Dans l'espace, personne ne vous entendra spéculer
Il est bien souvent intéressant d’observer un auteur œuvrer hors du/des médiums dans lesquels il exerce habituellement. Chacun disposant de ses propres codes et conventions, la venue d’un acteur étranger peut être l’occasion de découvrir le support sous une perspective nouvelle ou tout simplement de voir un artiste s'extirper de sa zone de confort.
A ma connaissance néanmoins, l’industrie du visual novel n’a que peu profité de ce genre d’évènements, probablement que le marché de niche qu’elle exploite n’intéresse que peu de créatifs - habitués qu'ils sont à produire pour un public plus large. C’est encore plus rageant, que ces dernières années ont vu le marché de la japanim s’ouvrir de plus en plus à des scénariste issu du monde du visual novel (Jun Maeda, Gen Urobuchi, Hoshizora Meteor), sans que la réciproque ne se fasse pour autant.
C’est pourquoi le cas de World End Economica est des plus intéressant. Kinétic Novel (pas de choix laissés au lecteur) en trois parties publié de 2011 à 2013, il a attiré l’attention car le produit de la plume de Isuna Hasekura, romancier derrière la populaire série de light novel Spice & Wolf (dont le premier tome s’apprête d’ailleurs à sortir chez nous en mars prochain).
Mais cette tentative de sortir des sentiers battus s’est-elle avérée payante pour cet auteur ayant déjà fait ses preuves sur le bon vieux support papier ? C’est ce que je pense en tout cas après en avoir fini le premier épisode, traduit en anglais par Sekai Project et en français par Kawa-soft.
World End Economica se déroule dans le futur, 16 ans après qu’une partie de l’humanité ait commencé à immigrer sur la Lune. Devenue rapidement le nouveau centre économique de l’espèce humaine, la Lune s’est changée en la nouvelle terre promise pour tous ceux résolus à faire fortune.
Et c’est bien le cas du protagoniste de ce premier épisode. Hal est un jeune garçon de 16 ans né et élevé dans la colonie lunaire, et ayant fugué de chez ses parents pour poursuivre un rêve fou. Mais pour y arriver, il lui faut d’abord amasser une immense fortune, ce pour quoi il est entré dans le monde impitoyable de la spéculation boursière.
Nul doute je pense de préciser que les enjeux de WEE gravitent tous plus ou moins autour de l’économie, tout comme les aventures d’un certain couple constitué d'un marchant et d’une déesse-louve. Même en changeant de médium, il est clair que Isuna Hasekura a tenu à s’en tenir à ce qu’il maîtrise. Et pour être honnête, il dispose d’un certain talent pour ce qui est de mettre en scène ces connaissances dans le domaine de manière engageante pour le lecteur.
Bien vite, Hal atterrira dans une pension/église tenue par Lisa et sa protégée Hagana, elle aussi fugueuse. Criblée de dettes, Lisa finira par solliciter l’assistance de Hal, qui trouvera en Hagana – et son don pour les mathématique - une alliée inespérée.
Mais tout cela ne se fera pas en un jour, et c’est là que se niche la plus part des reproches que l’on peut faire au titre.
La critique que j’entends le plus souvent est soulevée à l'encontre de la personnalité de Hal. Il est vrai que le gamin possède initialement un tempérament des plus agressif – toujours à sortir une réplique cinglante, et concerné uniquement sur ces ambitions. Il peut en effet être assez difficile à se prendre d’affection pour. Mais pour autant, j’ai trouvé son développement plutôt subtil et bien amené. Au fil de la lecture, il devient évident que l’attitude détachée - voire même quasi égoïste de Hal - tient plus d’une immaturité/maladresse commune à son age que d’un réel manque d’empathie envers son prochain. Voir évoluer la relation qu’il entretien avec Hagana avec qui il était initialement à couteau tiré est d’ailleurs l’un des points les plus satisfaisant de cette première partie.
Le véritable problème par contre vient plutôt de la manière dont Hasekura rythme son récit. Franchement je mentirais si je niais ne pas avoir trouvé le milieu du VN quelque peu ennuyeux, la faute à un second acte qui peine à se lancer et la multiplication de scène de la vie quotidienne qui si elles ont certainement leur place ici, semble à partir d’un moment ne servir qu’à étirer la narration. Et en parlant d’écriture, il est à noter que l’auteur utilise une prose bien plus littéraire que la moyenne des productions auxquelles on est habitué. Si ce n’est pas forcément un défaut, cela participe quant même à l’impression de lenteur que dégagent certains passages, les monologues internes du protagoniste comptant pour une partie non négligeable du volume de texte.
C’est dommage car une fois que les choses se mettent réellement en marche, l’intrigue parvient sans problème à captiver l’attention. Je me même surpris à retenir mon souffle lors d’une transaction particulièrement tendue, et c’est sans parler du climax qui m’a fait l’effet d’un violent uppercut des familles. Toutes ces raisons font que malgré les tares parfois franchement irritantes que j’ai pu citer, j’attends la traduction du second épisode - prévue pour ce printemps - avec impatience.
Quelques mots sur les traductions d’ailleurs. Ça me fait du mal de dire ça parce que j’apprécie énormément l’initiative, mais la traduction de Kawa-soft n’est franchement pas terrible, le script est maladroit et peu agréable lire. Je suis personnellement vite passé à la version anglaise – heureusement disponible sur le disque que j’ai acheté à Japan Expo – qui m'a paru autrement plus professionnelle, même si la masse de vocabulaire relatif à l'économie rendait parfois la lecture ardue.
Pour ce qui est de la technique, il n'y a pas grand chose à dire, c’est propre sans plus.
Production indépendante oblige, il n’y pas masse de CG, mais le peu présent est de qualité. De même pour le chara design et les décors dont j’apprécie particulièrement la palette relativement chaleureuse. Du côté de l’ambiance sonore, les bruitages sont loin d’être mémorable et les morceaux d’ambiance correctes.
TL;DR : Un effort perfectible mais pas dénué de qualités. J’espère que la suite saura dépasser cette mise en bouche qui ne manque pas de potentiel.