Wolfenstein 3D par Gaël Barzin
"Un arrière-goût amnésique me traverse soudainement l'échine. Je suis debout devant une porte en métal sans caractéristique particulière. Où suis-je ? Je suis entouré d'un mur bleuté d'assez mauvaise composition. De gros parpaings colorés qui semblent avoir été superposés de façon tout à fait grossière. Mes premiers pas sont hésitants. La porte métallique s'ouvre soudainement sans que j'y appose la main. Etonnant. Je ne m'en étais pas rendu compte mais mes deux paluches sont agrippées solidement à mon pistolet. La pièce suivante est identique. Mais quelle décoration à chier ! C'est tout ce que je trouve à me dire alors que la claustrophobie inhérente à ce lieu exigu m'écrase peu à peu. Le plafond uniforme et terne est à quelques centimètres au-dessus de mes cheveux. Je n'ai pas intérêt à faire le moindre écart. Un homme en uniforme me sort de mes pensées. Il me crie dessus dans un jargon que je devine germanique. Il est seul et à l'air de s'emmerder. Il semble frustré et en colère mais donne surtout l'impression d'être dirigé par des fils invisibles. Cet Allemand ressemble à une vulgaire marionnette. Il s'apprête à me descendre comme un lapin. Je suis plus rapide que lui. Il s'écroule dans une gerbe de sang. Ce pauvre malheureux porte un brassard « Nazi ». Mes souvenirs me reviennent progressivement. J'ai déjà connu plus intuitif comme mission mais le secteur à l'air tellement cloisonné que je ne crois pas qu'il soit possible que je me perde. De porte en porte, d'uniforme en uniforme, je traverse des salles de taille variée mais terriblement semblables dans leur déco'. Ici et là, je vois des tableaux d'un moustachu photographié de profil. Le décorateur attitré n'était certainement pas inspiré. À moins que l'Ikea du coin ait soldé ces illustrations du plus mauvais goût pour trois francs, six sous, je ne sais pas quel idiot irait placarder la photo de ce gaillard sur tous les murs. La mémoire, tout autant que ma propre bêtise, vient me cogner derrière la nuque comme un boomerang dont j'avais oublié le lancer et qui aurait fait une courbe de plusieurs kilomètres avant de revenir, bien tardivement.
Ca y est ! Tout me revient. Ce foutu Hitler fout le « bronx » depuis un moment. Personne ne le mentionne réellement mais je suis un allié américain et je m'appelle B.J. Blazkowicz. Je dois avoir des origines polonaises mais c'est le cadet de mes soucis. Je dois la jouer en solo pour amoindrir les forces de l'Allemagne ennemie. C'est catégorique, simple et sans bavure (théoriquement). Un indicateur me renvoi mon propre visage stéréotypé et suspicieux. J'ai des sourcils particulièrement mobiles. Mes mains sont hermétiquement accrochées à mon arme.
Pas moyen de les utiliser ne serait-ce que pour me curer le nez ou pour aller pisser. Je rencontre d'autres soldats. Multiples clones de mon premier camarade de jeu lors de mon réveil. Parfois, j'aperçois des Bergers allemands qui semblent vouloir maladroitement faire joujou... à moins qu'ils me prennent pour leur casse-croûte. Je ne suis pas d'humeur et leur colle une balle entre les deux yeux. Simple instinct de survie. Esthétiquement, l'ensemble semble être à l'origine de bien des choses. La vue tridimensionnelle dont je bénéficie semble être une première même si je n'arrive pas à m'expliquer ce genre de choses. Dans mes souvenirs, ce que je vis à l'instant est inspiré de pérégrinations du héros de Castle of Wolfenstein. Scénaristiquement, rien à voir. Disons que seul notre contexte est commun.
En réalité, si ce que je vois est novateur pour l'époque (1992). La technique utilisée, le « raycasting », me permet, à défaut de m'épanouir dans un environnement varié géométriquement, de progresser de façon immersive. Pour une fois, tout se passe dans ma tête. Je sens que ça va donner des idées à certains. Des noms me reviennent en mémoire : « John Romero, John Carmack ou encore Tom Hall ». Ils seraient, me dit mon subconscient en pixels, à la base de jeux célèbres tels que Doom ou Quake chez ID Software. Tout ça ne me dit foutrement rien mais je suis persuadé qu'il s'agit de lieux où des zigotos doivent certainement profiter de la même technologie vidéoludique.
C'est bon, je crois avoir compris le truc : je trucide mes opposants, je récupère des clefs grosses comme des briques et je cherche la porte de sortie. Je m'attends à trouver d'autres choses. En vain. Les propriétaires des lieux n'ont pas acheté que le tableau d'Hilter en grande quantité. Je trouve souvent le même type de décoration. Des pots de fleurs, des tables, des barils, des cages moyenâgeuses avec des vilains squelettes dans leur dedans... et parfois, je dois bien l'avouer, quelques variantes picturales. Cela étant, c'est toujours en rapport avec l'Autrichien colérique et égocentrique. À chaque zone, que j'imagine être des étages - mais qui sait vraiment ? – je me retrouve à faire fréquemment les mêmes actions, les mêmes déplacements. Je pense que la redondance que je subis devait être aussi emmerdante en 1992 quand je suis sorti au grand jour. Malgré cela, j'ai envie d'avancer. Ne serait-ce que pour voir si je vais rencontrer d'autres types de murs ou d'autres types d'ennemis. Effectivement, les changements sont présents mais terriblement mineurs. Mon aventure reste sommaire mais pose les bases d'un genre qui rencontrera un succès phénoménal. Et rien que pour ça, je suis bien content de ne voir que des murs et des ennemis moches comme des poux cubiques.
Malgré la rigidité dont je fais inlassablement preuve, la répétition de zones labyrinthiques (heureusement que mes poches sont à chaque fois équipées d'un plan adéquat) et la musique limitée qui s'évapore à travers les murs du château de Wolfenstein comme une des pires tortures de la Seconde Guerre mondiale, je suis fier, moi, B.J. Blazkowicz, peut-être d'origine polonaise mais on s'en tape, d'être le pionner d'un genre qui aura fortement marqué l'esprit d'une infinité de joueurs. Je viens d'une époque où le réalisme n'est pas une priorité. Où la notion scénaristique ne joue pas le rôle de fil de fer mais où seuls les tâtonnements artisanaux d'un média encore infantile viennent, sans le savoir, poser des bases de gameplay solides et immuables. Amen."
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