans plusieurs salles avec l'option pour manipuler le hud et les endroits avec l'arbre, puis la queue du serpent reconstituée sur paint

...car je me demandais si les quelques éclats du jeu suffisent à continuer, tel un âne qui poursuit la carotte sur le bâton. La promesse du terrier de lapin à découvrir toujours plus de profondeur mécanique perd sa crédibilité. J’ai conclu que non, je n’allais pas perdre plus de temps, car Void Stranger est mort dans l’œuf en étant un sokoban de cette forme.

Finalement, il reste un dernier élément qui aurait pu me maintenir à Void Stranger, tout ce qui concerne la narration, l’ambiance, l’univers…En effet, le véritable terrier de lapin du jeu se trouve dans ces éléments, avec l’idée qu’un simple sokoban parvienne à s’émanciper de son genre pour développer une histoire riche et surprenante. Vous remarquerez qu’il est donc question d’éléments qui sont extra-ludiques. Sur ce point je ne me suis pas senti impliqué. Puisque j’aime être provocateur, je dirais que ça n’a pas marché, car ce jeu est « « « « « « indé » » » » » » ». Ce n’est pas une question technique, d’autant plus que je ne joue jamais aux AAA, mais le sujet est esthétique, je parle d’un esprit. Visuellement aucun chara design ne me parle, on dirait juste des Occidentaux qui copient des japonais, sans garder les trucs bons des Japonais. Sur la direction artistique, le choix de rendre hommage à la Gameboy affiche des limites. Le jeu est unicolore et ne dégage absolument rien. Les limites graphiques donnent des environnements très unis ou rien ne se distingue. Ce choix est difficile à comprendre, car j’ai l’impression que les développeurs ont conscience de leur bouillie. Dans cet amas de pixels très génériques, se dégage occasionnellement quelques passages ou effets visuels intéressants, or ceux-ci instaurent toujours une « rupture » avec les graphismes Gameboy habituelscin du jeu. Les exemples sont trop nombreux. Le plus simple à imaginer pour quelqu’un n’ayant pas joué au jeu est d’imaginer un changement de résolution ou d’animation, de la Gameboy a quelque chose de plus avancé. A l’occasion du moment qui hurle que Void Stranger est un jeu « « « « « « « indé » » » » » » », la même pirouette est utilisée pour la musique. L’OST habituellement cantonné au chipset Gameboy, se voit sans raison libéré de ses contraintes pour nous offrir une chanson niaise sur le désespoir. La différence est si notable que le passage en question devient difficile à prendre au sérieux, pire : j’en ai rigolé.

Que reste-t-il alors ? Un jeu, qui, parce qu’il veut montrer qu’il est « plus qu’un sokoban » nous mets des phases narratives en mode JRPG, des CG, des cinématiques, et même un

(passage shmup)

...Pour nous montrer qu’il est « plus qu’un sokoban », mettre des cinématique surprises, des petits moments méta,

(relancer l’exe du jeu et atterrir la où on ne le pense pas ?)

...Au vu des faiblesses du jeu que j’ai exposé dans cette critique, tous ces artifices me paraissent comment de la poudre aux yeux pour masquer les faiblesses du jeu. Tous ces éléments hors sokoban ne surprennent pas en réalité, encore moins lorsqu’ils viennent d’un jeu « « « « « indé » » » » ». Depuis des années, la scène « « « « « indé » » » » » s’est amusée à transformer des combines amusantes vouées à marcher une seule fois en un cahier des charges. Toutes ces choses supposées étonnantes du jeu n’est qu’un amalgame d’idées typiques d’un jeu « « « « « indé » » » » » concentré dans un jeu. En fait, lorsque la base et le cœur du jeu, c’est-à-dire son sokoban, sont ratées, comment apprécier le reste ? Rien dans l’écriture ne m’a plu. Lily est une tsundere basique, Gray n’a aucune épaisseur et je n’ai pas réussi à me mettre en empathie avec elle, tous les méchants sont edgy, l’humour qui interrompt la situation n’est pas ma tasse de thé, et l’univers n’est constitué que de noms propres. Pour ma part, je ne vois aucune sincérité dans ce jeu.

Void Stranger aura eu un mérite : me questionner sur ce qu’est un jeu qui « respecte » mon temps.

Dfez
5
Écrit par

Créée

le 20 juil. 2024

Critique lue 76 fois

Dfez

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