L'or de Draenor

C'est un peu tabou de dire qu'on joue à WoW non ? Pourtant il y a toujours une petite étincelle qui luit au fond de mon regard vitreux causé par le contraste entre la luminosité trop forte de mon écran et la pénombre de mon salon. Avec le temps, je suis devenu un grand garçon, si bien que je ne peux plus passer autant de temps devant l'écran, mon regard devient un peu plus chaleureux et objectif. Je joue encore à WoW de temps à autre, pour le lore peut-être, ou un petit raid, un échange de "alors tu deviens quoi" un peu risqué à de vieilles connaissances restées scotchées.

A une époque, nous entamions à peu près le quatorzième mois de raid sur Siege of Orgrimmar, dernier raid douloureux de la pire période de WoW, Mists of Pandaria. Plus d'un an sans mise à jour majeure ! Étrangement, alors que le MMO vieux de dix ans s'aventurait en Pandarie, c'était le moment du déclin du jeu de rôle en ligne dans son ensemble. Star Wars, Tera, Wildstar, tous sont passés ou passent free-to-play. Les joueurs migrent certainement vers d'autres styles plus immédiats en termes de récompenses comme le MOBA. Nous finissions donc dans la douleur de créer des reroll en Pandarie quand Blizzard a annoncé le retour en Draenor. Samèrelipopette se dirent en cœur les vieux briscards de The Burning Crusade, pour le coup âge d'or de WoW. Nagrand quoi, Illidan et ses potes, des elfes de sang et des draenei partout. Bref, j'attendais nerveusement la sortie de l'extension qui allait forcément débuter par une nuit blanche, en faisant fi de mon agenda pour quelques temps, je savais que ne pas dormir allait déglinguer le métabolisme de mon corps vieillissant pendant au moins deux semaines.

On peut tout dire sur WoW, comme montrer les grosses ficelles nous forçant à continuer à jouer. Mais contrairement à un certain jeu où il faut aligner des bonbons, Warcraft, c'est avant tout un sacré univers, un lore vieux de vingt ans qui ne pouvait que nous exploser en pleine face en foulant à nouveau les terres de Draenor. On pourra prouver que Warcraft s'est inspiré dans une certaine mesure des univers de Tolkien et de Lovecraft, mais peu de fictions vidéoludiques affichent un univers aussi incroyablement riche, si bien que certains sites élaborent des théories ou nous content l'histoire d'Azshara avec la même passion qu'Indiana Jones.. ou plutôt Harrison Jones, son ersatz warcraftien devant Uldum.
Quand Warlords of Draenor nous propose de rencontrer les orcs de la Horde de fer, c'est un WoW-gasm qui se passe dans nos regards vitreux. On aimerait plutôt discuter avec Ner'zhul plutôt que de le déchirer comme un malpropre dans un donjon à 5 en dansant en slip entre les squelettes invoqués, mais on est quand même content.

Pour sublimer un lore, il faut une direction artistique qui tabasse. Franchement, j'en ai fait des MMO, certainement un peu trop, mais Warlords, c'est tout simplement la plus belle direction artistique d'un MMO jusque là. Quand Warcraft revient à ses amours interplanétaires plutôt que ses pandas alcooliques, c'est tout de suite mieux. Ma première expérience dans la zone de départ des ally, la vallée d'Ombrelune, est sensationnelle. Le travail de Russel Brower sur la musique approche de la perfection sérieusement (morceau choisi : Ways of the Ancient Ones, le thème du donjon d'Auchindoun). J'avais déjà salué son talent dans ma critique de Diablo III : Reaper of Souls, mais là il s'est lâché. Ayant dépassé la foule agglutinée sur les premières quêtes, je me suis retrouvé aux bords d'un lac, accompagnés d'instruments à cordes pleurant, les raies du néant chassant dans le fleuve. Après tout, on sait comment la luxuriante vallée d'Ombrelune va finir et les visions de Velen ne vont pas nous rassurer. Je prends un petit screen de la lune immense au dessus de ce beau paysage. On oublie quelques temps les ploc des messages privés reçus en pagaille ou les messages de guilde et on se souvient un peu pourquoi on aime bien Warcraft. Difficile de ne pas s'immerger quand on suit un univers tel que celui-ci pendant vingt ans. La zone de départ de la Horde n'est pas en reste, la crête de Givrefeu est superbe et impressionnante. Gorgrond est peut-être un peu plus anecdotique, avant de visiter les Flèches d'Arak, fief des arrakoa qui deviendront plus tard complètement tarés. Auchindoun est déjà emprunté de nostalgie, au centre de la future foret de Terrokar, non loin d'une Shattrath déjà en prise avec les démons. L'aventure de Draenor ne pouvait finir qu'à Nagrand, majestuese zone de The Burning Crusade, sublimée et pleine de vie avec ce retour dans le passé.

On a aussi beau dire ce qu'on veut sur WoW, c'est que son gameplay fonctionne toujours aussi bien. Oui, le nombre de compétences par personnage a drastiquement baissé au fil des années et tout est devenu beaucoup plus simple, mais c'est le temps qui veut ça. Le housing arrive par l'intermédiaire des fiefs, bases de commandement qu'on va customiser comme on le désire, que ce soit avec des quêtes d'instance ou la possibilité d'obtenir des butins de raid en plus. Gros problème cependant, cette extension signe la mort du crafting. Blizzard prend ici un énorme pari, très soulageant pour les nouveaux joueurs, mais les anciens peuvent se sentir lésés, surtout quand on voit qu'un concurrent très sérieux comme Final Fantasy XIV offre un crafting extrêmement complet. Les débuts dans le fief sont vraiment amusants, les découvertes et possibilités sont nombreuses et partagées avec entrain avec autrui.

Cet autrui va d'ailleurs revenir en masse sur les serveurs désertés à Pandaria, approchant le pic de joueurs de Wrath of the Lich King. Mais les joueurs de WoW sont acharnés. Passé les premières semaines de jeu, avec nos fiefs boostés à fond, les donjons et défis faits, les raids pillés, les terres de Draenor se vident et tous errent sans but dans leurs beaux fiefs phasés. Ce ne sont pas vraiment les raids qui vont mettre de l'ambiance, surtout à cause de l'incompréhensible limite fixée à 20 joueurs en difficulté Mythique, limite qui va tuer nombre de petites guildes qui avaient l'habitude de tourner à dix (dont la mienne). Cognefort sera tout de même assez sympa, avec une course des grosses guildes marrante à suivre sur Twitch. Le raid suivant, la Fonderie, est moyennement amusant, ressemblant beaucoup trop à Siege of Orgrimmar. Enfin, je peux difficilement parler de la Citadelle car je n'y ai fait qu'un run en Normal, mais j'ai retenu que c'était très vert. Le PvP est un peu plus fun, notamment grâce au retour d'une zone de guerre ouverte (Ash'ran).
Après une fin 2014 très plaisante, WoW retourne dans ses travers en 2015. Pourtant, Blizzard a fait un effort en rendant son jeu très accessible, pour satisfaire les joueurs qui ne souhaitent pas se prendre le tête. Mais cette accessibilité signifie aussi que la durée de vie est moindre, les joueurs deviennent stuff beaucoup plus rapidement. Et ce qu'on fait quand on s'ennuie dans WoW, c'est un reroll... Donc Blizzard s'est aussi assuré que l'xp soit beaucoup plus rapide pour nos reroll en rendant le stuff héritage lié au compte, ce qui est plutôt une bonne idée, l'exploration de la Horde anglaise et ses serveurs peuplés peut débuter. On espère quand même que la prochain extension Legion va vite arriver...

Je vais être clair. Le MMORPG se meurt, le système ne fonctionne plus vraiment et la concurrence ne se passe plus entre MMO, mais entre le MMO et les autres types de jeux ou même entre les supports, face à des consoles ultra-connectés. Blizzard a aussi lancé Hearthstone et Heroes of the Storm, se créant sa propre concurrence, l'or réel venant plus des joueurs de cartes de l'univers de WoW (hé comme quoi !) ou des joueurs du MOBA multi-univers. Je pense que les vieux joueurs ayant survécu à Pandaria vont finir par se lasser et les nouveaux seront intimidés face à ce lore imposant dont il serait pourtant dommage de se priver. L'or de Draenor est plutôt lore de Draenor et c'est ça qui continuera de faire jouer quelques vieux briscards ou des curieux de passage. Ce lore survivra certainement dans d'autres supports, certainement à moindre mesure dans le MMO. Shorel'aran.